⤞ Chapitre 1 || Une rentrée amère portée par une mer enchaînée


Septembre 2017


Dans l'obscurité naissante de la pièce, Caitlin pensait à tout ce qui s'était passé ces derniers mois. D'abord, les tragiques retrouvailles du corps d'Anna. Ensuite, la souffrance de Luke. La rupture brutale avec Emmy. La fin du groupe. Mike qui avait eu du mal à digérer la chose. Mike qui avait essayé de comprendre Luke. Luke qui l'avait repoussé. Luke qui avait remonté la pente. Mike. Luke. Elle soupira.

   Aujourd'hui, elle entrait en terminale. Elle devait reconnaître qu'elle ressentait un peu d'appréhension à l'idée d'entamer sa dernière année à Saint-Matthew. Mais aujourd'hui, elle entrait en terminale.

Caitlin admettait que cette rentrée avait un goût étrange : c'était le début de sa dernière année de lycée. Il y avait quelque chose d'effrayant dans l'idée qu'elle ne serait plus à Saint-Matthew avec Luke et Mike l'année prochaine. Elle se revoyait encore franchir les lourdes portes d'un air émerveillé, se dire qu'elle avait tout le temps devant elle et qu'elle pourrait décrocher la Lune si elle le voulait. Seulement, deux ans s'étaient écoulés et il n'y avait pas la moindre trace de poussière lunaire dans sa chambre.

    La jeune fille n'avait qu'une angoisse : que son chemin se sépare de celui de ses amis. Elle était si proche d'eux qu'elle ne parvenait pas à imaginer sa vie sans eux. Elle souffla bruyamment. Ça faisait au moins dix minutes qu'elle était prête, coiffée, maquillée et habillée. Sans accepter pourquoi, elle repoussait le moment de descendre rejoindre ses amis qui l'attendaient.

   Au fond d'elle, elle savait pourquoi. Elle n'était juste pas prête à l'assumer. Aussi, elle révoqua chaque idée avant même qu'elle ne se soit entièrement formée dans son esprit. Gaël l'agaçait. Ça par contre, elle voulait bien l'admettre, surtout qu'elle règlerait ça en lui en parlant aujourd'hui.

   Rassurée, elle se leva et ouvrit les rideaux de la pièce. Le soleil l'aveugla. Ça, c'était tout sauf un temps de rentrée. Elle prit son téléphone, sa carte, ses clés, son sac en tissu – il ressemblait plus à un tote bag qu'autre chose, mais Caitlin l'adorait, car elle y avait écrit l'art pour l'art – et quitta son studio, songeant que ses amis seraient sûrement d'accord pour se retrouver ici ce soir avant l'extinction des feux.

  Arrivée à la cafétéria, elle vit tout d'abord Mike et Luke, déjà à une table, visiblement en train de débattre d'un sujet important puisque tous deux faisaient de grands gestes. Elle paya rapidement son petit-déjeuner : aujourd'hui ce serait œufs brouillés avec des toasts. Et un bon verre de jus d'orange.

— Ah Cait' ! Tu tombes à pic ! Tu peux dire à Mike que j'ai toujours raison ? l'accosta Luke, un air taquin déjà sur le visage.

Son visage était plus lisse, bien moins marqué que les années précédentes.

— Non, Luke ! J'ai raison ! On met le lait avant les céréales ! protesta vivement Mike, dont le cernes attestaient d'une nuit passée à avaler la nouvelle saison des Seven Deadly Sins.

— Non ! réfuta Luke. Il faut mettre le lait après ! Si on fait ta technique, on a plus de chance de mettre du lait partout en mettant les céréales ! Je suis sûr que c'est scientifiquement prouvé.

Caitlin secoua la tête. Les bêtises de ses amis, bien qu'amusantes, lui paraissaient parfois trop enfantines. En même temps, c'étaient le principe des âneries.

— N'importe quoi ! se récria Mike en croisant les bras.

— Au pire, mangez vos céréales sans lait, non ? proposa l'adolescente en posant son plateau à côté de celui de Mike.

— Sacrilège ! s'exclamèrent-t-ils, d'une même voix.

Caitlin leva les yeux au ciel, sans pouvoir empêcher ses lèvres de s'étirer en un sourire amusé.

