En silence mais rapidement, Patte de Tige entra dans le campement des Refusés, juste derrière Nuage Mélodieux. Souffle de Cerise, Patte Tachetée et Pupille d'Anis la suivaient de près.
Le camp était silencieux, et la lune blanchâtre qui brillait dans le ciel étoilé semblait reprocher aux guerrières leur effraction.

Mais celle-ci était nécessaire.

Patte de Tige devait sauver ses enfants, il n'y avait pas d'autre alternative.

— On entre et on repart, répéta-t-elle à ses consœurs.

Libérer ceux qui pouvaient être libérés, en priorité Petit Azur, Petit Saule, Nuage de Dorure et Plume de Lierre. Revenir plus tard pour les autres.

Le plan était plutôt simple, mais assez bien pensé.

Un premier groupe, composé de Plume Flamboyante, Pelage d'Averse, Coeur de Racine et Pollen Blanc - qui avait fait promettre à Souffle de Cerise de sauver Pelage de Ravin si celle-ci le trouvait - , était chargé de neutraliser les potentiels gardes de nuit, et de vérifier que tout était bien en ordre. Les Refusés avaient rendu accessible l'île du Saule par une seule racine, ce qui laissait moins d'entrées possibles, et surtout moins de guerriers à la protéger.

Le groupe de Patte de Tige avait attendu avec celui de Tempête de Calme que Pelage d'Averse revienne pour assurer que tout était ok, et il était reparti avec le gris. Arrivés à la Racine du Saule, le guerrier les avait laissées pour aller retrouver Plume Flamboyante et les autres.

Leur équipe devait rester autour de l'île du Grand Cratère pour vérifier que le groupe de Patte de Tige n'était pas en difficulté, et si c'était le cas, aller avertir le groupe de Tempête de Calme qui se trouvait un peu plus haut dans le territoire.
Celui-ci était chargé d'aller chercher des renforts en cas de besoin. À la dernière minute, la guérisseuse avait décidé de « connecter » son esprit à celui de Patte de Tige. Elle affirmait que ça lui permettrait de rester en contact même de loin, et qu'elle ressentirait ce que la brune claire voudrait lui faire comprendre.

Même si celle-ci était un peu dubitative, elle l'avait laissée faire, impressionnée par les derniers exploits du don de Tempête de Calme. Et la voilà ici, dans le camp ennemi, sans avoir le droit d'attaquer, avec pour seul objectif de sauver ses fils. Nuage Mélodieux, grâce à Sable d'Ebène - la prisonnière qui avait pris contact avec elle - , connaissait légèrement le campement des guerriers refusés, et savait à peu près où se trouvaient les prisons. Elle ouvrait donc la marche, suivie de près par Patte de Tige et Pupille d'Anis. Souffle de Cerise, qui n'était venue que pour son compagnon et son enfant, fermait la marche avec Patte Tachetée, qui avait voulu être au centre de l'action pour prouver sa bonne volonté. Pour paraître indulgente et compréhensive, Patte de Tige avait accepté, comme si tout ce que la guerrière ombragée lui avait volé n'était plus du tout important pour elle.

Les cinq félines arrivèrent bientôt à un tunnel dans la paroi du camp, qui d'après Nuage Mélodieux, amenait aux prisons. Puisque les guerrières n'avaient pas la certitude que l'intérieur soit éclairé, elles fermèrent les yeux pour mieux utiliser leurs autres sens. Cependant, à leur grande surprise, le boyau était illuminé par des petits trous dispersés un peu partout, qui renvoyaient le peu de lumière nocturne de l'extérieur.

— Parfait, murmura Patte de Tige.

Elles reprirent leur marche entre les épais murs de roche qui les séparaient de l'air libre, s'enfonçant toujours plus sans trouver aucune prison. Nuage Mélodieux avait plus de mal à se repérer que prévu, et à deux reprises, Patte Tachetée marcha sur la queue de Patte de Tige. Le silence devenait pesant.

