Chapitre 37
Patte de Tige lança un regard d'incompréhension à Cœur de Pétale.
— J'ai l'impression que tu ne nous prends pas au sérieux, avoua le chef dans une petite grimace moqueuse. Tu ne me penses pas capable de représailles, tu crois que je prends ma vengeance à la légère ?
— Quoi que tu aies prévu de faire, répliqua la guerrière, c'est sûrement une mauvaise idée.
Elle balaya du regard les chats que Coeur de Pétale avait ramenés avec lui. Ils semblaient tous sereins et déterminés.
— Ne ne me dis pas que tu as réuni tous tes amis juste pour me faire la morale et m'expliquer à quel point tu es devenu un vilain méchant ?
Le tigré s'avança vers les deux prisonniers allongés sur le sol, Mistral et Poil de Lumière, et posa sa patte sur la tête de ce dernier.
— C'est mon Conseil, Patte de Tige. Les plus haut-gradés du Clan du Saule, après moi...
— Le Clan du Saule ?, se moqua la brune claire. Je croyais que tu le détestais, le Grand Saule.
— Tu ne comprends pas, rétorqua Coeur de Pétale. Mon Clan se nomme désormais ainsi parce que c'est lui qui a soumis votre arbre sacré. Nous ne vénérons pas le Saule, nous le contrôlons. Et c'est là qu'est notre force.
Il poussa violemment la tête de Poil de Lumière, sous l'œillade haineuse de Patte de Tige.
— Tu sais pourquoi tu es faible, Patte de Tige ? Parce que tu penses que tu pourras tout régler sans aucun sacrifice.
Il se rapprocha d'elle, menaçant, et vint si près que leur museau auraient pu se toucher.
— Moi, je suis prêt à sacrifier ce qui doit l'être pour mon idéal. Toi, tu n'en es pas capable... Alors je t'ai convoquée pour que tu comprennes bien les enjeux de mener ta guerre contre le Clan du Saule.
Il désigna Mistral et Poil de Lumière de la patte.
— Tu ne leur feras aucun mal, Mistral est ta mère, affirma Patte de Tige.
Son cœur battant effritait un peu son assurance.
— On parie ?
À peine eut-il incliné les oreilles que Fièvre Rugissante, son lieutenant, fondit sur Poil de Lumière et lui brisa la nuque.
La chatte aux yeux verts écarquilla les yeux dans un cri muet. Elle tituba en arrière, horrifiée.
Mistral, toujours inconsciente, ne savait pas que le sort que venait de subir sur son camarade aurait pu être le sien.
Coeur de Pétale se détourna de Patte de Tige pour revenir vers sa mère.
— Arrête, Coeur de Pétale, supplia la brune claire, les larmes perlant au coin de ses yeux.
Les Conseillers du chef n'avaient même pas réagi. Quels étaient ces monstres ?
Le meneur tigré attrapa le menton de Mistral et le releva, l'étudiant de plus près.
— Mistral a préféré s'allier à son "amie" plutôt qu'à son fils, qui était en plus le dernier en "vie" de ses enfants.
— Ne fais rien à Mistral, je t'en prie, implora Patte de Tige d'une voix tremblante. Je ferai tout ce que tu voudras, mais ne lui fais rien !
— Oh... Tu vois, qu'est-ce que je disais ! Tu n'es prête à faire aucun sacrifice !
Il n'y avait aucun moyen de négocier. Patte de Tige regarda autour d'elle, cherchant désespérément une façon de sortir du rêve pour prévenir ses camarades. Il faudrait qu'ils courent rapidement jusqu'au camp des Refusés pour sauver Mistral. Il n'y avait plus de temps à perdre.
— Je suis sûr que tu étais déjà en train d'élaborer un plan pour la libérer, ricana Coeur de Pétale. Trop tard !
La femelle n'arrivait pas à sortir de la cavité, elle était retenue à l'intérieur par une force supérieure. Dans un mouvement désespéré, elle bondit sur le tigré, les griffes sorties, mais lui passa à travers comme dans un nuage vaporeux. Seul son esprit avait été amené, elle n'avait aucune consistance physique.
— Regardez-la, rigola la Conseillère rousse.