— Moi, je pensais que vous débattiez d'un sujet important ! Comme par exemple, que peuvent bien être ces fameuses colles ? D'après ce qu'Emmy et Alice m'ont envoyé, ça n'a pas l'air très joyeux, dit-elle en découpant un morceau de toast.

— Comment ça d'un sujet important ? répéta Luke, indigné. Parce que pour toi, ce n'est pas important de savoir si on met le lait avant ou après les céréales ?

   Caitlin soupira. Dès qu'elle ou Mike prononçait le prénom d'Emilie ou Alice, il changeait de sujet à l'aide d'une pirouette. En prenant son verre de jus d'orange, un détail sur les plateaux de ses deux amis la frappa.

— Non mais c'est une blague ? s'écria-t-elle en les observant tour à tour. Vous débattez sur le lait et les céréales alors que vous n'en avez même pas pris ?

— C'est quand même important de savoir, répondit Mike en haussant les épaules. Pour répondre à ta question, en effet ça ne m'a pas l'air marrant du tout cette histoire de colles en France. J'espère qu'ils feront différemment chez nous !

— Sauf pour les shows. Moi, je veux bien un show toutes les deux semaines ! intervint Luke, d'un ton très neutre.

Caitlin mordilla dans son toast et prit une bouchée de ses œufs. Ce fut ce moment que Gaël choisit pour sortir de nulle part.

— Salut tout le monde ! Salut, toi, ajouta-t-il d'une voix douce à l'intention de Caitlin.

   Il se pencha vers elle pour l'embrasser et immédiatement, Caitlin sentit une profonde répulsion en elle. Elle avait la bouche pleine, ne voyait-il pas que ce n'était pas le moment ? Ne pouvait-il pas attendre 30 secondes qu'elle n'ait plus rien dans la bouche ? Elle ne le laissa pas aller plus loin qu'un bref baiser sur les lèvres. Cela ne lui provoqua pas un seul frisson, et elle se souvint avec effroi qu'à chaque fois qu'elle avait vu Luke embrasser Emilie, elle les avait trouvés bien plus passionnés. « Maintenant que j'y pense, ce n'est peut-être pas une bonne comparaison, étant donné qu'ils ne sont plus ensemble. » songea-t-elle, les yeux baissés sur sa nourriture. Elle entendit la chaise en face d'elle racler le sol et releva la tête pour voir Gaël s'asseoir à côté de Luke, qui semblait perdu dans ses pensées.

Se sentant coupable, Caitlin réfléchit à une question qu'elle pourrait lui poser pour lui montrer qu'elle s'intéressait à lui.

— Bien dormi ? finit-elle par questionner avant de se rendre compte de la banalité de sa question.

Il était son copain, quand même ! Elle se disait qu'elle pourrait faire un effort. D'un autre côté, elle estimait qu'avoir son quota d'heures de sommeil était vital ; son père lui avait toujours dit que savoir travailler était une chose, mais se reposer en était une autre, qu'il ne fallait jamais négliger. Bref, aux yeux de Caitlin, c'était important. D'ailleurs, elle sermonnerait Mike à ce sujet.

— Plutôt bien, oui. Mais j'aurais mieux dormi avec toi, répondit Gaël, son regard ancré dans le sien.

   Si Caitlin avait eu un morceau de toast dans la bouche, elle se serait étouffée avec. Pas de doute, il faisait bien allusion au fait qu'elle lui avait dit non hier soir pour qu'il dorme avec elle dans son studio. Elle l'avait déjà laissé s'inviter chez elle tout l'été, alors que quand il l'était là, il l'empêchait – malgré lui – de dessiner et de jouer de la musique. Ne sachant que dire, elle réfléchit à toute allure à une réponse. Par chance, Luke la sortit de ce mauvais pas :

— Tu crois qu'elles vont donner quoi ces colles ?

— Je ne sais pas, répondit Gaël en le scrutant d'un air perçant. Tout ce qu'on m'a dit, c'est qu'on jouera une pièce de théâtre toutes les trois semaines.

Caitlin se mordit la lèvre en se rendant compte qu'elle ne parvenait plus à deviner les émotions de ses deux amis en croisant leurs yeux.

— Ah, je vois. Et en maths, ça va donner quoi ? continua Luke, sans paraître dérangé par le regard étrange que lui jetait Gaël.

