⤞ Chapitre 6 || Du déni pour ne pas fuir

— Aujourd'hui est un jour terrible. Riri est mort, annonça solennellement Mike, en posant son plateau à côté de celui de Caitlin.

— Quelle tragédie, ironisa Luke en s'asseyant en face de lui.

— C'est une plante, Luke ! Riri était vivant, comme toi et moi ! protesta vivement Mike, sur un ton anéanti.

    En face d'elle, Gaël mélangeait machinalement sa tasse de café. Caitlin n'avait pas dormi de la nuit. Elle avait pleuré silencieusement pendant une bonne partie, alors qu'il ronflait comme un camion, allongé à côté d'elle. Elle avait essayé de se convaincre que ce n'était pas vrai, qu'elle l'aimait encore, que son corps brûlait encore quand il l'embrassait, que cette pseudo prise de conscience n'était que le fruit de son imagination. Mais rien n'y faisait.

   Elle avait fini par succomber au sommeil, trois heures avant son réveil. Cependant elle n'était pas fatiguée, au contraire. Tous ses sens étaient en alerte. Sous la table, il promena sa main sur sa jambe et Caitlin serra les dents, ne ressentant que du dégoût.

— Je t'ai dit que tu l'avais trop arrosé, lui rappela Luke en tartinant du Nutella sur son toast.

— Il séchait sur place ! se récria Mike.

— Eh bien maintenant, il a moisi !

Caitlin se reprit : elle n'avait pas encore adressé la parole à ses deux amis. Rien ne devait transparaître.

— Pauvre Riri, dit-elle simplement.

— Ah, merci ! Enfin quelqu'un de compatissant ici ! répondit Mike en lui adressant un regard complice.

— C'est un cactus, rappela Luke, en haussant un sourcil.

— Mon cactus ! corrigea Mike. Et il s'appelle Riri. Tu as vraiment un coeur de pierre, Luke ! Riri t'aimait de toute son âme !

— Son âme de cactus ! se moqua-t-il en enlevant une poussière invisible de l'épaule de Mike.

— Cait' ! Il est méchant avec moi ! se plaignit Mike en lui offrant sa moue de chien battu.

Caitlin regarda ses deux amis d'un air amusé.

— Lukey, finit-elle par dire, tu connais l'importance qu'avait Riri pour Mickey.

Il lui jeta un regard abasourdi :

— Tu ne vas pas t'y mettre aussi !

Caitlin lui offrit un sourire qui clamait « Et pourquoi pas ?! »

Les plateaux de Zoey et Eileen s'ajoutèrent.

— Bonjour tout le monde ! les saluèrent-elles.

— Oh, Zoey, au secours ! s'écria immédiatement Luke. Cait' et Mike s'imaginent que les cactus ont une âme ! Sauve-moi, je t'en supplie ! conclut-il en joignant ses mains pour la prier.

— Riri est mort ! rappela avec véhémence Mike.

— Tu as l'air de te porter comme un coeur, Luke, rétorqua Zoey en le regardant de la tête aux pieds.

— Ne vois-tu pas que je suis en plein supplice, en pleine torture mentale ? Je me meurs ! s'exclama-t-il en portant sa main sur son front.

— Bien-sûr, tu es aussi prêt de la mort que moi, répliqua Zoey en levant les yeux au ciel.

Caitlin ne put s'empêcher de rire.

— Pauvre Riri ! Il lui restait tellement de racines à créer, tellement de monde à voir ! déplora piteusement Mike. Il ne connaissait rien à la vie, mais la vie le connaissait. Repose en paix, petit ange épineux !

— Wow, en effet, lâcha Eileen en replaçant une mèche derrière son oreille. Je crois que je te comprends, ajouta-t-elle à l'attention de Luke.

— Ça nous fait un point commun, répondit nonchalamment l'intéressé.

Les yeux successivement rivés sur Caitlin et Gaël, il ne vit pas Eileen rougir. Caitlin sentit une sensation de malaise l'assaillir.

— Il te reste encore Fifi et Loulou, le réconforta Caitlin, plus pour dévier la conversation qu'autre chose.

— Ils se sont effondrés de chagrin, soupira Mike. C'est normal, ils viennent de perdre leur ami le plus cher ! Oh, il faut que je l'enterre !

— Peut-être qu'il repoussera, plaisanta Luke en sirotant sa boisson.

— Lucas ! N'as-tu donc aucun respect pour les cactus morts ? se récria-t-il, provoquant des fous rires dans toute la tablée.

Caitlin se sentit de meilleure humeur, une fois son rire calmé.

— J'espère que le contrôle de physique se passera bien, soupira Mike.

— Le contrôle de physique ? répéta aussitôt Gaël.

