⤞ Chapitre 5 || Des amours désenchantées, une romance terminée
— Je propose qu'on essaie une dernière fois ! suggéra Luke en reposant sa bouteille d'eau sur la table.
— J'approuve ! répondit Mike, la bouche pleine de cookies.
Cela faisait deux bonnes heures qu'ils s'entraînaient tous les quatre. Gaël n'était toujours pas apparu et Caitlin le soupçonnait d'être vexé. Elle ne lui avait pas demandé pourquoi, car elle était venue à la conclusion qu'il valait mieux passer outre ce genre de choses. Ça finirait bien par lui passer.
— Michael, tu ne t'arrêtes donc jamais de manger ? questionna Zoey. Tu as pris deux fois du plat et fini l'assiette de Cait' ce midi !
— Le stress me donne faim, se justifia-t-il en faisant la moue.
— Pourquoi tu stresses ? questionna Luke en s'approchant. Aujourd'hui, nous n'avons ni examens ni colles.
— Mais demain, si, soupira Mike. Je me sens tellement ridicule à côté de vous tous !
Caitlin se redressa de toute sa hauteur.
— Mais Mickey, tu es tout sauf ridicule ! s'exclama la jeune femme. Personne ne joue aussi bien de la basse que toi ! Et puis, tu chantes très bien aussi !
— Mais Cait', tout le monde chante très bien dans cette classe, objecta-t-il, les yeux humides. Qu'est-ce que j'ai de plus que les autres ? Tu as entendu Mme Young, pour avoir un contrat ou aller dans une école, il ne faut pas forcément un bon dossier, il faut surtout se démarquer ! Et moi, je suis on ne peut plus banal. Je suis secondaire. Je suis celui auquel on ne fait pas attention. Celui qu'on met au milieu parce qu'il faut bien le mettre quelque part. Un peu comme de la glue.
Caitlin se mordit la lèvre. Elle n'avait pas remarqué à quel point son ami allait mal, tant elle était restée focalisée sur ses broutilles avec Gaël. Le coeur emprisonné dans sa propre culpabilité, elle sentit ses yeux commencer à lui piquer.
— Michael ! le réprimanda immédiatement Luke. Tu n'es certainement pas secondaire ! Tu as tes propres couleurs, et crois-moi, elles sont merveilleuses !
« Je suis tellement égoïste » pensa Caitlin en observant la scène, les iris brillants.
— De nous tous ici, répondit tristement Mike, c'est toi qui a le plus de chance de réussir dans cette voie. Je ne t'en veux pas, c'est juste un fait et ce n'est pas de ta faute.
— Alors quoi, tu vas abandonner maintenant ? se récria Luke, à quelques pas de lui.
— Désolé, Lucas, mais moi, je ne suis rien sans le groupe, rétorqua sèchement Mike. Si tu t'étais comporté différemment avec Emmy, on n'en serait pas là. Tu sais que je suis en train de la perdre ? Tu sais qu'elle s'est vraiment inquiétée pour toi ? J'espère que tu te rends compte qu'elle t'aimait vraiment pour qui tu étais et que tu n'es pas prêt de retrouver quelqu'un comme elle.
— Mike, je...
Le dos de Caitlin se contracta.
— En fait, le coupa-t-il, c'est TON problème, Luke. Pas le mien. Mais j'ai perdu la seule chose qui comptait vraiment pour moi, et ça, c'est entièrement de ta faute. J'ai perdu ma seule chance de vivre la vie que j'ai toujours rêvée d'avoir.
Luke ouvrit la bouche pour répondre puis la referma, livide.
— Mike, intervint Caitlin avec douceur, tu n'as pas perdu ta chance. Elle dépend de toi. Elle a toujours dépendu de toi. Pas d'Emmy. Pas d'Alice. Pas de moi. Pas de Luke. De toi.
— On était bien meilleur avec elles. Ou plutôt, j'étais bien meilleur avec elles. Tu le sais.
Caitlin chercha ses mots avant de répondre. Voir ses deux amis se disputer lui déchirait le coeur.
— Tu étais simplement toi-même. Pourquoi ça aurait changé ?
Mike soupira.
— Parce que tout a changé, maintenant. Plus rien ne sera jamais comme avant.