— En maths..., bougonna Mike. Quelle idée !

— Il fallait faire comme moi : abandonner l'option physique pour prendre celle d'économie, comme ça tu n'as pas de colles de maths mais d'économie, affirma Caitlin, soulagée que la conversation ait pu reprendre.

  Elle tressaillit en sentant la main de Gaël toucher son genou sous la table en la regardant avec insistance. « Mais qu'est-ce qu'il a ? » songea-t-elle. Il ne prenait même plus la peine de lui demander si elle était d'accord avant de la toucher. « Bon, peut-être que j'exagère. C'est juste mon genou, après tout. » ajouta-t-elle en pensée.

Elle le laissa faire et s'obstina à regarder ailleurs pendant qu'il mangeait en la fixant. Plus personne ne parlait, et alors que Caitlin se demandait comment la situation aurait pu être encore plus gênante, elle vit Luke lever les yeux au-dessus d'elle et sentit Gaël retirer sa main, l'air déçu. Il y a un moment pour tout ! Et pour ça, ce n'était clairement pas le bon.

— Vous avez tous des têtes de déterrés, c'est incroyable ! s'exclama tranquillement Eileen en s'installant à côté de Caitlin.

— C'est le fait de te voir. C'est grisant, rétorqua Luke, sur le même ton tranquille qu'elle avait employé.

— Luke ! le réprimanda Zoey, qui venait de s'asseoir à côté de Gaël.

— Je plaisante, évidemment ! se sentit-il obligé de préciser.

— Dommage, marmonna faiblement Mike.

   Luke échangea un regard amusé avec son meilleur ami. Caitlin ne releva pas. Elle savait que si tous trois se toléraient, c'était uniquement pour elle. Elle observa sans la voir Zoey attacher ses cheveux bruns, dévoilant ses yeux gris verts.

Elle n'écouta pas la fin du petit déjeuner, absorbée dans ses pensées. Pendant les vacances, elle avait demandé à Gaël d'être moins collant avec elle, étant donné qu'il ne la lâchait pas d'une semelle. Par exemple, il venait partout avec elle, quoi qu'elle fasse, qu'elle le veuille ou non et ne la laissait rien faire seule. Il n'avait pas compris pourquoi elle lui demandait plus d'air et n'avait pas vu où était le problème, si bien que Caitlin en était venue à penser qu'elle avait imaginé tout ça et s'était créé un problème là où il n'y en avait pas.

   Mais le sentiment demeurait : elle se sentait à l'étroit. Elle faisait tout pour le repousser et l'oublier, mais à chaque fois, il revenait. Un peu comme des griffes posées sur ses épaules, qui ne surgissaient que pour l'emporter au pays des ombres.

   La première sonnerie retentit, la tirant de ses rêveries. Au moins, elle commençait par économie. Le professeur leur expliquerait le fonctionnement des colles puis il commencerait son cours. Elle avait passé une partie de l'été à faire le programme qu'avaient fait ceux qui avaient déjà pris l'option en première, et elle devait admettre qu'elle trouvait l'économie bien plus intéressante que la physique. Elle partit si vite qu'elle aurait sûrement oublié d'embrasser Gaël s'il ne lui avait pas volé un baiser. Et à vrai dire, elle s'était arrangée pour ne pas qu'il puisse aller plus loin. Elle n'était pas d'humeur pour un french kiss, ce matin.

   Elle s'assit entre ses deux amies et soupira de frustration : que voulait-elle dire à Gaël, déjà ? Qu'il l'agaçait à la toucher sans arrêt, la main, le bras, la jambe ? C'était ridicule. Elle se rappelait honteusement lui avoir demandé de la laisser tranquille quand elle dessinait dans son carnet pour le lycée : il s'était mis à côté d'elle et s'était mis en tête de toucher sa main et son bras gauche toutes les deux secondes, ce qui avait fini par l'agacer. Par la suite, lorsqu'il était rentré chez lui, il n'avait eu de cesse de lui demander ce qu'elle faisait, où elle était, avec qui elle était, de quoi ils parlaient, tout ça jusqu'à ce qu'il la revoit. Depuis, il n'avait pas arrêté, jusqu'à ce qu'elle lui en parle, ce jour-là et qu'il lui réponde « Mais moi, j'aime bien. J'ai besoin de savoir. Tu sais, je t'aime. Ça me blesse que tu me dises ça, surtout que je ne vois pas à quel moment je suis étouffant. C'est normal de vouloir savoir ce que tu fais, avec qui tu le fais et où tu es ».