Le camp des Refusés entier dormait-il, ou quelques guerriers toujours éveillés n'avaient juste pas fait attention au bruit de pas dans le centre du camp ?

Mieux valait ne pas y penser.
Pelage d'Averse et son groupe avait affirmé que les lieux étaient sûrs, et remettre cela en question ne ferait que rajouter du stress.
Pourtant, Patte de Tige stressait.
Le trajet interminable ne l'aidait pas à se changer les idées, et des images de ses fils blessés, affamés ou morts lui montaient à l'esprit, comme des vives brûlures qui appelaient la douleur.

Au bout d'un long moment, les cinq chattes arrivèrent enfin devant une cavité.

— C'est la prison des chats du Clan Nocturne, expliqua alors Nuage Mélodieux, on ne peut pas les libérer aujourd'hui.

Elles durent passer leur chemin, ignorant les quelques regards implorants que leur lançaient certains détenus.

« On reviendra, je vous le promets », répéta intérieurement Patte de Tige.

Un peu après, le boyau s'élargit, ne les obligeant plus à marcher en file indienne.
Lorsque Nuage Mélodieux les fit tourner à droite, elles se retrouvèrent face à face avec une inconnue.

Celle-ci les fixa avec incrédulité, et Patte de Tige réalisa qu'il s'agissait d'un chaton. Un chaton bien trop agressif pour un prisonnier, qui leur sauta dessus en feulant.
Patte Tachetée fut la plus réactive, et elle l'attrapa par les épaules, assommant d'un coup de patte le petit félin, sans trop de difficulté.

— Merde, souffla Pupille d'Anis. Vous croyez que c'est un Refusé ?

— Je pense bien, oui, répondit Nuage Mélodieux. On peut être envoyé à la Grotte à n'importe quel moment de notre vie, et en étant chaton aussi. Ce devait être la guerrière qui surveillait la prison des chats nocturnes.

Souffle de Cerise fronça les sourcils.

— Qu'est-ce qu'elle fait là, alors ?

Les autres haussèrent les épaules, et Patte de Tige se résolut à poser la question qu'elles évitaient toutes.

— On la tue ?

Le chaton était étendu au sol, immobile et inconscient.

— C'est qu'un chaton, protesta Souffle de Cerise.

— Un chaton sûrement bien plus vieux que nous toutes réunies, en vérité, rétorqua Nuage Mélodieux.

Pupille d'Anis ajouta.

— Si on tue comme ça, on deviendra comme eux...

— On a prévu de faire la guerre, il faudra bien tuer à ce moment-là.

— Pas dans ces conditions.

Elles se décidèrent vite : le chaton refusé vivrait. Elles le laissèrent au sol avec regret, après que Patte Tachetée ait répété son coup à la tête pour être sûr de l'avoir neutralisé.

Le reste du trajet fut plus court. La deuxième prison était elle aussi laissée sans surveillance, à la grande surprise des cinq femelles.

Coeur de Pétale avait-il d'autres moyens de forcer ses prisonniers à rester dans leurs antres ?

Tout cela était presque trop facile.

Patte de Tige s'avança dans la tanière, celle-ci faiblement éclairée par une fente dans le toit.

Le verdict fut alors très rapide.

La prison était vide.

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Tempête de Calme attendait, le pelage balayé par un vent frais, sur le promontoire rocheux de Patte de Tige. D'ici, avec son groupe, elle voyait le camp des Refusés comme depuis les nuages.

Croc de Venin lui parlait un peu pour la détendre, mais elle préférait rester murée dans son silence, comme Poussière de l'Aube. Celui-ci avait absolument voulu rentrer dans le campement ennemi, mais Patte de Tige avait refusé.
Elle avait préféré choisir Patte Tachetée à la place, sûrement parce qu'il était plus simple de détester sa rivale amoureuse que son demi-compagnon.

Tempête de Calme lança un regard à Croc de Venin, et repensa à Coeur de Racine restée autour de l'île du Saule avec son équipe.

Oui... il était plus simple d'haïr sa rivale. Mais pourtant sa sœur avait choisi la solution inverse. Elle avait choisi d'éconduire Croc de Venin.