— Rien n'est figé, Mike, intervint Zoey. Qui sait ce que la vie te réserve encore ? Luke a raison, ce serait dommage d'abandonner maintenant. Et puis tu vois bien, notre chanson va être grandiose ! Ça, ça pourrait bien t'aider à te démarquer. Faire une cover de Queen, ce n'est pas réputé pour être quelque chose de facile, et pourtant tu maîtrises déjà ta partie à la basse. La musique est un tout. Il n'y a pas que la voix qui compte, conclut-elle en lui tapotant l'épaule d'un geste affectueux.
— Tu sais quoi ? s'exclama subitement Caitlin. Tu n'as qu'à jouer de la basse pour ton solo aussi !
— Je suis sûr que tu impressionneras du monde en faisant ça, appuya Luke qui avait repris des couleurs. Tout le monde n'est pas capable de jouer d'un instrument et de chanter en même temps.
— Vous avez sûrement raison, finit par capituler Mike. D'ailleurs, on ferait mieux de s'y remettre.
Caitlin comprit qu'ils n'obtiendraient rien de plus de lui aujourd'hui, et qu'il ne croyait pas un mot de ce qu'il venait d'affirmer. Il passa à côté d'elle en regardant droit devant lui et remonta sur l'estrade où trônaient un piano, une batterie, deux guitares, une basse et les instruments qu'ils avaient apportés.
— Je vous attends ! leur indiqua-t-il, masquant sa morosité par un sourire.
Caitlin chercha le regard de Luke mais il semblait perdu dans ses pensées. Elle l'observa prendre sa guitare et elle les rejoignit, s'asseyant à la batterie.
— Tu me dis quand c'est bon, Luke, dit Zoey en remettant ses partitions dans le bon ordre.
Caitlin leur jeta un regard amusé, se rappelant qu'ils avaient eu du mal à se coordonner, puisque Luke commençait à chanter en même temps que Zoey commençait à jouer.
[Il devrait y avoir un GIF ou une vidéo ici. Procédez à une mise à jour de l'application maintenant pour le voir.]
En guise de réponse, Luke hocha imperceptiblement la tête, signe qu'il allait commencer à chanter.
— Tonight I'm gonna have myself a real good time ! I feel alive ! And the world, I'll turn it inside out, yeah ! I'm floating around in ecstasy, so !
— Don't stop me now ! Don't stop me ! 'Cause I'm havin' a good time, havin' a good time ! chanta Caitlin, avec les trois autres.
Elle démarra à la batterie au même moment, en même temps que Mike commençait à jouer.
— I'm a shooting star leaping through the sky ! Like a tiger defying the laws of gravity ! I'm a racing car passing by like Lady Godiva ! I'm gonna go, go, go, there's no stopping me ! I'm burning through the sky, yeah ! Two hundred degrees, that's why they call me Mister Fahrenheit ! I'm travelling at the speed of light ! enchaîna merveilleusement bien Luke.
— I wanna make a supersonic man outta you ! s'exclamèrent Caitlin, Luke, Mike et Zoey.
— Don't stop me now ! reprirent Caitlin, Zoey et Mike.
— I'm having such a good time, I'm having a ball ! s'écria Luke.
— Don't stop me now ! répétèrent-ils, tous les trois.
— If you wanna have a good time, just give me a call ! poursuivit Luke.
— Don't stop me now !
— 'Cause I'm having a good time !
— Don't stop me now !
— Yes, I'm having a good time !
— I don't wanna stop at all, yeah ! chantèrent-ils, tous ensemble.
Caitlin était ravie : ses souvenirs pour cette chanson étaient exact, bien qu'elle ait plutôt appris à suivre son intuition quand il s'agissait de jouer de la musique. Elle ne réfléchissait pas, elle jouait, c'est tout.
— I'm a rocket ship on my way to Mars on a collision course ! I am a satellite, I'm out of control ! I'm a sex machine ready to reload ! Like an atom bomb about to !
— Oh, oh, oh, oh, oh, explode ! s'exclamèrent-ils en chœur.
— I'm burning through the sky, yeah ! Two hundred degrees, that's why they call me Mister Fahrenheit ! I'm travelling at the speed of light ! fit admirablement Luke.
Caitlin admettait sans aucune réticence qu'elle était de plus en plus impressionnée par les prouesses vocales de Luke. Elle n'était pas sûre de connaître une personne aussi épatante que lui.
— I wanna make a supersonic woman of you ! clamèrent Mike et Luke.
— Don't stop me, don't stop me, don't stop me ! répétèrent Caitlin, Zoey et Mike.
