Chapitre 7
Elle pleura longtemps.
Tout en haut du Grand Cratère, face aux territoires des clans qui s'étendaient devant ses yeux rougis, elle pleura.
Peut-être était-ce un peu un moyen de se purger ?
De retirer toute cette peine et toute cette peur qui la rongeaient depuis la destruction de son habitat. Les perles salées qui roulaient sur ses joues auraient pu la laver de ce chagrin, en nettoyant les malheurs. Elle essaya de se dégager de sa souffrance à travers les sanglots, mais elle semblait comme emmêler dans la torture de la douleur.
Alors Patte de Tige pleura longtemps.
Jusqu'à ce que Pupille d'Anis la rejoigne, une expression inquiète sur le visage, une grimace désolée sur le museau.
— Que s'est-il passé ?, voulut savoir la guerrière écaille.
L'autre renifla, et essaya de reprendre contenance en racontant.
— Je me suis disputée avec Poussière de l'Aube, je ne sais pas ce que j'ai fait mais j'ai... j'ai tout gâché.
Ce constat lui fit reverser des larmes, qu'elle essaya de retenir en hoquetant. Pupille d'Anis se colla affectueusement au pelage brun de Patte de Tige, en murmurant doucement.
— Ehhh... Calme-toi, ma petite Tige.
Elle lui frotta le dos de sa queue.
— Ça va s'arranger, vous êtes juste sur les nerfs à cause de l'absence de Petit Azur, mais tout ira mieux...
— Non, tu ne comprends pas, protesta son amie avec douleur. Il ne m'aime plus. J'ai tout gâché, je n'ai pas su m'occuper de lui comme une personne aimante aurait dû le faire.
Elle balbutia avec peine.
— Je n'étais qu'un amour de jeunesse pour lui, et il s'en est rendu compte trop tard...
Pupille d'Anis prit un air grave qui ne lui ressemblait pas, et raconta alors avec tendresse.
— Le rêve de Poussière de l'Aube était de devenir chef. Comme Pelage Roux, disait-il sans savoir que notre père mourrait en restant lieutenant. Il gardait cette attitude froide et impérieuse parce qu'il pensait que c'était comme ça qu'il atteindrait son objectif. Le Nuage Poussiéreux de l'époque était désagréable et détestable avec tout le monde parce que pour lui, les sentiments étaient une faiblesse.
La femelle aux poils écaille de tortue jeta un regard vers l'horizon, et aperçut les vestiges des territoires des clans anéantis. Son expression se fit plus douloureuse.
— Lorsqu'il a décidé de partir des clans pour te retrouver, il a sacrifié son rêve. Il savait que jamais il ne deviendrait chef après ça, continua Pupille d'Anis.
Elle soupira.
— Tu sais pourquoi il l'a fait, Patte de Tige ?
Elle n'attendait pas de réponse, mais la brune claire secoua tout de même la tête.
— Parce qu'il t'aimait. Tu étais devenue son rêve. Tu l'es toujours, et tu le seras à jamais. Peu lui importait d'être meneur, si ça voulait dire être loin de toi... Mon frère est... difficile. Et il l'a toujours été, je ne pense pas que ça changera. Toi aussi tu n'es pas facile à comprendre, ni à vivre.
Elle esquissa un sourire.
— Mais vous vous aimez. Et c'est plus fort que tout.
Patte de Tige hocha à moitié la tête, les larmes commençant à sécher sur son visage. La boule dans son ventre n'avait cependant pas diminué.
— Allons retrouver Petit Saule, il dort toujours près des litières que j'ai confectionnées, indiqua Pupille d'Anis. Ce n'est pas prudent de le laisser seul ainsi. Et puis, il faut que l'on dorme pour être en forme lorsque l'on recherchera Petit Azur, demain.
— Tu as raison, acquiesça sa meilleure amie dans un soupir.
Elles se mirent en route, et Patte de Tige souffla durant le trajet.
— Je devrais aller chercher Poussière de l'Aube pour m'excuser, non ?
— Non... laisse sa colère retomber, conseilla l'autre. Il sera plus serein demain.
La guerrière à la robe brune claire ajouta.
— Oui, mais si demain il ne revient pas ?
— Il reviendra, répliqua simplement Pupille d'Anis.
Pour son fils sûrement.
Mais Patte de Tige doutait que s'il le fasse, ce soit pour elle.
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— Chats du Clan des Refusés !, tonna Coeur de Pétale depuis le haut de son promontoire.