— Oui, celui qu'on a dans... ah ! 30 minutes, Luke, au secours ! s'exclama-t-il en lui saisissant la main.

— Aïe, pourquoi tu me serres si fort ? Ça va aller, hier soir tu as réussi tous les exercices qu'on a faits !

Le sang de Gaël avait cessé d'affluer son visage.

— Ne fais pas cette tête, je t'ai proposé plusieurs fois de venir travailler avec nous ! s'agaça Luke. Tu n'avais qu'à pas ignorer mes messages !

— Mais je n'étais pas là au dernier cours, j'étais à l'infirmerie, et le contrôle porte sur ce que vous avez fait, or je ne l'ai pas ! expliqua Gaël.

— Ah bon ? Je suis sûr de t'avoir donné mon cours, j'ai dû réviser sur celui de Mike, rétorqua Luke, les sourcils froncés.

— Non, tu ne m'as rien donné, assura-t-il, de la voix forte que Caitlin haïssait.

— Pourquoi tu mens ? questionna Luke, une moue lassée sur le visage. Regarde dans ta pochette, tu l'as rangé dedans devant moi !

— N'importe quoi.

— Je trouve ça insultant que tu doutes autant de mon excellente mémoire, asséna sèchement Luke.

   Caitlin hésita à intervenir, mais se ravisa, songeant que Gaël pourrait très bien l'accuser de prendre parti pour Luke, et elle n'avait pas envie d'avoir à supporter une autre crise de jalousie pour une histoire pareille.

   En guise de réponse, Gaël sortit son trieur d'un air excédé. Une des premières feuilles qui en tomba portait l'écriture de Luke. Caitlin soupira discrètement. A quoi jouait-il, encore ? Elle ne fit aucune remarque.

— Je ne sais pas ce que ça fait là, marmonna Gaël, les mains tremblantes, je-...

— Stop, tu te ridiculises, le coupa Luke, après avoir fini sa tasse d'une traite. Bon, viens avec moi, je vais te faire un résumé de tout ce qu'il faut savoir, ajouta-t-il en se levant.

— Je viens aussi, informa Mike en se levant à son tour.

Gênée, Caitlin garda ses yeux rivés sur son plateau, se demandant sérieusement ce qu'il venait de se passer.

Sans demander son reste, Gaël se leva, embrassa très vite Caitlin, mais pas assez vite pour qu'elle n'en ait pas la nausée, et suivit les deux jeunes hommes.

— Euh, qu'est-ce qu'il vient de se passer ? questionna Zoey, dès qu'ils furent hors de portée.

Caitlin haussa les épaules.

— Aucune idée !

— Il est un peu débile, ton copain, fit Eileen en rapprochant son plateau.

— Apparemment, soupira Caitlin.

   Le petit-déjeuner se termina dans le silence, puis les trois jeunes filles se rendirent à leur premier cours, où John arriva en retard, comme 90 pourcent du temps.

   La matinée fila rapidement, si bien que les quatre adolescents rejoignirent rapidement leurs trois amis à la cafétéria, qui mangeaient silencieusement.

— Alors ça a donné quoi, ce contrôle ? demanda Eileen en s'asseyant à côté de Luke.

— Je crois que je m'en suis bien sorti ! affirma joyeusement Mike.

— Parle pour toi, marmonna Gaël.

— Et toi ? questionna-t-elle, s'adressant à Luke.

— Bien, répondit-il, distraitement.

— Au moins, c'est fini, commenta simplement Caitlin.

  Mike hocha vivement la tête, l'air soulagé et Caitlin fut contente pour lui. Il lui semblait aller un peu mieux, par rapport à l'autre jour. Elle croisa le regard intense de Gaël et baissa les yeux, terriblement mal à l'aise.

   Au terme du repas, elle eut l'impression que le sang avait cessé d'affluer son visage et d'être aussi vide qu'un coquillage abandonné sur la plage. Elle vit défiler l'après-midi à travers un voile de larmes refoulées. Elle savait ce qu'elle devait faire, mais elle n'en avait pas la force. Habituellement, elle chuchotait toujours avec John en philo (le contrôle n'avait duré que vingt minutes) pour être au courant des confessions de ses camarades au sujet de Luke, mais aujourd'hui, elle n'avait pas le coeur à ça. Elle n'avait le coeur à rien.

   Quand, en cours de musique, ils durent jouer Don't Stop Me Now, elle le fit sans aucune passion, sans la moindre émotion. Tout le monde prit son masque d'impassibilité pour de la concentration, et elle dut admettre que ça la rassurait. Elle n'avait aucune envie d'en parler, tant elle avait honte et se sentait affreuse. « Je ne peux pas le faire. J'en suis incapable. » pensa-t-elle en sortant de la salle.

Mike lui tira la manche :

— Tu veux venir manger un cupcake avec moi ?

