⤞ Chapitre 12 || Donne-moi du bonheur

Caitlin enfonça son nez dans le col de sa veste. La pluie avait cessé et le soir tombait. Ses pieds la brûlaient comme si elle avait marché trop longtemps sur une plage à midi, heure solaire. Ça faisait une heure que Zoey avait disparu dans cet hôpital et elle commençait sérieusement à s'impatienter. Elle s'était mise bien en évidence, de façon à ce qu'elle ne puisse pas la manquer. Croix de bois croix de fer, elle dirait à Caitlin ce qu'il se passe.

— Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna la voix de Zoey, à quelques pas d'elle.

Caitlin fit volte-face et manqua peu de se prendre les pieds dans les lacets de ses converses. Zoey avait mis un masque joyeux, et il y a quelques semaines, elle n'aurait sans doute pas remarqué la vague attristée qui noyait les algues dans ses yeux.

Caitlin respira un grand coup.

— Je t'ai suivie.

Zoey haussa un sourcil. Le fil d'amitié qui les unissait sembla se tendre tout d'un coup, comme s'il était sur le point de craquer. Les cheveux de Zoey volèrent sous l'effet du vent, tel un amas de serpents prêt à la pétrifier.

— Et pourquoi ça ? lança-t-elle d'une voix cinglante.

Caitlin avala péniblement sa salive, cherchant ses mots avec le plus grand soin. Elle la fixait, une lueur furieuse remplaçant la tristesse de ses yeux.

— Je m'inquiète pour toi, finit-elle par déclarer. Tu sors beaucoup cet an-ci et tu as les yeux rouges.

— Tu ne pouvais pas simplement me poser la question, au lieu de me filer comme si j'étais ta proie ? répliqua aussitôt Zoey, avec hargne.

Elle croisa brutalement les bras sur sa poitrine. Quelques veines apparurent même au sommet de ses tempes.

Caitlin baissa un instant les yeux, désarçonnée par la colère qui transparaissait dans chacun des gestes de la jeune femme.

— Tu n'avais pas l'air de vouloir m'en parler, objecta-t-elle, avec le plus de gentillesse possible.

Zoey ferma les paupières pour se calmer. Caitlin détailla sa poitrine se soulever profondément et le sang qui pulsait de chaque côté de sa gorge. Elle s'imagina embrasser la nuque de Zoey et chassa aussitôt cette image de son esprit, priant pour que ses yeux n'aient pas pris une teinte trop ardente qui dévoilerait la nature de ses pensées.

— Viens, marmonna-t-elle sur un ton bourru.

Sans même attendre sa réponse, Zoey se mit en marche. Caitlin s'empressa de la rattraper et sa capuche tomba, dévoilant ses cheveux frisés. Comme son pas était sec et son visage fermé, elle n'osa pas la questionner et opta pour la laisser briser le silence elle-même. Lui en voulait-elle à ce point ?

Caitlin n'avait pas pensé à nuire, loin de là ! Elle voulait savoir ce qui n'allait pas pour lui apporter son aide, et ce qu'elle avait vu l'avait laissée perplexe. Elle ne parvenait pas à recoller les morceaux, quelque chose manquait, un truc était incohérent, mais impossible de mettre le doigt dessus. Ah ! Ce qu'elle aurait aimé avoir les capacités d'analyse de Luke ! Rien ne lui échappe jamais.

Caitlin ruminait encore quand elles arrivèrent à Central Park. Elle jeta un regard interrogatif à Zoey qui se contenta de l'ignorer royalement.  A sa connaissance, songeait-elle en lui jetant des notes de musique à la dérobée, Zoey n'était pas malade. Elle craignit soudainement d'être allée trop loin et d'avoir été trop intrusive.

Au milieu des arbres habités par les écureuils volants, face au lac infesté de canards – Mike dirait que ces cousins des poules sont à éviter comme la peste – Zoey s'installa sur un banc. Timidement, Caitlin s'assit à côté d'elle. L'instant lui parut surréel : elle était seule à  Central Park avec celle dont elle était secrètement amoureuse. Les cheveux foncés de Zoey virevoltaient comme les feuilles automnales dansaient dans le vent, l'odeur des champignons et de la pluie lui donnaient une aura de déesse de la forêt.

