J 25 Noëlle

J25 Noëlle


En ce 25 novembre 2022, on sonna à la porte. Le facteur lui portait un courrier recommandé. Elle reconnut l'écriture de l'adresse, et s'assit à même le sol pour l'ouvrir.

Dans l'enveloppe, elle trouva plusieurs feuilles écrites de la main de sa maman. Elle les serra dans les bras, et se mit à pleurer. Les souvenirs refluaient. « Cela fera cinq ans dans un mois que tu es partie maman, et tu arrives encore à me surprendre. » lui parlait-elle d'une voix entrecoupée de reniflements.

Elle y trouva d'abord son ordre de mission de gardienne : Marie lui confiait le wagon numéro 25. Or Noëlle ne se rappelait pas avoir vu ce wagon. Au cours des deux dernières années, et malgré l'épidémie de COVID, elle avait réussi à retrouver tous les gardiens.

FX avait réussi à motoriser la locomotive avec un système à propulsion à hydrogène. Gégé avait apporté les finances nécessaires à la mise en place de petits moteurs pour que chaque wagon puisse aussi être autonome. Louis remit au goût du jour le logo du train de l'Avent. Nicolas, Gégé et Jeanne préparèrent une place conséquente dans la mine pour accueillir tous les wagons. Gilles et Lili montèrent une vidéo qui continue à être virale sur le net.

Hélène, Pierre et Ambroise préparèrent une ambiance féerique à l'intérieur et à l'extérieur de la mine. Gaël, Marc et Luc s'assuraient de la bonne santé de chacun. Odile, Corentin et Othilie passaient leur temps derrière les fourneaux. Lucie, Gatien et Alice s'occupaient de préparer une mise en scène pour accueillir les enfants.

Romaric, Noëlle et Adèle s'étaient chargés de trouver des cadeaux responsables, éducatifs et locaux à distribuer aux enfants. Théophile, Urbain et Sissi s'assuraient quant à eux que personne ne viendrait gâcher la fête. Seule Viviane restait en retrait. Elle préférait la chaleur de son foyer à la fraîcheur des profondeurs.

Noëlle avait compté une locomotive portant le numéro 1, et 23 wagons numérotés de 2 à 24, et pour lesquels chaque gardien avait déjà reçu un ordre de mission de Nicolas, nommé premier gardien par Marie peu de temps avant sa mort.

La mine et son train de l'Avent allaient accueillir les enfants dès le 27 novembre, premier dimanche de l'Avent. Cela ne laissait que deux jours à Noëlle pour trouver ce numéro 25.

Noëlle n'avait pas encore fini de lire lorsqu'on sonna à la porte. C'était Pierre. Il tenait une rose blanche à la main et une enveloppe à l'autre. Noëlle se rappela de cette même posture deux ans auparavant. Elle se rappela aussi de cette lettre qu'elle n'avait jamais ouverte.

— Tu sembles en forme.

Pierre était toujours maladroit dans sa façon de parler. Au départ Noëlle avait du mal à le suivre, mais elle avait passé plus d'une année avec Odile, Romaric et lui, et avait appris à l'apprécier dans son entièreté. Elle qui était entourée de beaucoup d'hypocrisie, trouvait en ces gens simples des joies qu'elle ne connaissait pas dans son milieu habituel.

— C'est la lettre d'il y a deux ans ?

Pierre hocha la tête, affirmatif.

— Et tu l'as gardée tout ce temps ! Tu sais à ta place, je l'aurais ouverte depuis longtemps.

— Mais elle n'était pas pour moi…

Noëlle eut un léger sourire. Elle ne connaissait personne de plus droit que Pierre. Elle prit l'enveloppe après avoir mis de côté les feuilles qu'elle tenait encore avec la liste des gardiens, et les missions de chacun. Elle les connaissait par cœur pour avoir parcouru à son tour le jeu de piste laissé par Marie et Daniel. Elle ouvrit la lettre s'attendant sans doute à un testament maternel.