Caitlin sauta sur cette occasion de se changer les idées et accepta tout de suite.

— Luke, tu es sûr que tu ne veux pas venir ? questionna Mike.

— J'ai promis d'aider John et Eileen avec les maths, répondit-il.

— Eileen ? Fais attention, elle va s'imaginer que tu tiens à elle, plaisanta Mike en enfonçant son index sur la joue de Luke.

— Ne m'en parle pas. Hier, elle m'a dit qu'elle était sûre que je l'aimais bien et que j'étais en train de tomber sous son charme. Elle est vraiment à côté de la plaque, c'est dingue !

Caitlin éclata de rire. Eileen n'avait jamais eu sa langue dans sa poche et ce n'était pas près de changer.

— Oh, tu es sûr ? Tu as pourtant un point commun avec elle, minauda Caitlin en faisant un high-five à Mike.

— En plus, vous formeriez un couple atomique, ça serait vraiment génial ! renchérit Mike en riant.

— Même pas en rêve ! protesta Luke en secouant la tête.

— Non, mais tu as raison, reprit Mike, les gens ne s'en remettraient pas si tu sortais avec quelqu'un.

Caitlin éclata de rire face à la moue boudeuse qu'affichait Luke.

— Ce ne sont pas leurs affaires, protesta-t-il, les bras croisés.

— C'est vrai, admit Caitlin. Mais il vaut mieux en rire, tu ne crois pas ?

— De toute façon, tu ne les verras plus à partir de l'année prochaine, ajouta Mike.

— Pas faux... Bon goûter ! conclut-il, comme ils étaient arrivés devant la porte.

— A toute à l'heure ! répondit Mike en montrant sa carte au surveillant.

Caitlin fit de même et le surveillant leur ouvrit la porte.

Ils marchèrent un moment en silence.

— Je suis soulagé que ça soit enfin le week-end, finit par dire Mike.

— Surtout qu'il n'y a pas de show. On est plutôt tranquille, répondit Caitlin.

Le téléphone de Caitlin vibra dans sa poche. Elle avait reçu un message de Gaël.

« Tu fais quoi ? »

Caitlin ne répondit pas et mit son téléphone sur silencieux.

— On a toujours du travail, soupira Mike. Ce n'est pas ce que j'appelle être tranquille. Regarde, c'est là ! s'exclama-t-il en montrant du doigt une enseigne colorée.

— Je n'y suis jamais allée, avoua Caitlin en entrant derrière Mike.

— Ma maman m'a dit que ça venait d'ouvrir.

« Tu es où ? »

   Ils s'installèrent à une table et Caitlin rangea son téléphone dans sa poche. Mike étudia la carte avec attention, si bien que Caitlin eut toutes les peines du monde à pouvoir la lire.

— Tu m'as l'air de te sentir un peu mieux, commença Caitlin une fois leurs commandes prises.

— J'étais surtout stressé, en fait. J'en ai reparlé avec Luke hier soir, et avant-hier soir. Je crois que je l'ai blessé, confia-t-il.

— Il t'a pardonné, objecta-t-elle.

— C'est bien ça le problème, soupira-t-il. Il pardonne tout.

— En quoi est-ce un problème ? demanda Caitlin. Le pardon est une force.

Elle ne sut pas pourquoi, mais prononcer cette phrase fit bondir son cœur.

— Son problème, c'est qu'il pardonne tout le monde sauf lui-même. Je m'explique... À cause de moi, il a percuté que si on n'avait plus de groupe, c'était de sa faute.

Caitlin haussa les épaules.

— C'est à lui d'assumer, il le sait. Ce n'est pas de ta faute, Mike ! protesta-t-elle, les sourcils froncés.

— Je le sais, et je crois qu'au fond c'est ça le pire. Je n'ai rien fait pour empêcher que ça arrive, tu comprends ? J'étais totalement dépassé parce que je ne comprenais pas. Cait', plus le temps avance, plus je pense qu'il l'aime encore. Et je ne le comprends pas. Mercredi, il a pleuré dans mes bras jusqu'à s'endormir, sans dire pourquoi. Il n'en a pas besoin, il sait que j'ai compris.

— Je le pense aussi, avoua-t-elle.

  La serveuse apporta leurs commandes et Caitlin mordit dans son gâteau, dont la saveur citron explosa en mille et une saveurs dans sa bouche.

— Mmh ! C'est trop bon ! s'exclama-t-elle.

— J'étais sûr que ça te plairait ! affirma Mike en souriant.

  Caitlin lui rendit son sourire, ayant l'impression que son histoire avec Gaël était loin, très loin d'ici.

