Chapitre 35

Patte de Tige suivait Moustache de Lilas, haletante, à travers le labyrinthe de galeries souterraines.

— Qu'est-ce qu'on va chercher ?, demanda-t-elle, hors d'haleine.

— Un truc qui nous donnera l'avantage, expliqua vaguement l'autre sans arrêter sa course.

La détermination de Moustache de Lilas rassura Patte de Tige. Au moins, elles ne s'étaient pas lancées dans un plan incertain et inachevé. Le tunnel dans lequel elles couraient déboucha sur une cavité spacieuse, et faiblement éclairée par la lune. Une litière de mousse verdâtre trônait en son centre.

— C'est la tanière de Coeur de Pétale, expliqua Moustache de Lilas en commençant à chercher quelque chose en plissant les yeux.

Patte de Tige la regarda soulever les rochers et scruter les coins, en inspectant elle aussi les lieux. Mais sans savoir ce qui était convoité, c'était assez difficile.

Dehors, la clameur des combats se faisaient entendre. Les cris de rage, de douleur et de fracas se mêlaient à l'odeur du sang.

— Dis, tu sais ce qu'est devenue Étoile de Lichen ?, interrogea alors Moustache de Lilas.

Cette question griffa le cœur de Patte de Tige. Elle bredouilla.

— Je ne crois pas que ce soit le moment pour ça...

Sa remarque peu subtile agit comme un éclair sur le visage de son interlocutrice, qui se décomposa. Patte de Tige s'en voulut d'avoir autant manqué de tact, mais ce sujet était toujours beaucoup trop sensible pour elle. Elle voyait encore par flashs ses griffes qui se teintaient de rouge au fur et à mesure qu'elle tuait la meneuse.
Moustache de Lilas réengagea le sujet principal.

— Coeur de Pétale ne l'a sûrement pas mise dans sa tanière, il faut chercher à l'extérieur.

Patte de Tige se retint de demander à nouveau de quoi il s'agissait. L'autre commença à penser à voix haute, tournant en rond.

— Où est-ce qu'il aurait pu la cacher ? Pas à la portée de tous, mais pas trop loin non plus... Quelqu'un d'autre que lui doit sûrement s'en occuper.

Patte de Tige l'écoutait blablater en observant la lune depuis l'entrée de l'antre. Celle-ci semblait essayer de se cacher derrière les nuages, comme si elle voulait devenir aveugle de la bataille sous ses yeux. La brune claire se sentait comme elle.
Ce qu'elles étaient venues chercher était-il vraiment si important que ça ? Valait-il la peine de faire durer les combats ?

Elle s'apprêtait à poser la question lorsque Moustache de Lilas s'exclama.

— Oui ! Fleur de Crevette a été nommée Conseillère, et on lui a construit une tanière individuelle pour cette occasion ! C'est forcément ça !

Elle lança un regard satisfait à Patte de Tige, comme si celle-ci pouvait comprendre de quoi il en retournait, avant de s'élancer hors de l'antre du chef. Elles débouchèrent sur un promontoire rocheux duquel on pouvait voir tout le campement. Le cœur de la brune claire se serra : les chats du Grand Cratère se battaient avec férocité en repoussant les Refusés, toujours plus nombreux. Combien étaient-ils, au total ? Leur campement était si grand.

Patte de Tige ne se posa pas plus de questions, et elle suivit Moustache de Lilas qui sautait de rochers en rochers pour rejoindre le sol. La femelle brune foncée chercha un instant son chemin, avant de s'élancer vers une tanière dissimulée par un gros rocher.

L'intérieur était sombre, et un seul chat s'y trouvait : une Refusée crème tigrée, qui cracha en sortant les griffes à l'arrivée des deux guerrières. Patte de Tige lui sauta dessus sans hésiter, mais une fois cela fait, elle se sentit bien plus indécise.

Ses griffes sorties ne voulaient se résoudre à s'abattre sur la gorge de l'ennemie.
Elle repensait au sang d'Étoile de Lichen qui tachait ses pattes.

Moustache de Lilas lui épargna de faire un choix en brisant brusquement la nuque de la Refusée.
Elle se justifia dans un soupir.

— On doit neutraliser le plus de Refusés possible, tu ne te rends pas compte d'à quel point ils sont dangereux. Fleur de Crevette était niaise, influençable, et bien trop impliquée dans les projets de Coeur de Pétale... et puis, ce n'est pas comme si elle n'était pas déjà morte, à la base.

Patte de Tige haussa les épaules, évitant soigneusement de regarder le corps inerte de la dénommée Fleur de Crevette. C'était d'ailleurs un drôle de nom. Moustache de Lilas se dirigea alors vers un reflet lumineux au fond de l'antre. Elle sourit avec euphorie.

La brune foncée attrapa une pierre coupante, qui réfléchissait la lumière en flambant de milles feux.

— On l'a, souffla la mère de Poussière de l'Aube.

Moustache de Lilas brandit un peu plus haut la pierre.

— La Feuille-Miroir ! On l'a !