— Hey, hey, hey !
— Don't stop me, don't stop me, ooh, ooh, ooh !
— I like it ! s'exclama Luke.
— Don't stop me, don't stop me !
— Have a good time, good time ! se réjouit Luke.
— Don't stop me, don't stop me !
— Woah ! Let loose, honey, all right !
C'était le moment préféré de Caitlin : le solo de guitare électrique, que Luke maîtrisait vraiment, vraiment bien. D'après Mike, il avait passé une partie de la nuit à l'apprendre, son casque vissé sur les oreilles pour ne pas le déranger. Pour le quota de sommeil, c'était à revoir.
Transportée, Caitlin l'écouta avec attention.
— Oh, I'm burning through the sky, yeah ! Two hundred degrees, that's why they call me Mister Fahrenheit, hey ! Travelling at the speed of light ! reprit-il, toujours en jouant de la guitare.
— I wanna make a supersonic man outta you ! s'exclamèrent Luke, Mike, Caitlin et Zoey.
— Yeah, yeah ! chantonna Mike.
— Don't stop me now ! dirent encore Caitlin, Mike et Zoey.
— I'm having such a good time, I'm having a ball ! clama Luke.
— Don't stop me now !
— If you wanna have a good time, just give me a call !
— Ooh, alright ! Don't stop me now !
— 'Cause I'm having a good time
— Yeah, yeah ! Don't stop me now !
— Yes, I'm having a good time !
— I don't wanna stop at all ! achevèrent-ils tous les quatre.
Caitlin termina sa partie à la batterie et écouta la fin de la chanson. De cette façon, le corps arqué, Luke ressemblait à un ange tout droit tombé du ciel, et elle était sûre que n'importe qui aurait succombé à sa voix couplée au piano.
— Ah, da da da da ! Da da ah ah ! Ah da da, ah ah ah ! Ah, da da ! Ah, da da ah ah ! Ooh, ooh ooh, ooh ooh ! acheva Luke.
Mike applaudit, l'air revigoré.
— Franchement pas mal du tout ! Je vous rappelle que Mme Young veut qu'on la joue vendredi devant toute la classe, signala-t-il en repoussant une mèche rouge de son front.
Zoey jeta un regard taquin à Luke.
— Prépare-toi à avoir ton fan-club en émoi.
— Oh, tu ne vas pas recommencer ! Ce n'est pas de ma faute ! s'exclama-t-il en reposant sa guitare.
— Tu as fait un clin d'œil à Amy la dernière fois que tu as chanté devant la classe ! Elle était au bord du malaise ! riposta Zoey en riant aux éclats. D'après John, elle en parlait encore à Lily ce matin.
— Mais... Ça ne veut rien dire, soupira Luke après s'être essuyé le front de sa manche.
— Que veux-tu Lulu, tu es un bourreau des cœurs ! commenta Mike en lui jetant un regard moqueur.
— Pitié, pas Lulu ! gémit-il en se bouclant les oreilles.
Caitlin éclata de rire. Le monde pourrait s'écrouler autour d'elle, les pitreries de ses deux meilleurs amis la feraient toujours rire.
— Le célibat ne te réussit pas, vue le nombre de filles et de garçons qui veulent sortir avec toi, l'embêta-t-elle.
— Les garçons sont plus discrets au moins, bougonna-t-il. Sérieusement, la seule chose que je fais, c'est respirer !
— Plus discrets ? Ah bon ? D'après John, Wesley adore ton parfum ! rétorqua Caitlin, de plus en plus amusée par la situation.
— Ne me dis pas qu'avoir le choix entre toutes les filles te dérange ? remblaya Mike.
— Alors, commença Luke avec un sourire dépravé, je n'ai pas dit ça. Simplement, aucune ne m'intéresse, pas comme ça. Je n'ai pas ce truc, cette étincelle que j'ai, j'avais, se corrigea-t-il, avec... Avec ...
Le nom d'Emilie mourut sur ses lèvres.
— Bref, vous avez compris, conclut-il, les joues rosies.
Il baissa les yeux vers ses pieds. Mike parut gêné.
— De toute façon, j'ai toujours dit que tu étais difficile, rappela Zoey avec nonchalance.
Luke releva la tête. Une moue amusée prit place sur son visage.
— Difficile ? J'ai mes standards, c'est tout, affirma-t-il en croisant les bras.