Un sentiment de fierté et de plénitude l'envahissait.
Ce n'est qu'à ce moment là qu'il réalisa à quel point il était puissant.
Les dizaines de Refusés sous ses ordres s'étaient entassés devant la corniche qui servait au meneur de lieu pour ses assemblées, et ils l'écoutaient attentivement.
Il se sentait divinement omnipotent.
Rien ne pourrait plus jamais l'arrêter.
— Au cours des derniers jours, vous avez accompli avec sérieux la tâche que je vous avais soigneusement confiée. Et aujourd'hui, plus aucun chat de clans vivant n'empiète sur notre nouveau territoire !
Son affirmation fut accueillie par des cris de joie et de guerre.
Le lever de soleil éclairait le camp refusé d'une lumière dorée, et Coeur de Pétale, pourtant mort à deux reprises, se sentit plus que jamais vivant, acclamé par ses guerriers.
— Mais nous ne sommes qu'au début de notre vengeance !, continua le chef. Nous ne sommes qu'à l'initiation de la guerre qui nous rendra notre honneur et notre valeur ! Nous ne pouvons nous arrêter sur une si bonne voie, et...
Il s'interrompît. Brusquement, le monde parut se fendre sous ses pattes, le ciel éteignit sa lumière de fête, et les Refusés semblèrent devenir menaçants. Un frisson de peur traversa le corps du brun tigré, qui perdit ses mots, balbutiant un début de phrase incompréhensible. Il ne savait plus ce qu'il faisait ici. Pourquoi avait-il ressuscité les Refusés ?
D'un coup, toute sa volonté, toutes ses convictions s'effilochèrent, et elles ne laissèrent place qu'au néant. Un sentiment de vide et de terreur, que Coeur de Pétale ne pourrait jamais combler.
Il réalisa que, cette nuit-là, quand il était revenu à la vie, un bout de lui était mort. Le bon bout de lui était mort.
—... c'est pour cela que Tache Ardente et moi-même avons précautionneusement élaboré la suite de notre minutieuse stratégie, bredouilla le meneur.
Son lieutenant le rejoignit sur le promontoire, et les doutes du chef s'éclipsèrent. Pourquoi s'était-il senti aussi vulnérable ? Il était le chef des Refusés, rien ne pourrait jamais l'arrêter !
Tache Ardente prit la parole en bombant le torse.
— Chaque guerrier Refusé se verra assigner à une ou plusieurs missions, visant à l'élimination des chats de clans se trouvant aux alentours du Grand Cratère, expliqua-t-il. Certains partiront seuls, et d'autres en groupe. Si vous respectez nos règles, le plan se déroulera à merveille et sans accros. Nous avons tout prévu.
Ce fut au tour de Coeur de Pétale de bomber le torse, il prit le relais.
— Bientôt, il n'y aura plus aucun chat de clans vivant dans ce monde !
Certains Refusés semblaient hésitants, se salir les pattes les effrayaient. Mais c'était la seule manière d'obtenir ce dont ils rêvaient tous.
Tous les guerriers acclamèrent leur meneur brun tigré, excepté Croc de Bourgeon. Le félin qui par le passé avait été sous l'aile du chef finit par miauler avec incertitude.
— Sommes-nous sûrs qu'il s'agit là de nos valeurs et de celles de la Grotte ? Ne faisons-nous pas ainsi la même erreur que les Clans, celle de choisir le chemin de la violence ?
Des regards révoltés se posèrent sur lui dans un murmure étouffé et outré.
« C'est un chat du Clan Nocturne, comme eux, après tout. Il a passé plus de temps là-bas et dans le Grand Cratère qu'à la Grotte. » avait dit Petit Hibiscus, lors de la libération de Croc de Bourgeon.
Coeur de Pétale posa un regard dur sur le félin brun-doré.
« Ne me fais pas regretter mon choix... »
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— J'ai décidé que tu participerais à la réunion de ce soir, révéla Coeur de Pétale à Petit Hibiscus, celle-ci occupant son poste qui consistait à surveiller les prisonniers.
La guerrière au corps d'enfant esquissa un sourire satisfait, tandis qu'elle déposait une souris près d'un Petit Azur hésitant.
— J'arrive pas bien à avaler la viande, avoua le chaton prisonnier. Tu peux me la mâcher, s'il te plaît ?
— Certainement pas !, rétorqua l'autre.
