Chapitre 6
— Alors, récapitulons, énuméra Pupille d'Anis. Le Grand Cratère a été détruit à cause de la mort du Grand Saule, qui est parti en fumée pour une raison qui est inconnue mais pas anodine, on ne sait ni où est notre chef Étoile de Bourrasque, ni où sont tous les autres meneurs et guerriers des clans. À supposer qu'ils soient toujours en vie... Et en plus de ça, Petit Azur a disparu, et la possibilité qu'il soit mort n'est pas négligeable.
Devant la grimace horrifiée de Patte de Tige, elle se corrigea.
— Il faut juste avoir conscience de toutes les éventualités et ne pas se faire de faux espoirs, d'accord ?
L'autre hocha à moitié la tête.
— On est vraiment dans la merde, grogna Poussière de l'Aube.
Après leur sieste improvisée et le cauchemar de Patte de Tige, les quatre chats -en comptant Patte Tachetée- avaient décidé de discuter un peu pour décider comment agir, puisque Petit Saule dormait encore. Le soleil débutait tout juste sa descente dans le ciel, et ils se trouvaient toujours dans la même grotte que lors de leur retrouvaille.
— La première chose à faire est de retrouver nos chefs, proposa Patte Tachetée. On erre comme des solitaires, mais nous sommes loin d'être faits pour ça, ça nous affaiblit d'être séparés de nos camarades.
— Je suis d'accord, acquiesça Poussière de l'Aube. Reste à savoir où sont nos meneurs, cependant.
Patte de Tige se redressa en affirmant.
— N'oublions pas Petit Azur. S'il agonise quelque part, nous devons le retrouver pour le sauver.
Poussière de l'Aube rétorqua.
— Le problème c'est que nous ne savons pas où est ce « quelque part », justement !
Pupille d'Anis se leva, et commença à marcher autour d'eux en réfléchissant.
— Nous devons donc retrouver à la fois nos camarades, et de préférence, nos chefs, mais en même temps découvrir où est Petit Azur. Il nous reste donc à déterminer l'endroit le plus logique où un chat du Grand Cratère irait se réfugier pour retrouver ses amis après une apocalypse...
— ... le Grand Saule !, constata Patte Tachetée.
Patte de Tige contra.
— Certes, sauf qu'il est mort à présent.
— Le Saule, oui, effectivement, continua la femelle ombragée. Mais l'île n'a pas disparu.
Pupille d'Anis interrogea.
— Donc l'idée c'est de rejoindre l'île du Grand Saule pour voir si les clans ne s'y seraient pas regroupés ?
Patte Tachetée hocha la tête avec un petit sourire.
— Et on pourrait passer en même temps par le territoire tournoyant pour vérifier que Petit Azur ne s'y trouve pas.
Patte de Tige ne sût pourquoi, mais le fait que le brillant plan de la femelle grise tigré ne vienne pas d'elle-même lui serra le cœur. Peut-être parce que le regard froid de Poussière de l'Aube la faisait se sentir encore plus coupable de l'abandon de Petit Azur, et qu'elle voulait se rattraper.
— Dans ce cas, on escalade la pente du Grand Cratère pour remonter à son sommet dès ce soir, proposa le compagnon de la brune claire d'une voix décidée. On aura qu'à dormir là-haut, et on rentrera dans le Cratère demain matin.
Pupille d'Anis, jouant le rôle du médiateur, ajouta.
— Pas d'objection ?
Patte de Tige en avait. Des tonnes même.
Elle aurait par exemple voulu discuter seule à seul avec Poussière de l'Aube pour s'assurer qu'il ne lui en voulait pas autant qu'il n'y paraissait, sans que les prunelles pleines de jugement de Patte Tachetée se pose sur elle. Elle aurait voulu qu'on se concentre sur la recherche de Petit Azur, plutôt que sur la quête des autres guerriers de clans.
Et puis, elle n'avait aucune envie de dormir, si c'était pour refaire un cauchemar mettant en scène la guérison du Grand Saule. Une guérison fort inutile, soit-dit en passant. Mais la femelle aux yeux verts n'intervint pas, et on réveilla rapidement Petit Saule pour commencer l'escalade du Grand Cratère avant que le soleil ne se soit complètement volatilisé à l'horizon. Lorsqu'ils arrivèrent au sommet de la longue ascension, les étoiles brillaient depuis longtemps dans le ciel bleu nuit, et Petit Saule s'était depuis un moment avachi sur le dos de Poussière de l'Aube qui continuait à marcher sans difficulté. Ils se trouvaient à la lisière d'une dense forêt d'arbres feuillus, qu'ils venaient de traverser.
— Établissons quelques litières pour dormir, suggéra Pupille d'Anis.
Patte Tachetée s'éloigna du groupe, sûrement pour trouver le bord du Cratère et ainsi pouvoir observer la vue. Celle-ci n'était pas encore visible, mais il était certain qu'en marchant quelques minutes, ils trouveraient la pente menant à l'un des territoires.
— J'ai trouvé de la mousse près de cet arbre !, informa Pupille d'Anis en s'approchant d'un beau chêne solitaire.
— Super, grommela Poussière de l'Aube en déposant délicatement Petit Saule par terre. Je vais faire un tour.
Patte de Tige sentit son ventre se serrer de contrariété.