   Elle se souvenait aussi avoir ignoré tous ses messages une après-midi – elle lui avait pourtant dit qu'elle peignait ! – et il s'était inquiété au point d'imaginer qu'il lui était arrivé quelque chose. Caitlin lui avait gentiment rappelé qu'elle l'avait prévenu, il lui avait dit « Comprends-moi, je suis rien sans toi. Tu m'as terriblement manqué. » et elle avait culpabilisé toute la soirée et une partie de la nuit de n'avoir pensé qu'à elle toute l'après-midi.

— J'espère qu'on a de nouveau le prof beau gosse, lança tout d'un coup Eileen, sur un air conspirateur.

— Te rincer l'œil sur Luke ne te suffit plus, maintenant ? la railla Zoey.

— Continuer à se rincer sur l'œil sur quelqu'un qui n'est pas prêt de vous aimer ne sert à rien, répondit-elle, stoïque.

— Tu sais Eileen, si tu n'avais pas essayé de mettre ton nez dans ses affaires pour attirer son attention, il t'apprécierait peut-être un peu plus, intervint Caitlin, avec franchise. Luke ne donne pas sa confiance à n'importe qui.

Eileen avait un crush sur Luke depuis le début, depuis qu'elle était arrivée l'an dernier, et ce n'était un secret pour personne, y compris pour le concerné, qui ne pouvait pas la voir en peinture... Plutôt ironique, quand on y pense.

— J'ai juste mis les pieds dans le plat, objecta-t-elle en haussant les épaules.

— Mais peut-être que si tu essaies d'être amicale avec lui, vous pourrez être amis, rétorqua pensivement Zoey.

— Je ne veux pas être amie avec lui, grommela-t-elle, tandis que le professeur entrait dans la salle.

Au vu de l'air déçu d'Eileen, ce n'était pas le prof beau gosse.

Le silence se fit dans la salle.

— Bonjour à tous et à toutes. Je suis M. Thanez, votre professeur d'économie.

Il écrivit son nom au tableau et Caitlin grimaça en entendant la craie grincer.

— C'est votre dernière année, la dernière ligne droite avant le grand saut, reprit-il. Néanmoins, gardez à l'esprit que vous ne seriez pas là si nous vous pensions incapable d'avoir votre diplôme. Vous êtes tous talentueux. Aussi, contrairement à certains de mes collègues, je ne pense pas que vous descendre vous aidera à progresser. C'est pourquoi, les colles que vous aurez avec moi seront là pour vous aider à progresser dans la bienveillance.

Il marqua une pause avant de reprendre :

— Croyez-moi, vos camarades qui font de la littérature vont en baver. Blague à part, je peux déjà vous dire que ceux qui font musique feront un show toutes les deux semaines – aux semaines paires, il me semble – , ceux qui font du théâtre joueront une pièce toutes les trois semaines, ceux qui font de la danse auront aussi un spectacle toutes les deux semaines mais aux impaires. Pour ceux qui font dessin, peinture, sculpture, arts de la mode, photographie, une exposition sera organisée tous les mois. Vos professeurs vous ont diront plus !

« C'est Luke qui va être content » songea Caitlin, ravie pour son ami.

— Maintenant, je vais vous donner vos emplois du temps et vos carnets de correspondance, pour le peu qu'ils vont seront utiles, poursuivit M. Thanez en sortant de son sac une pile de carnets vert pomme de la taille d'un carnet de chèque.

Caitlin se sentit soulagée en remarquant qu'ils n'avaient pas cours le mercredi après-midi. Par contre, ils avaient cours le samedi matin. « On ne peut pas tout avoir ! » pensa-t-elle, déçue.

— Ah oui, j'oubliais. Votre groupe de colle pour l'économie ne sera pas le même que celui de votre matière artistique. Vous recevrez vos horaires de colles par mail toutes les semaines. Elles démarreront la semaine prochaine. Vous avez des questions, avant que je commence ?