Elle se tourna vers Coeur de Pétale.
— J'apprécie le geste, merci, confia-t-elle. Je serai là.
Son esprit mature et sage serait d'une grande aide pour le chef et son équipe de conseillers. Il allait ajouter quelque chose, quand un prisonnier se précipita sur Petit Hibiscus.
— Je t'en prie !, supplia-t-il. Sauve-nous !
La femelle crème lui jeta un regard dégoûtée, et elle s'écarta d'un pas.
— Je suis ton père !, appuya l'autre. Érafle d'Argent, le compagnon de Fleur de Crevette !
Petit Hibiscus leva les yeux au ciel, et elle s'apprêtait à ricaner lorsqu'il répéta.
— Je suis ton père ! Demande à Fleur de Crevette ! Fais-la venir ! Ma petite chérie, tu m'avais manqué !
— Mais fais-le taire, grogna Coeur de Pétale.
Petit Hibiscus fronçait les sourcils.
— Tu ne me reconnais pas ?, ajouta Érafle d'Argent.
— Non, parce que tu n'es pas mon père, siffla-t-elle. Je n'ai pas de père. Plus depuis que je suis à la Grotte des Refusés.
Le prisonnier lui lança un regard peiné, et elle se dégagea.
— Qu'y a-t-il d'autre ?, s'enquit-elle à l'adresse de Coeur de Pétale.
Un pli soucieux s'était dessiné sur son visage d'enfant, et elle n'arrêtait pas de jeter des coups d'œil à son prétendu géniteur. Le chef fixa Petit Azur d'un air songeur, puis lança un regard à Érafle d'Argent.
— Va déplacer Petit Azur dans la deuxième antre des prisonnier, affirma-t-il finalement en poussant le chaton vers Petit Hibiscus.
Celui-ci poussa un miaulement de protestation et les détenus le regardèrent avec impuissance.
— Bien, approuva Petit Hibiscus.
La guerrière agrippa le petit qui jura que « mes parents vont venir vous mordre la queue », et elle murmura à l'oreille de son meneur.
— Coeur de Pétale, je n'arrive pas à saisir comment tu peux être certain que les guerriers nocturnes ne se rebelleront pas. Ni même pourquoi ils ne s'enfuient pas ? Ils sont bien plus nombreux que nous tous réunis, et la prison n'est pas fermée.
— Ne t'inquiète pas, je sais ce que je fais, répondit seulement celui aux yeux bleus.
Elle emmena finalement Petit Azur avec elle, tout en lançant un dernier regard à Érafle d'Argent.
— Tu es vraiment son père ?, questionna alors Coeur de Pétale.
Il s'approcha du prisonnier.
— Oui, souffla celui-ci.
Le chef lui posa la patte sur la truffe, tout en sortant les griffes. Celles-ci effleuraient les yeux du détenu.
— Alors tu as intérêt à ne jamais lui reparler. Tu es du mauvais côté de la prison, Érafle d'Argent. Si je lui ordonne, elle te tuera.
De retour dans sa tanière, Coeur de Pétale souleva un rocher qui cachait une crevasse dans la roche.
Six des pierres créées par Étoile Nocturne, et sauvées de justesse de la destruction du Clan des ancêtres, brillaient vivement dans leurs coins.
La Pierre Mémoire, une Limbe, la Pierre Nocturne, la Pierre Spirituelle, un bout de la Feuille-Miroir et la Pierre du Songe.
Le félin s'attarda avec un soupir sur la Pierre Spirituelle, celle qui maniait les âmes des morts.
Elle permettait surtout de faire un ou plusieurs vœux, qui étaient toujours associés à une contrainte.
Coeur de Pétale avait réussi à exaucer deux de ses souhaits.
« Je veux que toutes les âmes des chats de la Grotte des Refusés soient ré-attribuées à des corps en bonne santé. »
La contrepartie avait été de ressusciter les âmes des chats du Clan Nocturne avec.
« Je souhaite que les chats enfermés dans les prisons de mon futur camp ne puissent en sortir sans mon accord. »
La contrainte payée pour son deuxième vœux en valait la peine.
Il devait s'en convaincre.
Tant que personne ne la connaissait, il resterait en sécurité.
Accompagné d'un énième soupir, Coeur de Pétale attrapa le bout de la Feuille-Miroir qu'il avait pu dérober.
— Montre-moi Plume Flamboyante et Patte de Tige, souffla-t-il.
~1962 mots
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