— Tu sais, Mike, le plus important dans la vie, je crois que c'est d'apprendre de nos erreurs et de celles des autres, pour ne jamais les reproduire et avancer en devenant à chaque fois un peu meilleur. C'est cliché, mais si tu regardes autour de toi, tu t'apercevras que très peu de personnes admettent leurs erreurs. La plupart des gens sont coincés dans leurs pensées, persuadés d'être dans le vrai et ne cherchent pas du tout à discuter avec toi. Parce qu'ils ont raison et que toi tu as tort, peu importe les arguments que tu pourras avancer. En fait, ils ne sont pas prêts à écouter. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut qu'on avance, parce qu'à trop regarder en arrière, on va...

— Se faire un torticolis ? Se prendre un mur ? suggéra Mike. Je comprends ce que tu me dis. Mais j'ai vraiment, vraiment l'impression de perdre ma chance. En plus, je sens que je suis en train de perdre Emmy et Alice. On n'est plus aussi proche qu'avant. Il y a un fossé qui se creuse toujours plus profondément.

— Je sais, je le sens aussi. J'imagine que c'est la vie. Les gens vont et viennent, partagent un bout de chemin avec toi et prennent une autre direction, répondit doucement Caitlin.

— J'aurais aimé qu'elles restent un peu plus longtemps, soupira Mike.

Elle sourit à son ami. Ils finirent leurs boissons, payèrent et quittèrent le salon de thé. Aussitôt la chaleur rassurante quittée, Caitlin sentit le poids de sa culpabilité reprendre le dessus. Elle avait reçu une dizaine de messages de Gaël. Il lui disait qu'elle lui manquait, qu'il s'inquiétait pour elle, qu'il n'avait pas non plus vu Luke, et Caitlin sentit son cœur vaciller en se rendant compte qu'il ne lui manquait pas et qu'elle avait respiré aux côtés de Mike. Elle tourna la tête vers lui. Il ne s'en rendait pas compte, mais il était un bol d'air frais à lui tout seul.

— Merci de m'avoir emmenée, Mike. C'était agréable, le remercia Caitlin.

— Oh, mais de rien, affirma-t-il, comme si c'était la chose la plus normale du monde.

  Caitlin songea qu'elle avait de la chance d'avoir un ami comme lui, à l'écoute, attentif et qui respectait toujours les autres. Elle chargea son sourire de tout l'amour fraternel qu'elle portait pour lui.

Rentrés à Saint-Mathew, ils rejoignirent Luke, John et Eileen qui terminaient de travailler. Caitlin prit son courage à deux mains et répondit à Gaël qu'elle travaillait avant de ranger son téléphone tout au fond de son sac, là où elle ne verrait pas sa réponse. Elle ne vit pas les regards intrigués de ses amis, tant elle était perdue.

   On ne reste pas avec quelqu'un qu'on n'aime plus. On ne reste pas avec quelqu'un qui nous rend malheureux. On ne reste pas avec quelqu'un qui fait semblant de s'étrangler pour vous faire réagir. Caitlin ne savait pas ce qu'il pourrait faire d'autre pour qu'elle abonde dans son sens. Elle était terrifiée.

  « Et si, se disait-elle, et si il n'acceptait pas ? S'il faisait n'importe quoi pour m'en dissuader et me prouver que je fais une erreur, alors que j'ai l'intime conviction que c'est la bonne décision ? Jusqu'où pourrait-il aller ? Je m'en voudrais toute ma vie s'il faisait une bêtise. »

   Mais le fait était qu'elle ne voulait plus passer une nuit comme celle qu'elle avait passée, à pleurer d'horreur face à ce qu'elle lui faisait vivre depuis quelques semaines. Elle restait avec lui, l'embrassait, alors qu'elle ne ressentait rien à part de la répulsion, alors que son amour pour lui n'existait plus. Dans un sens, elle lui mentait. En cet instant, elle était tout ce qu'elle n'avait jamais voulu être.

  L'arrivée de Zoey dans la salle la tira de ses réflexions. Quand Caitlin releva la tête, elle vit qu'elle avait les yeux rougis, et se promit de lui poser la question dès qu'elle le pourrait.

— Tu as l'air épuisée, Caitlin, tes yeux sont injectés de sang ! s'exclama-t-elle, la mine inquiète.

En temps normal, elle lui aurait retourné son argument. Mais elle n'avait plus la force de faire semblant.

— Je n'ai pas très bien dormi, avoua-t-elle.

— Pourquoi ?

— Aucune idée, prétendit-elle, peu désireuse de dévoiler la raison.

Zoey n'insista pas, et à la place, elle la serra dans ses bras en murmurant :

— Ça va aller.

Caitlin s'était raidie malgré elle au moment de l'étreinte. Un éclat d'aile de papillon s'était propagé dans tout son corps.

🎶

Bonsoir ! Comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? :) 🧡

A samedi prochain ! 🧡

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