— Standards élevés, si tu veux mon avis, le charria-t-elle avec un sourire narquois. Bon, ajouta-t-elle en prenant son sac, je dois aller à la librairie. Quelqu'un veut venir avec moi ?
— Librairie, tu as dit ? J'en suis ! s'exclama immédiatement Luke.
— Encore ? se récria Mike. Mais on n'a plus de place nulle part dans notre chambre tellement tu en as !
— On n'a jamais assez de livres, Mike !
Zoey éclata de rire et posa un regard interrogateur sur Caitlin.
— Je viens aussi, annonça-t-elle, après avoir une senti une pointe d'hésitation lui piquer la poitrine.
Gaël lui en voudrait, mais elle avait le droit de passer du temps avec ses amis, n'est-ce pas ? Elle n'exagérait pas, non ? Elle décida qu'elle y penserait plus tard et noya le doute au fond d'un marais fictif.
— Moi pas, il faut que je travaille, déclara Mike. Je vais changer de salle, du coup. Et chercher John histoire de commérer un peu.
— Il est en T5 avec Eileen, l'informa Zoey.
— Ah, fit Mike en mettant sa veste. Mon commérage semble compromis.
Luke éclata de rire.
— Arrête de rire ! râla Mike. Je vais la supporter jusqu'à ce que tu sois là parce qu'elle ne va pas arrêter de me parler de toi !
Caitlin haussa les épaules d'un air faussement affligé.
— C'est ton problème ! répliqua Luke en prenant son sac. Je passe juste dans notre studio déposer ma guitare.
Il la débrancha et la souleva avec mille précautions. Mike fit de même et Caitlin et Zoey les accompagnèrent jusqu'à leur chambre, où effectivement, les livres s'amoncelaient. Mike partit en direction de la salle et Caitlin suivit ses deux autres amis vers la sortie.
Perdue dans ses pensées, elle se demandait comment elle pourrait aider Mike à prendre confiance en lui. Elle savait que ça devait venir de lui, mais ne pouvait-elle pas essayer d'allumer l'étincelle ?
Elle s'aperçut qu'ils étaient arrivés. Zoey partit à l'accueil demander le livre qu'elle avait commandé pour l'histoire et Caitlin rejoignit Luke qui flânait dans les rayons. Elle lui trouva la mine soucieuse.
— Ne t'en fais pas, Mike te pardonnera. Il a juste encore du mal à digérer la chose, dit-elle arrivée à sa hauteur.
Il releva la tête vers elle, un air dur sur le visage.
— Il a quand même raison sur un point : c'est de ma faute si on n'a plus de groupe.
— Peut-être, admit Caitlin. Mais ça ne sert à rien de s'apitoyer. Tu ne peux pas changer le passé.
— C'est sûr, marmonna-t-il d'un ton amer.
— Et tes rendez-vous, ça allait dernièrement ? questionna Caitlin, pour changer de sujet.
— D'après Mme Watson, j'ai fait beaucoup de progrès, répondit-il en faisant mine de s'intéresser à un livre de SF.
— Je suis d'accord avec elle, affirma-t-elle.
Il releva la tête.
— Pourquoi ? interrogea-t-il en retour.
— Hier, tu as parlé d'Anna. Ce que tu ne fais jamais, d'habitude, expliqua doucement Caitlin.
— Ah, laissa-t-il simplement échapper.
Elle posa sa main sur son épaule et le regarda droit dans les yeux.
— Tu peux être fier de toi et du chemin que tu as parcouru, certifia-t-elle, sans sourciller.
— Je suppose que tu as raison, souffla-t-il, en revenant au livre qu'il tenait.
— Alors, tu as trouvé quoi ? demanda Zoey, dont le sac en tissu débordait désormais de mangas.
Pour toute réponse, il désigna l'ouvrage qu'il tenait dans les mains. Caitlin ne parvint pas à lire le titre, mais elle était presque sûre d'avoir déjà vu Émilie lire ce livre. Perplexe, elle suivit ses deux amis à la caisse.
🦝🦝🦝
Caitlin poussa la porte de son studio et s'effaça pour laisser passer Gaël. On était jeudi, aujourd'hui. Elle jeta un coup d'œil à son bureau où s'entassaient toutes ses affaires. Cela faisait longtemps qu'elle ne faisait plus l'effort de ranger sa chambre quand Gaël venait. Droite comme un i, elle s'assit sur son lit. Elle chercha Gaël des yeux et le trouva devant son bureau, ses carnets dans les mains. Elle se leva d'un bond, s'en voulant d'avoir tout laissé traîner.
