⤞ Chapitre 13 || Elle m'a volé mon coeur
Zoey fronça les sourcils. Caitlin se mordit la lèvre.
— Où ça ?
— J'ai eu une idée, répondit Caitlin, un sourire étrange aux lèvres.
— OK, accepta Zoey en prenant sa main.
Elles se mirent en marche et Caitlin grava dans sa tête la senteur de l'automne, le parfum de lessive et de fraise de Zoey, la sensation de sa peau tiède contre la sienne. Il n'y a pas plus intime que de se tenir la main sous les feuilles volantes, songea alors Caitlin, émue jusqu'aux courbes des parois de son cœur amoureux. On peut tellement offrir en tendant la main à quelqu'un.
— J'adore les ratons-laveurs, dit Caitlin en sentant l'odeur d'humus mousseux d'après pluie. C'est mon animal préféré. Ils farfouillent partout en ville, certes, mais c'est parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement.
— Certaines décisions demandent beaucoup de courage, répondit Zoey en la regardant droit dans les yeux. Un raton-laveur, c'est mignon et ça n'a peur de rien. Comme toi.
Caitlin s'esclaffa, le visage cuisant. « Elle a dit que j'étais mignonne ! » songea-t-elle immédiatement, avant de se reprendre. Si Zoey lisait ses émotions sur son visage, elle était fichue !
— Même si ça implique de suivre son amie, ne put-elle s'empêcher d'ajouter.
Aïe, il lui faudra sûrement quelque stemms pour digérer l'intrusion de Caitlin.
La jeune femme se contenta de sourire piteusement. Zoey ne lui avait pas encore lâché la main.
— Avant d'appliquer mon idée, on devrait peut-être manger un morceau, suggéra-t-elle en tapotant la coque de son téléphone où elle rangeait toujours sa carte bancaire (comme ça, elle était sûre de ne jamais la perdre ou de l'oublier).
Zoey haussa simplement les épaules, l'air de dire « c'est toi qui décide ». Elles achetèrent des chips et de l'ice-tea, mangèrent des cacahuètes et des pizzas dans le vent humide aux couleurs fauves et parlèrent de films, de musique, de rêves qu'elles n'avaient pas réalisés, de leur année de seconde, des discussions qu'elles avaient eues ensemble dans leur studio commun jusque tard dans la nuit ( ou très tôt le matin, ça dépend du point de vue) et du temps qui passe, inlassable, qui emmène avec lui les rires des enfants et les rapportent en sanglots étouffés dans les feuilles moisies.
Et puis, elles se relevèrent, ramassèrent les emballages et les jetèrent à la poubelle, époussetèrent leurs vêtements et se perdirent dans les rues de New-York. Caitlin menait la danse, l'emportant dans des ruelles toujours plus méconnues. C'était ça, New-York. C'était croire connaître les mille et un lacets secrets de la ville, toutes les petites échoppes aux objets les plus bizarres qui soit, tous les cafés aux thèmes et aux décors d'une autre époque pour en fait en découvrir des nouveaux à chaque coin de rue oublié.
Elles arrivèrent devant un immeuble d'un blanc usé par les années et au toit érodé par la pluie. Devant le porche, un grand arbre aux feuilles jaune semblait gardée l'entrée. Ce n'est pas par là que Caitlin se dirigea : elle fit le tour de l'immeuble abîmé et arriva devant les escaliers extérieurs, qui menaient jusqu'au toit. Elle jeta à Zoey un regard taquin avant de démarrer l'ascension.
Elle n'était pas sûre d'avoir le droit de faire ça, mais c'était l'un de ses spots préférés pour dessiner, peindre ou se recueillir. Elle se rappelait avec amusement s'être enfuie ici pour se soustraire aux pattes de Gaël pendant l'été.
— Je ne savais pas que tu faisais ce genre de choses, lança Zoey derrière elle. La sage et discrète Caitlin qui se faufile sur les toits new-yorkais !
Caitlin sourit, de plus en plus fière d'elle.
— Il y a tellement de choses que tu ignores à mon sujet, dit-elle en lui jetant un regard qu'elle espéra suffisamment mystérieux.
— Je ne crois pas, non, contrebalança Zoey en lui jetant une œillade énigmatique.
Caitlin sentit son visage s'échauffer et gravit les dernières marches en évitant de se retourner.
— Tadam ! s'exclama-t-elle en dévoilant à Zoey les toits new-yorkais.
Elle s'accouda au muret et observa les immeubles plus haut qu'elle s'enfoncer dans la brume. Quand elle venait ici, c'était pour ses rappeler que ses problèmes étaient insignifiants aux yeux de l'univers et qu'il y avait bien plus grave. Une façon de relativiser, en somme.
— Joli, souffla Zoey en la rejoignant.
Elle sortit un paquet de cigarettes de sa poche et un briquet. L'étincelle qui suivit rappela à Caitlin les hautes lumières qu'elle essayait vainement de recueillir en elle en se rendant ici. Elle ne se sentait pas écrasée par la vie, non, bien au contraire. Elle avait plutôt l'impression de la survoler.