><~•••~><

Patte de Tige et Moustache de Lilas couraient jusqu'à l'entrée du camp, cette dernière tenant la Feuille-Miroir dans sa gueule. Étonnamment, plus aucun félin ne combattait dans l'enceinte du campement, et la guerrière en déduisit que ses camarades s'étaient repliés jusqu'à la Racine tournoyante. Après avoir remonté la pente permettant de sortir du camp, et s'être dirigées droit sur le rivage de l'île, l'hypothèse de Patte de Tige se confirma.

Les chats du Cratère combattaient les Refusés avec détermination, ou plutôt, les Refusés essayaient d'empêcher les chats du Cratère de partir. La plupart avaient déjà réussi à franchir la Racine et à rejoindre la rive opposée, mais les quelques-uns qui restaient étaient soit retenus, soit en train de repousser des ennemis qui essayaient de traverser. De l'autre côté du bassin, les guerriers des clans frappaient la Racine avec des rochers pour essayer de faire s'effondrer le pont.

Patte de Tige s'élança sur un félin qui maintenait Tempête de Calme au sol, et le délogea en lui percutant l'épaule. Il feula, et elle lui griffa le museau avec vigueur.

— Traverse avant que la Racine ne s'écroule, Tempête de Calme !, ordonna-t-elle.

Celle-ci sembla hésiter, puis fit quelques pas à reculons avant de s'en aller. Patte de Tige frappa plusieurs fois son adversaire qui finit par s'enfuir en glapissant, et courut libérer un guerrier foudroyant maintenu au sol par un Refusé. À deux, ils assommèrent l'ennemi en quelques coups.

— Merci, Patte de Tige, remercia le chat foudroyant.

— Y a pas de quoi...

Le nom du guerrier lui revint en mémoire.

— ... Fourrure du Lion.

Un cri la fit sursauter, et elle faussa compagnie à son camarade pour aller aider Moustache de Lilas. Celle-ci se débattait contre une Refusée coriace qui essayait de lui lacérer les jambes, et l'ancienne peinait à se défendre. Patte de Tige bondit sur le dos de l'adversaire et le griffa sur toute sa longueur. Celle-ci glapit de douleur.

— Va-t-en, Moustache de Lilas !, cria la brune claire.

Celle-ci s'en alla en hochant la tête, protégeant en même temps la Feuille-Miroir qu'elle tenait dans la gueule. La Refusée roula au sol entraînant Patte de Tige dans sa chute, dont le crâne cogna violemment par terre. Un instant déboussolée, elle se prit un violent coup dans la mâchoire. Lorsque l'ennemie s'avança, la guerrière la vit en double.

— Tu vas mourir, entendit-elle susurrer.

Un choc délogea la Refusée, et Patte de Tige en profita pour se relever. En secouant la tête, elle aperçut Mistral qui crachait au visage de son opposante. Celle-ci finît par s'enfuir, l'œil en sang.

— Merci, Mistral.

— Mais de rien, je sais bien que tu as toujours besoin d'être sauvée !

— Ah ah, très drôle...

Les deux amies se mirent en position de combat, dos à dos. Elles repoussèrent les Refusés qui s'avançaient vers elles à coup de griffes et de crocs.

— Je crois qu'il faut qu'on y aille, maintenant, affirma Mistral.

Patte de Tige vit que l'île se vidait de plus en plus, et que presque tous les chats du Cratère avaient traversé.

— T'as raison !

Elle asséna un violent coup sur le crâne de son adversaire, qui tituba, et elle en profita pour déguerpir à la suite de Mistral. Sauf qu'au bout de quelques pas, le visage de Patte de Tige claqua contre le sol irrégulier. Une patte avait retenu sa queue et la maintenait au sol avec force. La guerrière laissa échapper en gémissement de souffrance. Elle essaya de se débattre pour se relever, mais son assaillant lui gifla le visage et posa sa patte dessus.

Patte de Tige réussit à apercevoir le visage de son agresseur du coin de l'œil. Il s'agissait d'un chat roux au poil court, elle le reconnut immédiatement : Fièvre Rugissante, le Refusé qui les avait enfermées dans la prison.

— Tu es trop importante pour Coeur de Pétale pour que je te laisse filer, tonna-t-il. Toi contre tes enfants, je trouve l'échange plutôt équitable.

Elle voulut feuler, mais Mistral qui était revenue sur ses pas s'élança sur Fièvre Rugissante. L'ennemi trébucha, et Patte de Tige se dégagea pour lui bondir dessus à son tour. Elle lui mordit l'épaule tandis que son amie lui lacérait les flancs. Le Refusé grogna, et donna un violent coup de patte à Mistral. Il l'envoya valser trois queues de renard plus loin, et la chatte de grange atterrit contre le tronc d'un arbre. Patte de Tige voulut voir comment son amie se portait mais elle n'en n'eut pas le temps, car son adversaire lui agrippa les épaules. Elle s'accroupit puis roula sur le côté, seulement, Fièvre Rugissante tint bon. Elle n'avait jamais affronté un chat aussi coriace. Patte de Tige réalisa que tous les chats du Cratère avaient franchi la Racine. Seuls restaient elle, Mistral, et Poil de Lumière qui se démenait pour retenir les Refusés voulant traverser. Petit à petit, un cercle d'ennemi se forma autour des deux guerrières.