Mistral et Poil de Lumière discutaient à voix basse dans leur coin, sûrement des probabilités que la mission se transforme en fiasco. Tempête de Calme elle, avait plutôt un bon pressentiment. Le plan était plutôt logique, facile à réparer en cas d'erreur, et surtout beaucoup de guerriers aguerris étaient dans le coup.

C'était une vraie entreprise, méditée, réfléchie, approuvée par Étoile de Buisson et Étoile de Cailloux. Bien plus intelligente que les plans de dernière minute qu'elle avait suivis pour sauver le Grand Cratère.
Oui... Tempête de Calme avait plutôt un bon pressentim...

La douleur lui brûla la tête. La guérisseuse s'effondra par terre, et Croc de Venin se précipita vers elle.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?, s'inquiéta-t-il.

Poussière de l'Aube, Mistral et Poil de Lumière se rapprochèrent avec agitation. Entre deux inspirations douloureuses, Tempête de Calme réussit à formuler.

— C'est... c'est Patte de Tige.

La connexion qu'elle avait créé plus tôt dans la soirée était devenue douloureuse. Jusqu'alors, sa tante s'était contentée d'envoyer des vagues d'émotions rassurantes, indiquant que tout se passait bien. Mais là...
La soigneuse tigrée suffoquait, et Croc de Venin l'allongea sur le côté.

— Allez chercher un guérisseur !, ordonna-t-il.

— Et des renforts, ajouta Poussière de l'Aube.

Il se pencha vers Tempête de Calme, une expression interrogatrice sur le visage.

— Elle ne me dit rien, elle a peur, elle est en colère..., bredouilla l'autre.

Elle hoqueta, une nouvelle vague de souffrance la submergeant. Sa vision qui s'était améliorée au cours de la journée réinstalla un voile blanc.

— Ça se passe mal... ! Je n'ai plus de bon pressentiment, la voix me dit que ça va mal...

— Soit plus précise, bordel !

Poussière de l'Aube poussait des jurons, et Mistral était déjà partie chercher de l'aide. Croc de Venin répétait des mots doux pour calmer sa meilleure amie.

— Ma compagne et mes fils sont là-bas, affirma le brun foncé en désignant l'île du Saule. Aide-nous, Tempête de Calme !

Parlait-il de Patte de Tige ou de Patte Tachetée en disant « sa compagne » ? La soigneuse essaya d'articuler une dernière phrase, mais en fut incapable.
Le voile blanc fit disparaître les dernières traces floues qui dessinaient les visages, et elle s'évanouit.

><~•••~><

Patte de Tige se tourna vers Nuage Mélodieux.

— La tanière est vide... Tu es sûre qu'on est au bon endroit ?

— Oh oui, vous êtes au bon endroit.

En une fraction de seconde, les quatre autres chattes qui n'étaient pas dans la prison furent poussées à l'intérieur. Un matou musclé au pelage ras et roux les regardait méchamment. Il ordonna à quatre autres félins derrière lui.

— Ramenez d'autres guerriers pour vous aider à garder la cellule. Nous avons des prisonnières de luxe.

L'autre hocha la tête.

— D'accord, Fièvre Rugissante.

— Je m'en vais prévenir Coeur de Pétale que notre plan a bien fonctionné. Les proies ont été capturées !

Et alors Patte de Tige comprit.
Elle se pressa avec ses camarades contre le fond de la tanière.

Le camp vide.
La facilité à entrer.
Le chaton, seule présence ennemie.

Tout était organisé.
Ils savaient tout.

Ils avaient tout prévu, et maintenant, elles étaient elles aussi prisonnières.

Sable d'Ebène les avait pourtant prévenues que Petit Azur serait utilisé comme appât.

Elles étaient les proies.

Et ce Fièvre Rugissante avait raison.

Les prédateurs les avait capturées.

« Tempête de Calme...! Si la connexion a marché, écoute-moi ! Si la connexion a marché, dis aux autres que le plan a échoué ! Le plan a échoué ! »

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