La cage thoracique de Patte de Tige se bloquait, elle avait du mal à trouver de l'air. Coeur de Pétale relâcha le menton de Mistral.
— Au revoir, très chère mère !
— Non !
Il attrapa un rocher, et Patte de Tige tenta à nouveau de lui sauter dessus. Elle le traversa encore, en ayant l'impression de passer à travers sa dernière chance. Son corps roula contre le sol, alla se percuter contre la paroi de la cavité...
Elle voyait trouble, à cause du choc, à cause des larmes ?
Coeur de Pétale fracassa la pierre contre le crâne de sa mère. La brune claire hurla. Le sang surgit de Mistral.
Coeur de Pétale lui sourit.
Elle sentit son cœur exploser.
Sa respiration s'arrêter.
Son cerveau tourner à vide.
La douleur lui emplir la poitrine.
Elle se réveilla, allongée contre le sol dur du campement des guerriers du Cratère. Pleurant, secouée de spasmes.
Tempête de Calme essayait de la calmer. Pupille d'Anis la berçait. Poussière de l'Aube lui tenait l'épaule.
Elle hurlait.
— Calme-toi, lui chuchota-t-il, tout va bien.
Tout n'allait pas bien.
— Non..., sanglota-t-elle.
— Tu es en sécurité...
Pupille d'Anis s'approcha doucement.
— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, Patte de Tige ?
Elle n'arrivait plus à trouver de l'air. Elle suffoquait.
— Il l'a sacrifiée, balbutia-t-elle.
Elle hoqueta, sa gorge la brûlait.
— En échange de mes fils, il l'a assassinée. Il les a assassinés.
— Qui ?
Patte de Tige secoua la tête, essaya de se relever, mais cela faisait trop mal. Elle retomba.
— Mistral et Poil de Lumière, avoua-t-elle dans un murmure aigu.
Ses larmes ne voudraient jamais se tarir.
— Coeur de Pétale les a sacrifiés, parce que chacune de mes actions ont des conséquences...
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— Comment va-t-elle ?
— On lui a donné des graines de pavot, elle dort, et Poussière de l'Aube veille sur elle.
Tempête de Calme soupira, le cœur lourd.
— Coeur de Pétale est fou.
— Je suis bien d'accord, répondit Coeur de Racine. Il doit être arrêté.
La soigneuse sentit que sa sœur attendait quelque chose d'elle, et elle eut le regard fuyant. Elle osa finalement confier, sur un ton incertain.
— Coeur de Racine... Je suis désolée. Désolée d'avoir mal réagi lorsque j'ai appris que toi aussi tu aimais Croc de Venin. Désolée d'avoir été trop égoïste pour étouffer mes sentiments comme tu l'as fait pour moi. Et désolée de n'avoir jamais réellement compris qui tu étais et comment tu fonctionnais.
La grise se pressa contre elle en fermant les yeux.
— C'est maintenant qu'on a besoin d'être unies, et aucun Refusé ni aucun guerrier au sourire joueur ne pourra jamais nous séparer.
Les deux sœurs restèrent silencieuses dans leur étreinte, songeant à Mistral et Poil de Lumière, les énièmes victimes du tyran. Les maigres informations qu'ils avaient réussi à tirer de Patte de Tige, trop bouleversée pour parler, étaient bien claires : deux sacrifiés de plus.
Jusqu'où irait Coeur de Pétale pour assouvir ce qu'il appelait être sa vengeance ?
Les chefs avaient décidé d'accomplir une veillée générale le soir-même, pour honorer les défunts.
Les temps étaient si durs. À peine récupéraient-ils leurs prisonniers qu'on leur retirait d'autres camarades.
Il allait falloir être fort pour surmonter ces épreuves. Il allait falloir être soudé.
— Les surnoms de Croc de Venin sont nuls, en plus, ajouta Coeur de Racine.
— Ah bon ? Moi j'aimais bien Coeur de Grimace-Agacée, pourtant, répliqua Tempête de Calme dans un petit sourire triste.
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— J'espère qu'ils ont bien saisi le sens de nos menaces, et qu'ils partiront fissa de notre Cratère.
— J'espère aussi, Petit Hibiscus, affirma Coeur de Pétale.
Ils regardaient les chats du Clan Nocturne, leurs seuls prisonniers restant. Le chaton enchaîna.
