Il avait fait une quinzaine de cours différents depuis ces fameux œufs mimosa et Nathan était maintenant sûr de plusieurs choses.

Pour commencer, il était toujours autant fatigué des minauderies des femmes qui venaient prendre des cours de cuisine.

Ensuite, il devait avouer qu'il n'était pas mieux que ces femmes. S'il venait à chaque cours, c'était simplement pour pouvoir voir Jude. Jude qui était toujours aussi sexy, qui avait toujours un teint d'ébène à croquer et une voix à se damner.

Et pour finir, il n'avait absolument rien du cordon bleu. Il n'avait réussi quasiment aucune des recettes ... enfin, pour être honnête, il n'en avait réussi aucune depuis qu'il avait commencé à prendre les cours.

Sauf qu'aujourd'hui, il était déterminé à réussir la recette du jour et ce pour une bonne raison.

Il voulait Jude.

Il le voulait vraiment de plus en plus, comme un besoin vital. Il commençait à en avoir assez de venir aux cours pour rien. Lorsque le cuisinier lui avait demandé de revenir pour refaire des œufs mimosa, il avait cru que c'était parce que l'attirance soudaine de Nathan pour lui s'était révélé réciproque. Mais depuis ce jour-là, il ne s'était absolument rien passé de plus. Même pas l'ombre d'un petit rapprochement. Et comme Nathan était vraiment nul en cuisine, il avait plus l'impression de recevoir des regards désespérés ou neutres que des regards invitant à un rapprochement entre les deux jeunes hommes.

Alors aujourd'hui, il voulait réussir la recette du jour et décrocher, enfin, si cela était possible, un regard satisfait, peut-être même une invitation à un rapprochement. Quelque chose d'avenant dans tous les cas. Quelque chose qui lui montrerait que le premier jour, il ne s'était pas fait des illusions et que depuis il n'avait pas espéré en vain.

« Le cours est terminé. Merci tout le monde. Vous pouvez emballer ce que vous avez fait et bon appétit. »

Non. Impossible. Le cours n'était pas fini. Lui n'avait pas fini en tout cas. Il ne lui restait plus grand-chose pour terminer sa purée de Butternut et il était déterminé à en venir à bout.

« Le cours est terminé, lui dit Jude dans son dos.
– Non, pas encore.
– Nathan ...
– Je n'ai pas fini. Laisse-moi encore quelques minutes.
– Je t'en passerai, c'est pas grave. Mais on ne peut pas tarder. Je dois rendre les clés.
– Non ! J'y suis presque ! J'ai juste des épices à mettre. Je suis sûr que je peux le faire. Sel. Poivre. Du thym ... ou alors j'en ai déjà mis. Je sais plus.
– Hey Nathan ! C'est bon, c'est pas grave.
– Si ça l'est ! »

Nathan avait crié. Il y était presque. Il en était sûr. Encore deux petites choses et il verrait enfin Jude être heureux parce que lui, bras cassés qu'il était, aurait enfin réussi une de ses recettes.

Sauf que là, il ne savait plus. Avait-il déjà mis du thym ? Jude avait rajouté du curcuma ou du cumin ? A moins que ce ne soit de la coriandre ? Il était perdu. Et il avait encore perdu. Il avait presque envie de pleurer de rage tant il était près du but.

Il sentit alors des mains sur ses épaules l'obligeant à se détourner du plan de travail et à se retourner.

« Nathan. Calme. Qu'est-ce qu'il se passe ? lui demanda Jude, inquiet.
– J'y suis presque ! Je sais que je peux le faire. Il me manque un truc ! Mais dès que je me souviendrai de ce que c'est, ce sera parfait ! Tu verras !
– Tu es sûr que tout va bien ? Tu m'inquiètes. Depuis que tu viens, tu n'as jamais été autant investi.
– Ça ira si j'arrive enfin à faire quelque chose de bien, tu comprends ? Je veux enfin réussir quelque chose ! Je veux que tu puisses enfin me féliciter et me montrer que tu es satisfait de ce que j'ai fait ! »

D'un coup d'épaule, Nathan força Jude à le lâcher avant de s'éloigner. Il se mit à tourner en rond dans la salle. Sa dernière chance venait d'arriver à son terme. C'était fichu.