Patte de Tige ferma les yeux de désespoir. Lorsqu'elle les rouvrit, elle vit une silhouette franchir la Racine pour rejoindre l'île. Poussière de l'Aube poussa un cri menaçant, fendit le cercle de Refusés et s'élança sur Fièvre Rugissante. Il le propulsa au loin, et la tête du matou cogna durement contre le sol.

— Fièvre Rugissante ?, s'inquiéta un Refusé en ne voyant pas le chat se relever.

Poussière de l'Aube profita de l'inquiétude des ennemis pour aider Patte de Tige à se redresser.

— Tu vas bien ?, demanda-t-il.

— Les enfants vont bien ?, répondit-elle.

— Ils ont traversé.

— Parfait.

Poussière de l'Aube lui attrapa l'épaule.

— Y a pas de temps à perdre, on se casse.

— Attends, et Mistral ?, protesta Patte de Tige.

La femelle écaille était restée allongée au sol depuis le coup de Fièvre Rugissante. Son amie courut jusqu'à elle.

— Mistral, lève-toi, on part, bredouilla la brune claire.

L'autre croassa d'une voix sèche.

— Je peux pas. Je crois que j'ai la patte cassée.

La vue de Patte de Tige tangua.

— Poussière de l'Aube ! Viens m'aider à porter Mistral, appela-t-elle avec désespoir.

Il s'approcha sans trop y croire.

— Vous n'avez pas le temps, refusa la blessée.

Les Refusés qui s'étaient rassemblés autour de Fièvre Rugissante se dispersaient déjà, et Patte de Tige aperçut le roux remuer.

— Je refuse, je t'abandonne pas !, siffla-t-elle. Je n'ai pas sauvé mes fils pour te perdre toi !

— Je ne peux pas bouger !, s'écria Mistral. Coeur de Pétale est mon fils, c'est moi qui l'ai emmené au Grand Cratère, je suis responsable de tout ce qui vous arrive. Je vais rester ici et convaincre mon abruti d'enfant d'arrêter ses conneries. Tu ne m'en empêcheras pas.

— Tu n'arriveras jamais à le convaincre, répliqua Patte de Tige, la voix tremblante.

— Peut-être que si.

L'autre secoua la tête.

— Je ne te laisse pas, jamais ! C'est moi qui t'ai emmenée au Grand Cratère, en plein milieu du danger, alors je suis responsable de toi ! Je ne te laisse pas !

Mistral reposa sa tête fatiguée contre le sol.

— Rappelle-toi. Où tu vas, j'irai. Surtout lorsque c'est dangereux. Je suis la seule responsable de mes actes.

— N'importe quoi !

Patte de Tige se tourna vers Poussière de l'Aube.

— Aide-moi à la porter, s'il te plaît...

— Poussière de l'Aube, fais ce que tu as à faire, souffla Mistral dans un sourire triste mais satisfait.

Patte de Tige écarquilla les yeux.

— Qu... ?

Elle sentit deux pattes s'agripper à ses épaules et la tirer loin de Mistral.

— Non !, hurla-t-elle.

Poussière de l'Aube l'entraîna loin de son amie. De sa sœur. Sa vue se brouilla.

— Lâche-moi !

— On reviendra la chercher !, assura-t-il.

Fièvre Rugissante s'était relevé. Ils arrivèrent à la Racine tournoyante que Poil de Lumière protégeait toujours.

— Vous êtes les derniers ?, demanda-t-il.

— Oui..., déclara Poussière de l'Aube.

— Non !

Patte de Tige gémit.

— Mistral est restée !

Le visage de Poil de Lumière se décomposa.

— Alors je reste aussi, décida-t-il.

Patte de Tige le fixa, abasourdie.

— On n'aura pas le temps de tous passer, de toute manière. Je retiendrai les Refusés.

Mistral et Poil de Lumière ?
La mission pesait lourd en conséquences.

— Patte de Tige, on y va... ne rends pas le sacrifice de Mistral inutile, implora Poussière de l'Aube.

De toute manière, elle ne savait plus vraiment ce qui était le bon choix.

— Merci, Poil de Lumière, articula-t-elle finalement.

Elle s'élança sur la Racine tournoyante sans se retourner, Poussière de l'Aube la précédant. Elle entendit les cris de combat de Poil de Lumière, elle devina les pleurs de souffrance de Mistral. Lorsqu'elle posa enfin ses pattes sur la rive, Croc de Venin cogna pour la dernière fois son épaule contre la Racine, dont la pointe s'effondra dans l'eau sombre.
Les quelques Refusés qui avaient réussi à passer la défense de Poil de Lumière glissèrent dans le liquide en criant, et remontèrent sur le pont de bois pour rejoindre leur côté du bassin.

« Où tu vas, j'irai. Surtout lorsque c'est dangereux. »

Mistral...

Les Refusés les regardaient avec rage, comme s'ils venaient de perdre une bataille.

Pourtant, Patte de Tige le savait :

Cette nuit-là, c'était elle qui subissait la défaite.


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