Un silence lui répondit.

— Parfait ! Chapitre 1...

🦝🦝🦝

— Il va y avoir une exposition par mois, trop bien ! Je me demande s'il y aura un thème. Vous croyez qu'il y aura un thème ? demanda John, que les mots de M.Thanez avaient mis de très bonne humeur.

— Ça serait sympa, en tout cas, répondit Zoey. On viendra voir vos expositions ! certifia-t-elle en lui tapotant l'épaule.

Ils venaient de quitter la salle et marchaient tranquillement dans les couloirs, en direction de la sortie.

— Peut-être qu'ils mélangeront la sculpture et la photographie, éluda Eileen. Ça serait sympa de voir tout ce qu'on peut faire !

— Faire au sens propre, précisa John, faisant référence à toutes les fois où il avait vu Eileen les mains pleines d'argile.

— Elle était facile, celle-là, répliqua-t-elle, lassée.

— Mon inspiration pour faire des blagues s'est envolée avec Emma, déplora-t-il.

Caitlin écarquilla les yeux. Avait-elle bien entendu ?

— Quoi ? fit-elle. Vous n'êtes plus ensemble ? s'étonna-t-elle.

John fronça les sourcils.

— Mais non, elle est juste rentrée en France.

— Ah, ouf ! laissa échapper Caitlin, avec soulagement. J'ai eu mon compte de rupture brutale.

John ouvrit la porte et la lui tint. L'air chaud de septembre sécha tous les restes d'appréhension de Caitlin. Tout irait bien, cette année.

— J'imagine que tu parles de Luke et Émilie, s'avança John en la rattrapant.

— Tout juste, confirma Caitlin, encore abasourdie par la soudaineté de l'événement.

— Franchement, je ne l'ai pas vu venir, avoua-t-il, en fronçant le nez.

Le vent souleva ses boucles châtain, les faisant s'agiter en tous sens, telles des volutes de fumée.

— Moi non plus. Et pourtant, je le connais très bien, soupira Caitlin en se grattant le front.

— Moi, ça ne m'a pas étonnée, s'immisça Eileen, d'une voix claire.

Caitlin lui jeta un regard interloqué et ralentit le pas. Elle plissa les yeux sous le soleil haut pour distinguer les traits de son amie.

— Comment ça ? interrogea Zoey, suspicieuse.

— Eh bien, tout le monde sait qu'il y a des choses qu'il ne lui a pas dites, comme cette histoire de cauchemars et tout. Pour moi, ça trahissait déjà un problème de son côté, expliqua-t-elle. Et puis, on est tous d'accord pour dire que la découverte de la mort d'Anna l'a secoué. Donc à partir de ça, on peut déjà se faire une idée, conclut-elle en haussant les épaules.

— Parfois, les gens ont tendance à vouloir s'isoler quand tout s'écroule. Ils ne pensent pas à mal, ils pensent faire ce qu'il y a de mieux pour les autres et se contrefichent de ce qui peut bien leur arriver, songea Caitlin, à haute voix.

John lui jeta un regard sceptique et secoua la tête.

— Exactement. Voilà pourquoi je n'étais pas contente du tout d'apprendre leur rupture, continua Eileen. Pour moi, c'était surtout mauvais signe. Mais, ça a l'air d'aller mieux, maintenant.

— Je te l'ai dit, essaie d'être plus gentille avec lui, remblaya Zoey d'un air confiant. Et de ne pas te mêler de ce qui ne te regarde pas. Il te dira les choses en temps voulu.

John roula des yeux.

— T'as vraiment envie de sortir avec un abruti ? questionna-t-il, à l'attention d'Eileen.

— Il est loin d'en être un, affirma-t-elle sans sourciller.

« Oh si » songea Caitlin, à moitié hilare.

— Mais c'est pas possible ! Pourquoi les gens préfèrent-ils les abrutis aux geeks à lunettes ? se lamenta-t-il, sa bouche tordue en une moue attristée.

— On ne fait pas exprès, répondit Caitlin, amusée.

— Non mais franchement, Lily, Penny et Amy ont parlé de lui pendant tout le cours d'éco, leur apprit John. C'était horrible ! De son sourire à ses yeux en passant par sa manière de parler, j'ai tout entendu. Au moins, Noah et Wesley sont plus discrets. Pourquoi tout le monde lui bave dessus ?

