J5 Gérald

Gérald ou Gégé pour les intimes avait deux passions dans la vie : le tour de France et les femmes asiatiques.

Depuis que le tour de France était devenu une affaire de gros sous, Gégé ne le regardait plus. Il se méfiait de ceux qui gagnaient trop facilement. Il ne voulait même plus en entendre parler, sauf peut-être, certains jours, après s'être longuement pris la tête avec ses collègues : Gégé s'intéressait alors aux départs et aux arrivées, et seulement pour ne pas passer pour l'ignorant de la machine à café.

Pour ce qui est des femmes, sa passion ne diminuait pas avec le temps. Ado, il avait eu le béguin pour une jeune orpheline aux yeux bridés. Le foyer d'en face accueillant des pupilles de l'État, et il la voyait tous les jours sortir et rentrer dans le bâtiment. Elle était un peu plus jeune que lui, mais il en était plus qu'épris.

Au retour du service national, Gérald mit son plus bel habit et se présenta au foyer où sa maman était chef cuistot. Il leur offrit un peu de son temps dans l'espoir de croiser la jeune demoiselle. Flore, la petite asiatique dont il apprit le prénom pendant son bénévolat, n'y était plus. Elle avait fêté ses 18 ans peu avant, et était partie vivre dans un foyer pour jeunes adultes.

Gérald en tomba malade. Pendant plusieurs semaines il n'arrivait plus à se lever, ni même à se raccrocher à quoique ce soit de vivant. Pendant plusieurs jours il pleurait des larmes en torrent, qui finit par s'assécher pour laisser place à une aridité sans fin.

Gégé se réveilla un jour, le premier jour du reste de sa vie, comme il le nommait, et partit en cours. Il était bel homme et faisait retourner sur lui tous les regards, aussi bien féminins que masculins. Il en profita dès lors, et collectionnait les conquêtes. Il s'essaya aux deux genres, mais conclut qu'il préférait finalement les femmes.

Un jour il se fit remarquer par une boîte de mannequinat. Il n'eut pas longtemps à hésiter devant les billets verts qu'on lui proposait. Il devint l'égérie de plusieurs marques, et on lui attribua les brisures des cœurs de plusieurs top models, aux yeux en amande, dans le monde.

Gérald, devenu depuis Jay, amassait beaucoup d'argent. N'ayant pas perdu l'intelligence en même temps que le cœur, et comprenant que sa vie de débauche ne pouvait pas durer, il investit ses millions dans la vieille pierre. Il achetait des châteaux anciens, les faisait réhabiliter et les revendait aux "stars", à prix d'or bien sûr.

Ses millions devinrent des milliards. Il avait tout pour lui : la quarantaine, du charme, de l'argent, du style et de très belles dents. Il avait tout pour lui sauf la vraie joie du cœur. Et son insouciance d'antan lui manquait...

Un jour, alors qu'il se promenait avec son chien, dans une vieille ferme qu'il venait de rénover, sa route croisa le chemin de Nicolas. Le domaine des parents de ce dernier jouxtait sa nouvelle propriété et ils se sont rendus compte qu'ils avaient fréquenté la même école d'architecture. Leurs nombreux points communs les rapprochèrent.

Nicolas passait toutes ses vacances à moderniser la bâtisse familiale, et à sécuriser une ancienne mine dans le but d'en faire un circuit touristique.

Étonnamment le sujet de la mine intéressait tout particulièrement son nouveau voisin, qui n'arrêta pas de le harceler de questions. Nicolas se plia au jeu et donna des détails qui semblaient soporifiques aux membres de sa propre famille.

Jay qui redevenait Gégé était tout ouïe, et s'intéressait à tout, et particulièrement à la petite locomotive à vapeur, ainsi qu'au petit wagon rouge et vert, retrouvé non loin. Il raconta à Nico comment lui-même avait découvert un wagon rouge et vert arborant fièrement le chiffre 5...

Nicolas tout sourire expliqua alors à son nouvel ami le projet fou d'un inventeur habitant à moins de 10 kilomètres de là. Et tous deux se mirent d'accord pour lui rendre visite dès que possible...

Ce soir-là, Gérald ne dîna pas seul. À table dans la famille de ses voisins, il s'était senti enfin bien.

© WafaBabin