— Pourquoi ? Tu ne nous aides pas à établir un endroit pour se coucher ? Patte Tachetée est déjà partie, on va avoir besoin d'aide.
Le matou brun foncé grogna.
— J'ai déjà porté ton fils tout le trajet, tu crois pas que je pourrais me reposer un peu, non ?
— C'est aussi ton fils !
— Ah bon ? Alors il faut croire que je ne suis pas le seul à oublier que j'ai des enfants !
Il y avait eu une époque où Patte de Tige aimait bien que son compagnon dise « ton » fils au lieu de « notre ».
Mais désormais, cette manière de parler avait un ton de provocation, plus de taquinerie. Maintenant qu'elle y repensait, de quand datait donc la dernière fois qu'ils s'étaient taquinés, tous les deux ?
C'était vrai que puisque la reine s'occupait de ses chatons, elle n'avait plus vraiment le temps de partir chasser avec son compagnon. Mais Poussière de l'Aube ne lui rendait plus souvent visite non plus, à part pour entraîner ses fils à toutes sortes de situations saugrenues qu'ils étaient censés rencontrer au cours de leur vie de guerrier.
À quand remontait leur dernier fou rire ensemble ? Leur dernière discussion seuls, leur dernier câlin, leur dernier « je t'aime » ?
La gorge de Patte de Tige se noua, et elle sentit les larmes lui monter aux yeux.
— Je rejoins Patte Tachetée, affirma Poussière de l'Aube.
Au nom de l'autre guerrière, la brune claire sentit sa rancoeur augmenter.
— On doit faire nos litières !, protesta-t-elle.
Elle le suivit quand même alors qu'il s'éloignait de Pupille d'Anis et de Petit Saule.
— Va la faire toi si tu en as envie !, riposta le mâle aux prunelles ambrées.
— Arrête d'être égoïste comme ça, lui reprocha Patte de Tige en hérissant son poil. Tu peux penser un peu aux autres, parfois, on est un groupe, non ?!
L'autre les hérissa à son tour, et articula d'une voix dure.
— Je suis loin d'être égoïste, Patte de Tige. De nous deux, c'est toi qui ne penses qu'à toi. Tu crois que parce que tu as loupé ton évaluation de guerrière il y a des lunes de cela et que tu t'es enfuies comme une lâche des clans, tu es la personne la plus à plaindre du monde, mais tu te trompes !
— Je me suis enfuie comme une lâche ?, répéta-t-elle, estomaquée. C'est toi qui m'as dit de m'enfuir !
L'autre leva les yeux au ciel, continuant d'avancer.
— Mais on était jeunes, merde ! Il y avait des solutions beaucoup plus intelligentes que de simplement s'en aller avec pour but ultime de revenir !
— Je suis revenue pour toi, signala Patte de Tige d'une voix brisée.
Poussière de l'Aube grimaça avec agacement, et contredit.
— Oh, je t'en prie, c'est faux et tu le sais très bien. Tu es revenue parce que tu avais quelque chose à prouver aux clans. Alors bravo, Patte de Tige, tu as réussi ! Mais maintenant, s'il te plaît, essaie de reconnaître tes fautes, et arrête de penser que parce que les autres ont été une fois en tort, ils le seront à jamais !
Toujours en marchant sans direction, la chatte essaya de se justifier.
— Je ne comprends pas ce qui se passe, Poussière de l'Aube. Peux-tu saisir que je doute parce que tu ne me montres jamais vraiment que tu m'aimes ?
L'autre ricana.
— Je me suis enfui des clans pour te retrouver, et ça ne t'as même pas suffi ? J'ai failli risquer toute ma vie de guerrier pour toi. Mais tu vois, tu es tellement égocentrique que tu ne t'en es pas rendue compte ! Et j'étais trop amoureux pour m'en apercevoir !
Patte de Tige resta sans voix.
C'est alors que Patte Tachetée surgit près d'eux, sûrement attirée par leur voix.
— Calmez-vous, conseilla-t-elle alors. Tu m'as l'air énervé, Poussière de l'Aube. Allons faire un tour.
En entraînant le matou avec elle, elle lança un regard plein de reproches à Patte de Tige.
Il semblait vouloir dire: « retourne voir Pupille d'Anis, tu en as déjà assez fait ».
Mais la femelle aux yeux verts n'y prêta même pas attention.
« Et j'étais trop amoureux pour m'en apercevoir ! »
Pourquoi avait-il mis ce verbe à un passé si lointain ?
Cela voulait-il dire que... son amour pour elle n'appartenait plus au présent ?
Ce n'est qu'à ce moment là que Patte de Tige découvrit qu'elle avait atteint le bord du Grand Cratère, et que celui-ci s'étendait en contrebas, devant elle.
D'une couleur noire de jais, la prairie tournoyante calcinée s'étendait à l'opposé de la femelle, qui se trouvait juste devant la forêt foudroyante, elle aussi brûlée. Des hautes herbes où la guerrière avait grandi, il ne restait plus rien.
Rien à part des cendres.
Une longue plaine lugubre et grisâtre.
Et ce n'était pas que la prairie, mais bien toute la vie de Patte de Tige qui semblait être en train de brûler, se réduisant peu à peu en cendres.
Elle s'effondra au sol en éclatant en sanglots.
~1618 mots
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