« Je me suis fait des illusions. J'ai cru qu'il se passait quelque chose. Puis non. Mais j'ai espéré. Et je n'ai récolté que des regards déçus, agacés. J'ai aucun talent, mais j'ai quand même voulu faire de mon mieux aujourd'hui pour que tu sois fier, que tu me souris enfin et que je comprenne pourquoi j'ai passé ces dernières semaines à suivre ces cours de cuisine alors que je suis vraiment nul à ça ! Et là, alors que j'y étais presque, que j'aurais pu enfin avoir une réponse à tout cela en réussissant cette purée de butternut, j'ai oublié la dernière étape ! »

Il s'arrête de marcher et se prit la tête entre les mains. En plus d'être totalement nul, il était en train de se taper la honte devant le mec qui lui plaisait et qui ne semblait le considérait que comme un simple élève de cours de cuisine.

Jude finit par s'approcher de lui et se plaça face à lui. Voyant Nathan commencer à reprendre sa marche, il l'obligea à lui faire face.

« Je peux te poser une question ?
– Oui, marmonna Nathan, curieux malgré tout.
– Est-ce que je peux t'embrasser ? »

Nathan se figea. Avait-il bien attendu ? Il voulut demander à l'autre homme de répéter mais lorsqu'il commença à ouvrir la bouche, des lèvres se posèrent sur les siennes. Et son cerveau se déconnecta.

Trop de choses se bousculaient à présent dans sa tête. Il n'arrivait pas à se décider entre poursuivre le baiser ou demander des explications. Et en même temps, il y avait tellement de chances pour qu'il n'apprécie pas les explications. Après tout, rien n'aurait pu laisser présager que le cuisinier l'embrasse. La seule raison pour laquelle il le ferait ne devait sûrement pas être satisfaisante pour Nathan. Un pari ? Un moyen de le calmer ? Ou alors peut-être espérait-il le faire fuir ? Peut-être n'avait-il plus envie de le voir venir aux cours de cuisine, surtout après sa scène de tout à l'heure, et donc il avait cherché le meilleur moyen pour lui de le faire fuir. Manque de pot pour lui, il était gay et diablement attiré par lui. Désormais s'il décidait de ne plus revenir, ce serait probablement pour cause de cœur brisé.

Et donc, puisque penser à la raison du baiser ne laissait présager que de mauvaises choses, peut-être Nathan devrait-il plutôt participer au baiser ?

Pourtant, il n'en eut pas le temps que Jude s'écarta déjà de lui. L'heure de vérité était donc arrivée.

« Désolé, lui chuchota Jude en posant son front contre son épaule. »

Et voilà. Le moment redoutait arrivait.

« Je voulais pas ... »

Pas la peine d'aller plus loin. Il avait parfaitement compris et ne ressentait plus du tout l'envie de rester ici plus longtemps. Il n'en avait plus besoin désormais. Alors il obligea Jude à se décoller de lui et s'éloigna. Il lui tourna le dos et commença à s'éloigner, sans un regard en arrière.

« Non, tu sais quoi ? s'écria finalement Jude derrière lui. En fait, je ne le regrette pas. J'avais envie de t'embrasser. Même si je me doutais que ça te ferait fuir. J'en ai envie depuis le premier cours pour faire des œufs mimosa. J'ai même profité que tu te sois blessé pour te faire venir à un autre cours. Puis tu as continué à venir, alors je me demandais si c'était à cause de la cuisine ou ... de moi. Peut-être.
– Toi, chuchota Nathan sans pour autant se retourner.
– Quoi ?
– C'est pour toi que je reviens. Mais à chaque tu avais ce regard déçu ou sévère.
– Parce qu'à chaque cours tu es à deux doigts de te blesser. »

Finalement, Nathan se retourna.

« Tu veux dire que depuis le début, on se tourne autour ?
– Il semblerait.
– On est vraiment trop bête.
– J'ai du talent, je ne peux pas tout avoir. Toi par contre ... »

Nathan ouvrit grand la bouche de consternation avant d'être attiré vers Jude qui se mit à rire. Ce devait bien être la première fois qu'il le voyait rire et c'était grâce à lui. Enfin.

Heureux, il goûta enfin réellement les lèvres de l'autre jeune homme qui ne se fit pas prier pour répondre à son baiser.

« Ça veut dire qu'on est ensemble ? demanda Nathan, malgré tout, une fois le baiser rompu.
– J'espère bien !
– Il était temps ... Du coup, je n'ai plus besoin de venir aux cours de cuisine pour essayer de te séduire ?
– Je t'interdis même de revenir à un de mes cours. Déjà parce que devant les fourneaux, tu es vraiment un danger public. Et puis parce que ça te laissera le temps de te faire beau pour nos futurs rendez-vous.
– Parce que je ne le suis pas déjà assez ? lui demanda-t-il faussement vexé.
– Oh si, si tu savais, lui répondit Jude en l'attirant dans un nouveau et long baiser. »