Chapitre 27

Pour ceux qui partaient, le départ était dans deux levers de soleil. Deux levers de soleil de marge pour retrouver les derniers chats du Cratère, pour s'organiser et préparer le voyage, et pour laisser aux félins le temps de faire leurs adieux avec ceux qui restaient.

Patte de Tige s'avança vers Poussière de l'Aube, qui mangeait en compagnie de Patte Tachetée. En la voyant arriver, la femelle ombragée se releva comme pour s'en aller, mais l'autre lui pria de rester.

— Ne te dérange pas pour moi, assura Patte de Tige.

Elle ajouta.

— Toutes mes condoléances pour tes camarades du Clan Ombragé. Ils ne méritaient pas cette tragédie.

Elle abaissa sa tête vers le sol, et prêta serment.

— Je te promets qu'en restant ici, je vengerai leur mort injuste. Pars la conscience tranquille, tes compagnons défunts trouveront le repos.

Patte de Tige releva son regard, et remarqua que le regard de Patte Tachetée était devenu fuyant.

— Merci, bredouilla-t-elle. Merci de ta générosité, Patte de Tige.

— Ce n'est rien.

La guerrière tournoyante se tourna vers Poussière de l'Aube, pour qui elle était venue à l'origine.

— Écoute... je ne remets pas ton choix en question, Poussière de l'Aube, tu me l'as déjà expliqué.

À travers cette phrase, elle parlait à la fois du voyage et de Patte Tachetée. Et même si la douleur était grande, elle devait l'accepter.

— Je te demande juste si... si tu pars parce que tu as abandonné les recherches de Petit Azur ?

Poussière de l'Aube poussa un soupir douloureux, et confia calmement.

— Patte de Tige... Je me dois d'aller de l'avant. Tu devrais le faire aussi, Petit Azur n'a pas... il est...

— Il est mort, c'est ça ?

Elle hocha la tête en perdant son regard derrière son interlocuteur.

— Petit Saule dit la même chose. Mais s'il est mort, jamais je ne pourrai me le pardonner. Et j'aurais voulu que tu m'aides à retrouver notre enfant, que je ne sois pas seule...

— Je veux aller de l'avant. Prendre un nouveau départ, et accepter la réalité. Sais-tu au moins depuis combien de temps nous le cherchons ?

Poussière de l'Aube n'attendait pas de réponse, mais Patte de Tige affirma quand même.

— Vingt levers de soleil. J'ai compté.

Elle les salua lui et Patte Tachetée, pour mettre un terme à la discussion, avant de finalement déclarer.

— Si je le retrouve mais que vous êtes déjà partis, j'essaierai de te le ramener.

Poussière de l'Aube acquiesça, dans un regard mélancolique. Ils échangèrent une longue œillade pleine de remords et durant une seconde Patte de Tige eut envie de l'étreindre jusqu'à s'en étouffer. Elle n'en fit rien.

— Prends soin d'eux, Patte Tachetée, implora-t-elle. Prends soin de Petit Saule et de Poussière de l'Aube.

La femelle ombragée hocha son visage orné d'un sourire qui semblait sincère.

Patte de Tige les quitta pour de bon cette fois-ci, élevant ces quelques pas au rang de nouveau départ. Elle allait venger tous ceux qui devaient être vengés, Petit Azur compris, et elle allait tout remettre dans l'ordre.

C'était une affirmation, pas une promesse.
Il ne pouvait en aller autrement qu'ainsi.

La guerrière rejoignit Pupille d'Anis et Mistral qui l'attendaient un peu plus loin, allongées sous l'ombre d'un des arbres entourant le campement.

— Ça s'est bien passé ?, demanda la chatte de grange.

— Oui. Patte Tachetée ne m'a même pas provoquée, je n'arrive pas à la détester, soupira Patte de Tige.

Mistral grommela.

— N'importe quoi, c'est une abrutie et Poussière de l'Aube a abaissé ses standards depuis toi.

Son amie lui fit les gros yeux, tandis que Pupille d'Anis protestait en affirmant que Patte Tachetée était très intelligente.

— Ne dites pas ça d'elle, soupira la femelle écaille de tortue, je ne pourrai plus la regarder en face après !

— Mais moi, je la respecte, fit Patte de Tige, c'est Mistral qui abuse.

— J'abuse pas, j'exprime la vérité. C'est pas ma faute si elle a une tête d'écureuil.

— Mistral !, protesta Pupille d'Anis. Elle n'est pas aussi bien que Patte de Tige, mais pas besoin de la rabaisser !

Après un petit débat mouvementé sur les goûts amoureux de Poussière de l'Aube, qui déprima un peu Patte de Tige, Pupille d'Anis conclut :

— Je ne suis pas restée pour rien, Patte de Tige. Poussière de l'Aube part avec une compagne et ses enfants, je ne pouvais pas te laisser seule. Alors je t'ai choisie toi, parce que tu es ma famille.

— Tu es notre sœur, appuya Mistral.

Patte de Tige affirma d'une voix moqueuse.

— Ooh, arrêtez, vous allez me faire pleurer !

Il s'avérait que c'était vrai, mais jamais elle ne leur avouerait.
Elles aussi, elles étaient ses sœurs.
Pupille d'Anis s'exclama alors :

— Oh, tiens, regarde Mistral, ton compagnon arrive !

La concernée leva les yeux au ciel, ignorant d'abord la remarque puis le fait que Poil de Lumière avançait vers elle à grands pas.

— C'est pour toi qu'il a choisi de rester, c'est sûr !

