Chapitre 30
Dès que l'état de Tempête de Calme se fut stabilisé, Patte de Tige était partie se recoucher. L'aube pointait déjà, et la guerrière s'était effondrée dans sa litière.
Seulement, ses rêves avaient été peuplés de cauchemars où Petit Azur était retenu prisonnier, affamé, et assoiffé. Elle vit son enfant en pleurs, apeuré et seul, et elle ne réussit plus à trouver le repos. En fin de matinée, Patte de Tige se résolut à abandonner sa quête de sommeil, et se leva malgré sa fatigue. Elle retourna jeter un coup d'œil à Tempête de Calme, qui était toujours inconsciente.
Était-ce de sa faute si la soigneuse avait dû utiliser son pouvoir malgré le danger auquel elle s'exposait ? Après tout, c'était Patte de Tige qui avait poussé sa nièce à parler de son don à Étoile de Cailloux.
Mais si elle ne l'avait pas fait, ils en seraient encore à débattre sur la véracité des faits annoncés par Nuage Mélodieux. Et ils ne sauraient toujours pas ce qu'il était advenu de Petit Azur.
« Nuage Mélodieux a dit la vérité. Petit Azur est bien là-bas... Votre fils est bien vivant, et Coeur de Pétale, le chef des Refusés, va vouloir l'utiliser comme otage. », avait dit Tempête de Calme.
Et la voilà qui à présent était tremblante et plongée dans un sommeil douloureux, étendue dans une litière comme un frêle chaton malade. Patte de Tige espérait que la guérisseuse se réveillerait vite.
Mais elle ne pouvait l'attendre avant d'agir. Elle avait la confirmation que Coeur de Pétale était bien le nouveau chef des Refusés, et il semblait à présent complètement fou. Toutes les horreurs qu'il avait commises ou ordonnées...
Patte de Tige ne voulait même pas y penser. Et il voulait utiliser son fils comme otage.
Les chefs étaient encore en train de réfléchir à la situation, à interroger Nuage Mélodieux sur les moindres détails de la discussion qu'elle avait eue lors du rêve. Mais la brune claire ne pouvait attendre que les meneurs se décident, elle savait que jamais ils ne choisiraient d'aller sauver Petit Azur au détriment de la guerre, et que si le chaton mourrait, ce ne serait qu'un dommage collatéral.
Ça, Patte de Tige ne le laisserait pas arriver.
La rumeur d'un rêve envoyé par un membre du Clan Nocturne s'était déjà répandue dans le campement des guerriers lorsque la femelle sortit de la réserve de remèdes, où se reposait Tempête de Calme. Pupille d'Anis et Mistral l'attendaient dans un coin du camp, discutant à voix basse. Quand Patte de Tige les rejoignit, elles s'approchèrent d'elle avec un air déterminé.
— Tu as un plan ?, interrogea Pupille d'Anis, manifestement déjà au courant.
L'autre hocha la tête.
— On agit sans les chefs. On se débrouille. Et on récupère mon fils. Je vous attends au promontoire, essayez de réunir tous les chats qui pourraient être intéressés par un sauvetage.
— À vos ordres, cheffe, sourit Mistral.
— On te fait ça en toute discrétion, ajouta Pupille d'Anis.
Patte de Tige les remercia d'un regard. Elle quitta le campement pour se rendre au promontoire rocheux qu'elle avait l'habitude de rejoindre lorsqu'elle se sentait mal. Il surplombait le Grand Cratère, offrant une vue d'ensemble des quatre territoires.
La guerrière tenta de réfléchir à un plan, mais seule, elle n'arrivait pas à grand chose. Mistral et Pupille d'Anis revinrent peu de temps après, accompagnées de Pelage d'Averse, Flèche d'Iris, Souffle de Cerise, Poil de Lumière, Coeur de Racine et Croc de Venin.
— Oh..., souffla Patte de Tige, troublée. Ça fait bien plus de personnes que ce que j'avais prévu.
— Plume Flamboyante arrive bientôt avec Nuage Mélodieux, lui apprit Pelage d'Averse dans un sourire.
Flèche d'Iris déclara en désignant sa patte.
— Je suis blessée, alors bien sûr, s'il y a une opération je ne pourrai pas participer. Mais je peux toujours aider d'ici.
— On se sent tous concernés, ajouta Coeur de Racine. Si c'était nos enfants à nous, tu nous aurais aidés.
Souffle de Cerise précisa.