— J'imagine que tu as déjà tout compris.

Le son froid et brutal de la voix de Zoey la ramena brutalement sur terre. L'instant perdit immédiatement en romantisme.

— Hum, murmura simplement Caitlin, songeant qu'il était tout dans son intérêt de faire profil bas.

Zoey soupira.

— Tu peux me le dire. C'est fait, maintenant.

Caitlin secoua la tête. Les battements de son cœur s'accélérèrent quand elle avoua :

— Je n'ai pas tout deviné. Tu... tu n'es pas malade au moins ? demanda-t-elle d'une voix plus tremblante.

Elle maudit sa faiblesse et l'irrémédiable fait que sa peur était plutôt claire.

Zoey éclata de rire, d'un rire cynique, glaçant. Le sang cessa brutalement d'irriguer les veines de Caitlin et les traits de son visage imitèrent la peur panique que nous ressentons tous en voyant un fantôme sortir d'outre-tombe.

— Si seulement ! parvint à articuler Zoey.

Mal à l'aise, Caitlin ne savait ni ce qu'elle était censée dire ni comment elle était supposée se comporter.

— Ce n'est pas moi qui suis malade, reprit Zoey. J'aurais préféré, mais non, il a fallu que ce soit l'être le plus innocent au monde que je connaisse qui se retrouve sur ce foutu lit d'hôpital avec encore quelques mois à vivre. Tu imagines, à quatorze ans seulement, apprendre qu'on en a seulement pour quelques mois ?

Zoey partit d'un rire sans joie et le cœur de Caitlin tressaillit. Elle parlait de sa petite sœur, Zélie.

— Le comble dans tout ça, c'est qu'elle le vit bien mieux que moi.

Elle posa un regard sévère sur Caitlin.

— Tu comprends pourquoi je vais la voir aussi souvent que je peux, maintenant ? demanda-t-elle. On a découvert la leucémie bien trop tard, si on l'avait remarquée plus tôt, elle aurait eu une chance.

Caitlin déglutit et passa un bras réconfortant autour des épaules de Zoey.

— Je suis désolée, chuchota Caitlin.

— Pas autant que moi, rétorqua Zoey.

Elle se lança ensuite dans une explication sur l'avancement insidieux de la maladie, insulta copieusement la vie et ses injustices et conclut en disant qu'elle ne savait pas comment Zélie faisait pour être aussi apaisée et résolue, mais pas résolue dans le mauvais sens, expliquait Zoey, résolue au sens où c'était devenu son quotidien, une force pour vivre l'instant présent dans son entièreté. Elle n'avait pas peur de la mort, disait Zoey, elle avait peur d'agoniser, de souffrir avant la délivrance finale, et de la blessure béante qu'elle laisserait chez ses proches. Elle n'a même pas pleuré, pas une fois. Elle était trop forte pour oser pleurer, trop faible oser être honnête.

— Je profite de ma petite sœur. J'enregistre ses sourires, je capture son rire au creux de mon cœur et je mémorise ses remarques pleines d'humour.

Ça faisait maintenant quelques minutes que Caitlin l'écoutait raconter tout un tas de souvenirs. Elle savait que dans son oreille, ses paroles étaient sauves, qu'elles seraient dorlotées comme un doudou et chéries tout autant. Caitlin songeait aussi que cela faisait visiblement bien longtemps que Zoey gardait tout ça pour elle, et telle une casserole d'eau bouillante, le récipient avait fini par déborder.

Sous les caquètements des canards et l'odeur moisie de l'automne, Caitlin se félicita de l'avoir suivie. Et elle tomba encore plus amoureuse de Zoey, de son sourire rêveur, de sa façon de voir les choses et de son courage.

— Ne le dis pas aux autres, la supplia Zoey, au terme de leur discussion.

Derrière elle, la nuit tombait lentement, comme si elle ne voulait pas non plus qu'une journée supplémentaire ne s'achève.

— Bien-sûr, promit Caitlin.

Et cette promesse, elle savait qu'elle la tiendrait. Puis, elle se leva et tendit la main vers Zoey, le cœur battant :

— Tu viens ?

~

Hello ! Comment ça va ? :)

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? :)

On se retrouve samedi prochain pour le chapitre suivant !

Prenez soin de vous ! 🧡

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