*

"Ma Noëlle chérie,

Je t'écris ces mots après avoir signifié les ordres de mission à chacun des gardiens. Je sais que je n'en ai plus pour longtemps à vivre, comme je sais aussi que l'homme qui te la remet aurait préféré pleurer seul son chagrin plutôt que de porter une mission qui dépasse son entendement.

Pierre est le seul homme que j'ai jamais aimé. J'avais vingt ans quand j'ai accepté son amour, ce même jour où papa m'a raconté l'histoire du train Désiré, son sommeil prolongé, et ma destinée de première gardienne. 

Beaucoup croient que je lui ai brisé le cœur en partant après la mort de mes parents. Il n'avait que quinze ans, et j'ai eu peur de l'entraîner dans une vie qui n'était pas la sienne. Alors je suis partie en espérant qu'il trouve quelqu'un d'autre à aimer, et qui pourrait l'aimer mieux que je ne pourrais jamais le faire. Moi j'étais déjà un spectre. Alors dedans ou dehors ma vie ne changeait que peu. Mais contrairement à ce que j'imaginais, il n'est pas arrivé à surmonter notre séparation, et a failli y laisser la vie. Les nouvelles qu'Adèle me donnait n'étaient pas des plus rassurantes, alors j'étais rentrée à la clinique pour le voir. Il avait 17 ans, moi 22, et je venais de connaître ma deuxième expérience de mort subite. Je voyais clairement ma mission, mais je ne me voyais pas la vivre seule. Je lui ai alors ouvert mon cœur : mon amour, mes problèmes de santé, ma fuite et nos deux cœurs brisés. Je lui ai promis une fidélité d'amour, mais aussi des frustrations continues. Je ne sais pas ce qu'il avait alors compris de nos discussions, mais il a dit oui. Il recommença à manger, et reprit ses études. Moi je suis repartie, avec le cœur plus léger, pour ne revenir que huit ans après.

Il était encore là. Il m'attendait. Il m'aimait encore plus fort qu'au début, mais moi je l'avais trahi en acceptant de porter l'enfant de quelqu'un d'autre. J'étais revenue pour que ma grossesse et mon accouchement se passent dans les meilleures conditions. 

Et tu es née, toi mon plus beau cadeau de Noël, toi que j'ai appelée Noëlle. Tu es née ce jour et je t'ai donné tout mon amour. Les premiers temps, Pierre n'osait plus me regarder, mais rapidement il avait compris que ton père n'avait pas été mon amant. Il a alors repris ses visites régulières, et je ne vivais plus que pour ces moment où nous n'étions que deux sur une autre planète. De temps en temps tu faisais irruption parmi nous. Nous aurions pu vivre ainsi très longtemps, mais nos corps ressentaient le besoin d'être l'un pour l'autre. Alors je suis encore partie. 

J'ai acheté notre petite maison dans les Vosges. Elle était loin de tout. Tu vivais avec moi, et je vivais pour toi. Un jour Marc me présenta Luc. Ils voulaient te faire découvrir le monde. J'aurais pu dire non, mais je t'ai laissée les suivre. Ce que je ne connaissais que par les livres, tu avais la chance de le découvrir de tes propres yeux.

Et puis Pierre est revenu. Il a frappé à ma porte, et m'a proposé un amour platonique. Tu es assez grande pour comprendre : j'avais les désirs et les envies de la femme que j'étais, mais mes vaisseaux sanguins pouvaient exploser sous l'effet d'une trop grande pression. Égoïstement j'ai accepté sa proposition. Depuis ce jour, j'ai passé toutes tes absences en sa compagnie.

Le 16 décembre, j'étais en pleurs devant un téléfilm de Noël que je ne regardais pas. Ce jour-là, j'aurais aimé te garder dans mes bras et te dire à quel point je t'aime, mais je t'ai embrassée et je t'ai pressée de rejoindre ton père. Et tu es partie.