— Parce qu'il est attirant ? suggéra Zoey, franchement amusée par la situation.

— Non mais tu ne vas pas t'y mettre aussi ! Je suis sûre que c'est la guitare. Ça ajoute du charisme, étudia pensivement John.

— Sa voix, aussi, ajouta Eileen, les yeux rêveurs.

— Et il sait jouer du piano, appuya Zoey, plus pour embêter John qu'autre chose.

Caitlin éclata de rire.

— Et il est cultivé et doué partout. Il sait même dessiner ! renchérit Eileen.

— Oui et il danse comme un pied, se moqua John en échangeant un regard espiègle avec Caitlin.

— On ne peut pas tout avoir, riposta Eileen en secouant la tête.

— En fait, après réflexion, c'est vraiment trop marrant de vous tous voir comme ça à parler de lui et à le contempler, parce qu'il n'a pas l'air d'en avoir quelque chose à faire, déclara-t-il en observant la jeune fille.

Ils arrivaient maintenant au bâtiment de la cafétéria. Caitlin poussa la lourde porte, qui s'ouvrît dans un grincement inquiétant.

— Entre nous, il a bien raison, reprit-elle. Imaginez son égo si c'était le cas...

— On rigolerait bien, répliqua Zoey en lui jetant un regard complice.

   Toutes deux éclatèrent de rire, tellement qu'en arrivant à la table où Luke, Mike et Gaël les attendaient, elles riaient encore. Caitlin s'installa à côté de Gaël, le salua machinalement et regretta son choix car il passa illico presto son bras autour de ses épaules. Elle se sermonna intérieurement, pensant qu'elle en faisait trop.

— D'après M. Thanez, on aura un show toutes les deux semaines, annonça Caitlin à Mike et Luke, qui la regardait, une lueur indéchiffrable dans les yeux.

— Chouette ! s'exclama Luke, les yeux à présent rivés sur Eileen (ou Zoey, elle n'était pas sûre).

— Et effectivement, ajouta Caitlin à l'attention de Gaël, tu vas avoir une pièce de théâtre toutes les trois semaines.

— Tu viendras me voir, hein ? fit-il avec une voix de bébé.

Caitlin eut toutes les peines du monde à ne pas lever les yeux au ciel. Elle avait horreur des gens qui prenaient des voix de bébé. Ne le savait-il pas ?

— Mathématiquement, répondit-elle, je ne pourrai pas venir à chaque fois-...

— Mais pourquoi tu ne veux pas me soutenir ? la coupa-t-il, déçu. Je te fais honte ?

— Mais non ! s'exclama Caitlin, avec véhémence. Si j'ai un show samedi toutes les deux semaines et toi samedi toutes les trois semaines, il y aura bien quelques fois où ça sera en même temps.

Devant son air ahuri, elle ajouta :

— Deux fois trois, ça fait six. Et six est un multiple de deux et de trois. Donc mon troisième show sera en même temps que ta deuxième pièce.

— T'es pas obligée d'être aussi dédaigneuse, marmonna-t-il d'un ton froid.

— Et toi, tu pourrais réfléchir, répliqua-t-elle du tac au tac.

   Elle l'ignora et se concentra sur son assiette, malgré le fait qu'il pressait son épaule. Elle s'aperçut que les cinq autres s'étaient lancés dans une conversation animée sur la survie des cactus de Mike dans le studio qu'il partageait avec Luke.

— Non, mais je te jure, Riri est en train de sécher sur place ! disait Mike. Je m'inquiète pour lui ! Je l'ai pris sur ma table de nuit.

— Franchement, Mike, tu étais obligé de donner un nom à tes trois cactus ? Je me mélange entre qui est Riri, Fifi et Loulou ! le taquina Luke, après avoir observé sous tous les angles un haricot perdu dans son assiette.

Au moins, nota Caitlin, il terminait ses assiettes, maintenant.

— Selon les scientifiques, parler aux plantes les rend plus heureuses. C'est logique de leur donner un nom, répondit Mike, les sourcils plissés.

— Moi, je t'avais conseillé les prénoms des trois mousquetaires, c'était bien plus classe, répliqua Luke, avant d'enfourner le pauvre haricot.