— Plume Flamboyante a apparemment été gravement blessée, durant la bataille.
Le meneur lui lança un regard noir.
— Et alors ?
— Et alors j'ai cru comprendre que par le passé, tu l'aimais.
— Ce qu'il y a de bien dans ta phrase, c'est que tu parles du « passé ». Sache que tu ne l'as pas fait pour rien.
Il déclara.
— Je l'aimais à l'époque où je n'étais qu'un apprenti naïf et étourdi.
Petit Hibiscus ravala un grognement, et enchaîna.
— Explique-moi juste, Coeur de Pétale...
La petite contenait sa colère.
— ... Comment se fait-il que ton sois-disant moyen infaillible d'empêcher les prisonniers de s'échapper contre ton gré n'ait pas été efficace sur Patte de Tige et ses amis ?
Le chef se mordit la langue, agacé.
Il baissa la voix, pour quand même expliquer.
— J'ai fait un souhait à la Pierre Spirituelle, qui empêchait quiconque de sortir de la prison sans accord. Si je suis le seul à pouvoir autoriser d'y enfermer un chat, la vérité, c'est que n'importe qui hors de la prison peut donner l'ordre de sortir.
Petit Hibiscus le scruta, les yeux ronds.
— C'est une blague ?
— Je ne crois pas, non...
— Et tu n'as pas tenu bon de m'en informer ?! Je surveille des prisonniers que n'importe qui peut autoriser à sortir, je te signale !
Coeur de Pétale prévint.
— Baisse d'un ton. Il ne faut juste pas que Patte de Tige l'apprenne, c'est notre principal objectif. Dès qu'elle le saura, elle viendra libérer les guerriers du Clan Nocturne, et nous serons en infériorité numérique...
— Comment peux-tu garder des informations aussi importantes pour toi ?, souffla Petit Hibiscus, excédée.
— Maintenant que tu le sais, ne le dis à personne, ordonna le tigré. Moins de chats connaissent ce secret, plus il sera protégé.
La Conseillère acquiesça.
— Il faut que nous nous préparions à une guerre sanglante, n'est-ce pas ?
— J'ai tué celle qui ressemblait le plus à une sœur pour Patte de Tige.
Le verdict sonna.
— Si la guerre a lieu, elle ne sera pas sanglante. Elle sera apocalyptique.
— Et tu ne regrettes rien ?
— Regretter quoi ?
Le silence de Petit Hibiscus était lourd de sens.
— Tu as assassiné ta mère. Tu lui as pris la vie alors qu'elle te l'avait donnée. Même moi... même moi qui hais les clans, leur système, et leurs pensées arriérées. Même moi qui pourrais les anéantir jusqu'au dernier... Si ma mère avait été de leur côté, je n'aurais rien pu faire.
Pensait-elle à la mort de Fleur de Crevette en disant cela ?
Coeur de Pétale serra la mâchoire.
— Je devais...
Il retint un râle de souffrance.
— Je devais être sûr que plus rien ne me retenait à eux. Que rien ne pourrait me faire hésiter. Je devais le faire. Je ne regrette pas. L'autre solution était de me défiler devant Patte de Tige, mais je ne suis plus faible. Plus jamais.
— Tuer ne rend pas fort.
— Non, mais ça permet de prendre conscience de la valeur de la vie.
— Et tu l'as comprise, cette valeur ?
Le chat avala sa salive pour humidifier sa gorge asséchée. Sa mère avait tout fait pour le convaincre d'arrêter ce qu'elle appelait « une guerre fratricide et inutile ». Elle avait dit que quoiqu'il fasse elle l'aimerait toujours, mais il avait vu dans ses yeux la peur d'une proie piégée entre les griffes de son prédateur.
Cela faisait longtemps qu'elle ne l'aimait plus. Il la terrifiait juste.
— Ma survie a coûté celle de Mistral. Tant qu'elle était là, je ne pouvais pas rester. Maintenant, c'est différent. Maintenant plus rien d'autre ne me lie aux clans que ma quête de vengeance.
Il n'avait plus aucune raison d'avoir peur.
— Mais Coeur de Pétale...
— Non, arrête.
— ... Coeur de Pétale, tu pleures.
~1862 mots
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