Cette année-là, et pour la première fois, tes papas n'étaient pas partis à l'étranger pour la période des fêtes. Ils savaient, comme certains autres gardiens, que ma mission était terminée.

Et cette année, et pour la première fois, j'ai demandé à Pierre de me faire l'amour. Au début, il avait dit non. Il avait compris, et ne voulait pas accélérer ma mort. Il voyait des pétéchies apparaître un peu partout sur ma peau. Luc venait de m'examiner, et Pierre avait compris. Il est arrivé ce jour dans son plus beau costume. Moi j'avais mis ma belle robe bleue ciel, et nous sommes partis rejoindre nos témoins à la mairie. Nous avons dit oui. 

Je m'arrête ici. Pierre m'attend pour notre nuit de noces. À l'heure où j'écris cette lettre, je ne sais pas s'il y en aura d'autres. Nous sommes le 23 décembre, et avant de poser mon stylo, je voudrais te dire ces derniers mots : 

Aime ! N'oublie pas d'Aimer ! 

Chaque jour de ta vie, Aime !

Souris, Ris et Aime !

Et même si tu es fatiguée, énervée, ou en colère, ne quitte jamais personne sans te réconcilier d'abord.

Ne boude pas ! Ne te tais pas ! Crie s'il le faut. Fais silence par moments mais n'oublie pas d'Aimer tout le temps.

Aime ma chérie, Aime !

Ta maman qui t'aime,

Marie Berger, simple messagère."

*

Noëlle posa la lettre tout en regardant Pierre d'un autre œil. Beaucoup de questions trouvaient leurs réponses.

— Je suis contente de savoir que toi et maman avez pu concrétiser votre amour.

Il n'en fallait pas plus pour que les larmes de Pierre jaillissent à leur tour. Cet homme avait gardé sa peine si longtemps prisonnière de ses souvenirs : peu de gens connaissaient l'amour qu'il partageait avec Marie.

Noëlle s'approcha doucement et le prit dans les bras. L'espace d'un instant, il put laisser retomber le poids d'années de silences. 

— Dis Pierre, dans sa lettre, maman me demandait de veiller sur le wagon numéro 25. En as-tu déjà entendu parler ?

Pierre eut un large sourire. Ce wagon 25, il le connaissait parfaitement : il en était l'initiateur. Plusieurs gardiens avaient participé à la construction d'une grande crèche de Noël pour le domaine des Berger. Ils l'avaient montée sur roues, et avaient mis le numéro 25 sur l'étoile, avant de l'offrir à Marie.

*

Le lendemain, tous les gardiens se réunirent devant la bâtisse. Chacun avec son wagon. Nicolas s'était installé dans la locomotive avec Noëlle. Le wagon 25 était accroché derrière. Les autres wagons suivaient ensuite dans l'ordre. Les cadeaux avaient pris place à côté de l'amour et de la bonne humeur des membres de la confrérie. Avant de partir, le prêtre du "Village de Saint Nicolas", rebaptisé ainsi par la famille Berger, vint prononcer la bénédiction d'usage.

Chaque dimanche de l'Avent, ils accueilleraient les enfants pour la visite de la mine et du train. Pour la nuit de la fête de la Saint Nicolas, le train irait à la rencontre des enfants des villages isolés. Le 8 décembre, on fêterait l'Immaculée Conception, devant Notre Dame de Plombière, et les autres jours de l'Avent, le train s'immobiliserait devant les mairies où il serait le bienvenu. 

*

Cette nuit du 24 décembre, Saint Nicolas vint voir Désiré : 

— Je suis content de te voir à nouveau sur pieds, mon ami.

— Et moi donc Saint Nicolas, mais vous vous trompez quelque peu : je suis plutôt sur roues.

Saint Nicolas eut un large sourire avant de disparaître dans la nuit. 

*

Fin

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