Elle tourna la tête vers Zoey autour de qui la fumée se mêlait au brouillard (avec une odeur âcre qui la fit tousser, aussi). Son regard semblait vague, inaccessible. Son esprit n'était pas avec elle.
Les doigts de Caitlin bouillonnaient. Elle rêverait d'avoir avec elle son bloc et ses crayons pour pouvoir la dessiner, dessiner jusqu'à en avoir mal aux doigts. Elle ajouterait sûrement des comètes dans la brume, et puis des violons qui joueraient dans un coin, et des feuilles de platanes, cisaillées, avec cinq grands lobes, oranges.
Dans les yeux de Caitlin (et dans ses souvenirs, mais ça elle s'en rendra compte plus tard), elle était fascinante. Alors qu'en fait, elle était juste un peu trop triste et voulait juste oublier la vie un instant. Il n'y avait en réalité rien d'enchanteur là-dedans. Seulement voilà, Caitlin n'était qu'une ado à la vision de la vie émoussée par déjà trop de prises de conscience sur la souffrance à laquelle être en vie consistait. Donc, si elle pouvait, elle aussi, laisser les sentiments l'emporter sur la raison, ne serait-ce que pour savoir comment son cœur se sentirait, elle le ferait.
Zoey écrasa son mégot de cigarette et le posa dans un cendrier qui traînait là, sûrement abandonné par des habitués. Elle essuya ses mains sur son jean et tendit la main à Caitlin.
— Tu danses ? demanda-t-elle.
— Il n'y a pas de musique, répondit un peu bêtement Caitlin.
Zoey éclata de rire.
— Alors on n'aura qu'à l'inventer.
Caitlin glissa sa main la sienne et la laissa la ramener contre elle. Doucement, son corps se sépara du sien pour se rapprocher encore, puis s'éloigner. Leurs mouvements étaient fluides, calqués l'une sur l'autre, parfois lents, parfois effrénés, mais il leur semblait que chacune anticipait les gestes de l'autre. Caitlin avait même fermé les yeux, elle n'avait plus besoin de la voir, elle suivait son instinct. Au creux de son oreille, elle entendait les violons de l'automne chanter, lui chuchoter des merveilles, et puis quelques sanglots.
Une dernière fois, elle s'éloigna et se rapprocha. La main de Zoey descendit sur sa taille et Caitlin se demanda subitement à quel moment elles avaient franchi ce pas. Leurs gestes se suspendirent, chacune attendant que l'autre prenne les devants. Les yeux de Zoey étaient aussi sombre qu'une forêt sous-marine.
Caitlin hésita. Elle pensa qu'elle avait suffisamment pris d'initiatives pour la journée.
— Vas-y, souffla Zoey, en réponse à sa question silencieuse.
Doucement, comme si l'instant était un fragile pétale de nénuphar, Caitlin caressa la joue de Zoey qui ferma les yeux. Le cœur de Caitlin battait trop fort, au point qu'elle n'était plus sûre d'entendre les violons. Elle avança ses lèvres.
Ce fut d'abord très doux, très lent, un peu timide. Puis Caitlin passa ses deux bras autour de la nuque de Zoey, qui la plaqua contre le muret. Sa bouche avait le goût de la cigarette, et de l'automne aussi, de l'air humide qui soulève les perles d'eau des feuilles mortes au petit matin, des troncs couverts de mousse, des châtaignes qui cuisent à feu doux.
Caitlin passa ses mains dans les cheveux doux de Zoey et gémit quand elle lui mordilla la lèvre. Elle n'avait plus froid, elle avait l'impression d'être devenue un soleil qui inondait d'incandescence tout ce qu'il touchait. A bout de souffle, elle se recula.
— Depuis quand ? chuchota Caitlin, en touchant sa mâchoire de la pulpe de ses doigts.
— Depuis quand quoi ? questionna Zoey, les yeux à moitié clos.
— Depuis quand tu as compris.
Zoey ouvrit les yeux et posa sa main par-dessus celle de Caitlin.
— Je n'en étais pas certaine, murmura-t-elle.
Caitlin ne sut que répondre à ça et posa sa tête sur l'épaule de Zoey, qui soupira d'aise.
Ce n'est que quelques longues minutes plus tard qu'elles retournèrent au lycée.
— Vous étiez où ? questionna agressivement le surveillant qui gérait les entrées et les sorties.
— J'étais... vous savez où j'étais, répondit durement Zoey.
Un air compatissant apparut brièvement sur le visage du surveillant.
— Et toi ? ajoute-t-il à l'attention de Caitlin.
— Chez mes parents, prétendit-elle.
Il ne vit pas leurs yeux un peu trop brillants.
~
Bonsoir ! Comment allez-vous ? :)
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Que pensez-vous de cette courte histoire ? Il reste deux chapitres, l'épilogue et l'appendice !
A très vite ! 🧡
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