— Et peut-être que là-bas, je retrouverai Plume de Lierre et Nuage de Dorure.
Patte de Tige, après s'être remise de sa surprise, les remercia tous. Ils s'installèrent en cercle, et elle exprima.
— On sait tous que les chefs ne nous aideront jamais à récupérer Petit Azur, ou n'importe quel autre prisonnier. Mais on ne peut pas laisser mon fils là-bas, car Coeur de Pétale a décidé de l'utiliser comme otage. Si on le prend de court et qu'on récupère mon enfant avant qu'il ait pu accomplir son plan, on aura une longueur d'avance.
— Je suis d'accord, appuya Poil de Lumière, à la surprise de tous.
Peu l'avait connu à l'époque où il n'était pas encore traumatisé par la mort de Souffle d'Or. Le guerrier semblait redevenu tout à fait lucide, et même plus mature qu'à l'époque où sa compagne était en vie.
— Coeur de Pétale ne s'attend pas à ce qu'on agisse rapidement. Il pense sûrement qu'on va préparer une attaque martiale qu'on effectuera dans longtemps, pour avoir le temps de l'organiser. Ce que les clans font tout le temps. On le devancera en agissant vite...
— D'accord, enchaîna Pupille d'Anis, mais ne nous précipitons pas.
Mistral acquiesça.
— Il ne manquerait plus qu'on échoue parce qu'on a bâclé la conception du plan.
— Alors, heureusement que je viens d'arriver, car vous oubliez un détail de taille : Coeur de Pétale sait que nous savons. C'est sûrement lui ou un de ses camarades qui a coupé mon rêve avec Sable d'Ebène.
Nuage Mélodieux venait d'émerger des arbres, accompagnée de Plume Flamboyante et de... Pollen Blanc.
— Les chefs m'ont enfin relâchée, déclara la vieille solitaire.
Patte de Tige se releva précipitamment.
— Qu'est-ce qu'elle fait là ?, questionna-t-elle en désignant sa sœur.
— Elle voulait venir, lui apprit Plume Flamboyante.
— Petit Azur est mon neveu, après tout, affirma Pollen Blanc.
Patte de Tige comprit, et elle plissa les yeux.
— Tu penses que Pelage de Ravin aussi est prisonnier, c'est ça...
Pollen Blanc haussa les épaules.
— Et alors ? Je suis sûre que Souffle de Cerise est là pour Plume de Lierre et Nuage de Dorure.
— Sauf que eux, contrairement à notre "frère", s'emporta Patte de Tige, n'ont jamais essayé d'anéantir ma vie.
Pupille d'Anis intervint.
— C'est pas grave, Patte de Tige.
Elle s'approcha de son amie pour la convaincre.
— Plus on est nombreux, mieux c'est. Peu importe les objectifs qui... motivent certaines personnes.
Une voix s'éleva alors derrière eux.
— Plus on est nombreux mieux c'est, ah ouais ? Alors je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas été invité à votre petite réunion censée sauver mon fils !
Patte de Tige tourna la tête et découvrit Poussière de l'Aube perché sur une racine, mécontent.
— Qu'est-ce que tu fais là, toi aussi ?, s'étonna la brune claire.
L'autre grinça avec ironie.
— Je ne sais pas... tiens peut-être que la mère de mon enfant ainsi que tous ses amis disparaissent tous d'un coup, juste après qu'on ait officiellement localisé l'enfant en question ! Bizarre, non ?
— Ça n'explique pas pourquoi tu nous as suivis...
Poussière de l'Aube roula des yeux.
— Patte de Tige, Petit Azur est aussi mon fils, je ne vois pas pourquoi j'ai été évincé de son sauvetage...
— Oh ben voyons !, ricana l'autre. Un fils que tu pensais mort il y a quelques heures, et que tu étais prêt à enterrer avec toutes les choses que tu voulais oublier ! Et ce, pour mieux t'enfuir loin de tes responsabilités !
Le matou répliqua.
— Qui pouvait espérer qu'il n'était pas mort, mais enfermé dans une prison avec des chats qui tuent normalement leurs ennemis !?
— Moi, je l'espérais !
Patte de Tige leva les yeux au ciel.
— Moi, je n'ai pas abandonné mon fils parce qu'il était l'excuse parfaite pour commencer une nouvelle vie avec une nouvelle femelle. « Prendre un nouveau départ » mon cul, oui !