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle en s'approchant.
— T'as pas encore dessiné dans le carnet que je t'ai offert ? interrogea-t-il en inspectant toutes les pages.
— Tu vois bien que non, répondit Caitlin en lui arrachant des mains.
Elle soupira en remarquant que son tiroir était ouvert et qu'il avait fouillé dedans. Il tenait entre ses mains un vieux carnet que Mike lui avait offert il y a longtemps. Ne savait-il pas encore qu'elle ne voulait pas qu'on fouille dans ses affaires ?
— Tu sais que je déteste quand on fouille dans mes affaires, dit-elle simplement en lui prenant des mains l'autre carnet.
Elle le remit à sa place et referma le tiroir.
— Ça va, répondit-il d'un ton détaché. Je voulais juste vérifier.
Caitlin haussa un sourcil.
— Vérifier quoi ? Je n'ai pas envie qu'on fouille dans mes affaires.
— C'est bon, tu ne vas pas en faire un plat ! Tu n'aurais rien dit si c'était Luke ou Mike qui avaient regardé, répliqua-t-il d'un ton sec.
— Mike ou Luke n'aurait jamais fait ça, affirma immédiatement Caitlin, avant de se mordre la lèvre.
Cette conversation était stupide, stérile et inutile. Et elle venait d'en remettre une couche.
Elle s'assit sur son lit, fébrile.
— Hier après-midi, tu n'as pas fait que de t'entraîner pour le spectacle ?
Caitlin n'hésita pas une seconde à être honnête.
— Non. J'ai accompagné Zoey et Luke à la librairie.
— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ? J'aurais pu t'accompagner !
— Gaël, tu n'aimes pas lire, rappela-t-elle, calmement. Et tu avais ta colle quand on y était.
— Et alors ? Tu aurais pu me le dire !
Caitlin se massa les tempes.
— Gaël, est-ce que tu te rends compte que tu me reproches une stupidité ? Tu m'en veux parce que je ne t'ai pas dit que j'allais à la librairie avec deux amis ? Je n'ai aucun compte à te rendre. Tu as quel âge, au juste ? Dix-sept ans ? Parce que j'ai plutôt l'impression d'être face à un gamin de treize ans, débita-t-elle d'un ton insensible.
Elle savait qu'elle avait exagéré, mais qu'est-ce qu'elle se sentait mieux !
— T'es en train de t'éloigner de moi, Caitlin. Tu t'en fiches de savoir comment je me sens, tu veux faire les choses indépendamment de moi, répliqua-t-il.
J'ai toujours fait les choses indépendamment de toi.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demanda-t-elle.
— Tu ne me demandes pas mon avis avant de faire les choses, comme par exemple le coup de la librairie. Ou alors le coup des répétitions.
— Des répétitions ? répéta Caitlin, ne voyant pas de quoi il parlait.
Il planta son regard dans le sien.
— Si tu as accepté de faire Don't Stop Me Now, c'est pour passer moins de temps avec moi.
Caitlin se leva d'un bond, furieuse. Qu'il lui reproche de ne pas lui parler de ce qu'elle faisait avec ses amis, elle voulait bien l'entendre. Mais ça, hors de question !
— Parce que maintenant pour exercer ma passion je dois te demander ton avis ? Ça ne va pas être possible, Gaël ! s'exclama-t-elle, face à lui, ses yeux plongés dans les siens. Ça, tu vois, c'est étouffant comme comportement. Et, si tu continues, alors un jour je partirai.
Il attrapa sa main et la colla contre son visage, en gémissant. Caitlin eut l'impression désagréable qu'il jouait un rôle. Elle se dégagea brusquement.
— Alors, je ne sais pas à quoi tu joues, mais arrête ça. C'est quoi ton problème ? demanda-t-elle, les bras croisés sur sa poitrine.
— RIEN ! hurla-t-il, d'une voix effrayante.
Caitlin sentit son cœur bondir de terreur mais n'en montra pas un signe.
— Je vois bien que si, insista-t-elle d'un ton sec.
Il ne répondit pas et regarda droit devant lui.
— Alors, qu'est-ce qu'il y a ? reprit-elle, plus calmement.