— Beurk, c'est trop littéraire pour moi. Non, Riri, Fifi et Loulou, c'est beaucoup plus drôle.

Caitlin se mordit la lèvre pour ne pas rire.

— Eh bien, Fifi m'a piqué, la dernière fois. Donc l'idée des trois mousquetaires me paraît plus appropriée. Les aiguilles pourraient être les épées, proposa Zoey, en posant sa verrine vide au coin de son plateau.

— C'est Loulou qui t'a piqué, corrigea Mike, et puis ils aiment leurs prénoms.

Caitlin se perdit dans ses pensées et n'entendit pas la suite. Gaël avait raison, elle avait été hautaine avec lui. Cependant, elle avait trop de fierté pour s'excuser, surtout qu'elle n'avait pas non plus apprécié son attitude.

— Caitlin ! l'appela Eileen, la tirant de ses pensées. Tu m'aideras à peindre ma sculpture, ce soir, s'il te plaît ? Il faut qu'elle soit prête pour mercredi.

Caitlin ouvrit la bouche pour accepter mais n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit.

— Caitlin n'aime pas peindre les trucs en 3D, répondit aussitôt Gaël.

Alors ça, c'était la meilleure ! Voilà qu'il inventait des choses, maintenant !

— Mais où vas-tu chercher cette idée ? s'étonna Caitlin en regardant son petit ami avec incompréhension.

Du coin de l'œil, elle aperçut Eileen lui jeter une œillade perplexe. 

— Tu m'as dit que-..., commença-t-il en fronçant excessivement les sourcils.

— Je viendrai, Eileen, coupa Caitlin, le visage impassible.

— Merci Cait' ! Tu me sauves ! s'exclama-t-elle, soulagée.

Elle ignora le fait que Gaël faisait encore la même tête et termina sa salade de fruits.

— Je suis sûr que tu m'as dit que tu n'aimais pas ça, lui reprocha-t-il.

— Quand ? demanda simplement Caitlin.

— Cet été, affirma-t-il, sûr de lui.

— Ah bon. C'est étrange, je ne m'en rappelle pas, répondit-elle d'un ton neutre.

— Tu m'as dit que tu adorais peindre avec un chevalet, rétorqua-t-il.

— Quel est le rapport avec peindre une sculpture ? soupira Caitlin, lassée par cette discussion stérile.

— Bah, ce n'est pas un chevalet.

Caitlin leva les yeux au ciel.

— Tu t'es fait un film, dit-elle en se levant.

Il ne répondit pas – à son plus grand soulagement – et se leva à son tour. Elle déposa son plateau et sortit de la cafétéria avec tout le monde. La lourdeur de la situation lui pesait. Elle le quitta d'un rapide baiser et monta en musique avec Mike, Zoey et Luke.

Ils s'installèrent dans la salle avec le reste de leur classe et attendirent leur nouvelle prof', Mme. Young, d'après leur emploi du temps. Avant même que Caitlin n'ait le temps de demander à Eileen à quelle heure elle voulait qu'elle l'aide, une femme d'une quarantaine d'années entra dans la pièce. Cheveux courts, peau sombre, regard déterminé, elle sourit à toute la classe.

— Bonjour à tous, je suis Mme Young.

Mais Caitlin n'écouta pas vraiment la suite. La seule chose qu'elle retînt fut que chaque élève chanterait en solo sur une chanson de son choix, donc non imposée, à chaque show. Ce soir, elle ne demanderait pas à ses amis de venir dans son studio, car Gaël risquerait d'insister pour rester avec elle, et elle avait épuisé son stock d'excuses pour refuser. Malgré tout, elle était persuadée que cette situation inconfortable n'était que temporaire. Bientôt, tout redeviendrait comme avant.

🎶

Hello ! Comment allez-vous ? :)

Voilà pour le premier chapitre ! Quelles sont vos premières impressions ? 🙈

Je vous remercie de m'avoir lue ! 🧡

J'espère que votre rentrée s'est bien passée et que votre emploi du temps n'est pas trop horrible ! Vous entrez en quelle classe ?

On se retrouve samedi 11 septembre 2021 pour la chapitre 2 !

Prenez soin de vous ! 🧡

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