— Tu ne comprends vraiment rien de ce que j'endure ! Tu crois que c'était facile, pour moi, de t'abandonner seule ici ?
— Si c'était si difficile que ça, pourquoi ne restes-tu pas ! Tu n'aimes même pas Patte Tachetée !
Poussière de l'Aube détourna le regard.
— Qu'est-ce que tu en sais ?
— Beaucoup ! Et je sais surtout que tu pars parce que tu es lâc...
— Arrêtez !
Petit Saule regardait ses parents, les larmes aux yeux.
— Qu'est-ce que...?
— J'ai suivi Poussière de l'Aube, affirma le chaton. Arrêtez, s'il vous plaît. Petit Azur ne voudrait pas que vous vous ridiculisiez comme ça pour lui. Regardez !
Le petit désigna tous les autres chats qui observaient la querelle.
— Alors arrêtez, s'il vous plaît ! Merde !
— Ne jure pas !, lui ordonna Poussière de l'Aube.
Le petit renifla, et s'enfuit à travers les bois.
— Je m'en occupe, assura Pupille d'Anis en s'élançant à la suite de Petit Saule.
Mistral se releva et déclara à l'adresse de tous.
— Allez, on va laisser Patte de Tige et Poussière de l'Aube discuter. On verra demain pour le plan, réfléchissez à ce qu'on a dit et à ce qu'on pourrait faire.
Ils partirent tous un à un, lançant des regards gênés au couple. Ou à ce qu'il en restait.
— Alors ?, interrogea la femelle une fois que tous les autres furent partis.
Poussière de l'Aube se détourna.
— Quoi ?
— Pourquoi tu voulais partir, si tu n'aimais pas Patte Tachetée ?
Il souffla.
— ... Pour toi.
— Comment ça, pour moi ?
— ... pour que tu sois indépendante. Mais aussi pour moi, pour que j'arrête d'avoir sans cesse peur de te perdre. Tu ne peux pas savoir ce que ça m'a fait, le jour de l'incendie, lorsque j'ai cru que tu étais... Je ne veux plus jamais revivre la même douleur.
Patte de Tige hocha la tête, amère.
— Tu es tout le temps comme ça. Tu dis faire ces choix pour moi, mais à chaque fois ils me blessent. Déjà une première fois lorsque tu m'as demandé de m'enfuir. Encore maintenant alors que c'est toi qui t'enfuis.
Poussière de l'Aube s'avança.
— Ne m'en veux pas, s'il te plaît.
— Ne compte certainement pas sur moi pour ça, conclut l'autre en se détournant.
><~•••~><
— Pourquoi tu m'as laissé mourir ?! Tu es un mauvais chef, Coeur de Pétale !
Tache Ardente lui griffe le visage.
— Tu ne mérites pas notre Clan ! Tu aurais mieux fait de mourir pour de bon, meurs, meurs, meurs !
Tous les guerriers du Clan apparaissent alors, répétant en chœur.
— Meurs ! Meurs ! Meurs !
Tache Ardente reprend.
— Je t'ai donné mes conseils, comme tu me l'avais demandé ! Et la seule chose que tu as fait c'est me trahir et m'envoyer à la mort !
— Je ne savais pas, glapit Coeur de Pétale.
Son bourreau ne l'entend pas.
— Meurs ! Meurs ! Meurs !
Les chats l'encerclent. Ils sortent les griffes.
— Arrêtez !
Les suppliques du meneur sont perdues à travers les cris de haine. Ils le déchiquettent, ils le griffent, le frappent, le mordent.
— Tu ne sers à rien, rien, rien !
— À part te faire avaler comme un imbécile par le Saule !
— Idiot !
— Salaud !
— Meurtrier !
— Tu es inutile, à part pour te faire bouffer !
Il étouffe, ils s'acharnent sur lui, du feu autour d'eux, du sang sur leurs pattes. Son sang à lui.
— Meurs, meurs, meurs !
Ils le dévorent, l'avalent, comme le Grand Saule l'avait fait, mais en plus violent, en plus réel.
Il meurt sous leurs griffes vengeresses, bouffé tout entier par leurs crocs et leur colère.
Coeur de Pétale se réveilla dans un sursaut. Son rythme cardiaque lancé dans une course effrénée. Il se calma lentement, effrayé, et se rallongea seulement après de longues minutes de stupeur.
En regardant le toit de sa tanière, il se rappelait des griffes qui le transperçaient.
Il s'endormit en pensant que sa propre haine le dévorerait.
~1918 mots
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