Il l'ignora et continua à se murer dans le silence. Caitlin soupira, se demandant comment elle allait s'en sortir. De toute évidence, quelque chose le tracassait vraiment.
— Quel est ton problème ? répéta-t-elle encore, d'une voix douce et chaleureuse.
Silence.
Seul le tic-tac inlassable de l'horloge retentissait dans la pièce.
Caitlin s'agaça.
Il n'ouvrit pas la bouche.
Et elle abandonna :
— Tant pis pour toi, lança-t-elle d'une voix glacée. Je ne veux plus t'entendre. Je t'ai laissé une chance de me le dire, maintenant tant pis.
Il posa un regard dément sur elle. Elle tint bon et soutint son regard.
— JE T'AIME, VOILÀ ! cria-t-il d'une voix colérique.
— C'est tout ? asséna Caitlin, placide.
Il se leva violemment et Caitlin le vit claquer brusquement la porte de la salle de bains. Ses dents claquèrent, ses lèvres tremblèrent, ses mains furent saisies de soubresauts. Elle s'assit sur son lit, sentant que ses jambes étaient sur le point de se dérober. Non, elle ne pouvait pas craquer maintenant. De toute évidence, elle était allée trop loin.
Elle respira profondément, vidant son esprit et chassant les larmes qui menaçaient de couler. « Tout va bien se passer. » se convainquit-elle en entendant les sanglots étouffés de Gaël. « Ça va aller. »
Elle se sentit mieux, jusqu'à ce qu'elle entende des bruits étranges en provenance de la salle de bains, comme si Gaël s'étouffait. Elle se leva d'un bond en pensant que si c'était ça, elle avait intérêt à se dépêcher. Elle ouvrit la porte en grand et manqua de s'effondrer de stupeur. Gaël s'étranglait, littéralement. Ses mains étaient sur sa gorge et il se balançait, le regard vitreux. Dès qu'il l'aperçut, il retira ses mains.
— Ça va ? J'ai cru que tu t'étouffais, demanda-t-elle, feignant de ne pas avoir compris qu'il avait fait exprès.
— Bah en même temps, il y a de quoi, répondit-il d'une voix sèche.
Caitlin ne réagit pas.
Il se leva et elle resta stoïque, sous le choc de ce qu'elle venait de voir.
— Je suis désolé, Caitlin. J'ai juste peur que tu ailles voir ailleurs, qu'un jour tu te rendes compte que je n'en vaux pas la peine, que tu vois Mike, Luke, ou n'importe qui d'autre différemment. Je me sens nul à côté de toi, et de Mike, Zoey, John, et Eileen, et encore plus à côté de Luke.
« Tout le monde se sent nul à côté de Luke, mais si pour en arriver là il faut perdre la personne qu'on aime le plus au monde, alors crois-moi, c'est mieux de ne pas être lui. Être soi-même, c'est déjà beaucoup, tu comprends ? »
Mais les mots refusèrent de franchir les lèvres de Caitlin.
— Je suis vraiment nul, poursuivit-il. En plus, je t'empêche de travailler, je sais que tu as un contrôle demain, et c'est de ma faute si tu ne peux pas réviser.
La perspective du contrôle de philosophie du lendemain parut ridicule à Caitlin à côté de ce qu'il venait de se passer, tout simplement parce qu'il venait de franchir la ligne noire.
— Ce n'est pas grave, parvint-elle à articuler.
La personne qui venait de parler n'était pas elle. Elle était terrifiée, recroquevillée au plus profond d'elle-même, là où elle pouvait laisser les larmes couler à travers ses fissures. Comment pouvait-elle siéger au royaume de l'impassibilité ? Même elle ne le savait pas.
Elle le contempla sans le voir s'avancer vers elle et l'enlacer. Raide comme un robot, elle lui rendit son étreinte, mais le coeur n'y était pas. Il n'y était plus depuis longtemps. Il ne restait plus que des cendres, au creux de ses limbes.
Caitlin fut saisie de vertiges. La tête lui tourna face à la violence de la terrible vérité qui la terrassa. Elle ne l'aimait plus. Elle n'était plus amoureuse de lui. Si elle n'avait pas été dans ses bras, elle se serait écroulée. Ce n'était plus possible. Une unique larme, ruine d'un amour mort, brisa l'harmonie de son visage.
~
Hey ! Comment ça va ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Est-ce que cette histoire vous plaît ? :)
On se retrouve samedi prochain pour le chapitre suivant ! 🧡
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top