— Je confirme, taquina Patte de Tige.

— Ce n'est pas mon compagnon, grogna Mistral.

Les deux autres échangèrent un regard plein de sous-entendus en s'esclaffant. L'ancienne chatte de grange se releva en les foudroyant du regard, et rejoignit Poil de Lumière avec qui elle échangea un mince sourire.

— Ils vont bien ensemble, commenta Pupille d'Anis.

— J'ai hâte qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils comprennent qu'ils sont unis par plus que leurs douleurs passées..., ajouta Patte de Tige.

— Jolie tournure de phrase, dis donc. Digne des récits philosophiques contés par les anciens !

— Moque-toi, vas-y !

La guerrière abattit un coup de patte mollasson sur la joue de sa meilleure amie.

— Oublie pas que je suis plus âgée que toi...

— C'est vrai que tu ressembles de plus en plus à une ancienne, tu devrais observer ton reflet dans l'eau plus souvent !

— Pupille d'Anis !, hoqueta Patte de Tige dans un rire. Je ne te permets pas !

— Mais moi je me le permets !

Les deux guerrières rirent ensemble un moment, avant que Petit Saule n'arrive par surprise pour les attaquer toutes les deux.

— Au secours !, s'exclama Pupille d'Anis.

— Le chef Étoile de Saule du Clan Tournoyant va mettre à terre ces deux vilaines chattes errantes !, s'écria le chaton avec un sourire ravi.

— Ne dis pas ça face à Mistral, le terme de « chat errant » la met en rogne, prévint Patte de Tige avec un rictus joueur.

Petit Saule haussa les épaules, avant de s'élancer sur sa mère et Pupille d'Anis dans un cri de guerre. Les femelles roulèrent dans la poussière, simulant leur défaite en riant, pour faire plaisir au petit.

Deux levers de soleil.

C'était le temps qu'il restait à Patte de Tige pour préparer son nouveau départ. Pour profiter de son fils qui partait, et pour accepter que l'autre était déjà parti.
Pour rigoler une dernière fois, avant que la guerre ne ramène les larmes.

Deux levers soleil seulement...

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Tempête de Calme avait dormi toute la matinée, prétextant de veiller sur Flèche d'Iris pour reposer son corps affaibli par sa blessure à la tête. Celle-ci avait beau cicatriser correctement, elle lui faisait mal à chaque mouvement, et la fatiguait énormément.
Flèche d'Iris, elle, avait la patte très amochée, et avait manqué de peu une infection. Le genre qui aurait pu la faire s'appeler Flèche de Patte-Cassée.

Le surnom ramena les pensées de la guérisseuse à Croc de Venin, qu'elle avait évité le plus possible ces derniers-temps. À vrai dire, depuis la manifestation de l'étrange voix dans sa tête, elle évitait un peu tout le monde. Avec Patte de Tige, elle avait réussi à légèrement contrôler ce pouvoir, ce qui lui permettait de rester l'esprit clair tant qu'elle ne regardait pas les chats dans les yeux. Elles avaient passé toute l'après-midi à établir cette technique qui demandait énormément de concentration, et elle était loin d'être parfaite. À chaque fois que Tempête de Calme croisait le regard de quelqu'un, elle était assaillie par le flot infini de pensées qui traversaient l'esprit du chat, lui donnant à la fois des informations qu'elle préférait ignorer, mais aussi une violente migraine qui partait au bout de plusieurs longues minutes. Elle avait donc toujours le regard fuyant, et elle évitait le plus possible d'être en contact avec d'autres guerriers.

Mais si ça pouvait lui permettre de moins voir Croc de Venin dont la présence la brûlait comme un feu de forêt, ou Coeur de Racine dont la nonchalance s'était transformée en mauvaise humeur constante, ça l'arrangeait.
La guérisseuse n'arrivait pas à comprendre si sa sœur n'était vraiment pas amoureuse du guerrier, où si elle essayait juste de se faire désirer. Dans tous les cas, la grise évitait elle aussi Croc de Venin, à croire qu'il était devenu l'ennemi numéro un de leur fratrie.

En bref, quand Tempête de Calme sortit de la tanière de remèdes, c'était dans le seul but d'aller se nourrir d'un peu de viande, et sûrement pas de faire la conversation. Seulement, à peine avait-elle fait quelques pas dehors que Croc de Venin l'intercepta .

— Tempête de Yeux-Bizarre ! On ne se voit presque plus ces temps-ci, tu as disparu de ma vie ou quoi ?!

Le guerrier rigola d'un rire qui retourna le ventre de la soigneuse et elle s'insulta intérieurement d'avoir des émotions plus puissantes que sa volonté. La femelle qui avait jusque-là gardé les yeux au sol pour ne pas entendre les pensées de Croc de Venin, releva la tête, et croisa les prunelles marron foncé de son interlocuteur.

"Coeur de Racine. Incroyab. J'espère qu'elle m'aim. Elle est fâchée. Nouveau départ. Le voyage nous rapprochera. Coeur de Racine. Je l'ai."

La guérisseuse abaissa vivement le regard, un violent mal de tête lui enserrant le crâne. Elle regretta cet acte intrusif qui lui avait rouvert des plaies pas encore cicatrisées.

— Alors, quelles sont les nouvelles de ton côté ?, enchaîna-t-il sans se douter de rien.

— Pas grand chose de spécial, mentit-elle.

Heureusement, Patte de Tige sauva Tempête de Calme de la désagréable discussion qui allait suivre, en « l'empruntant » à Croc de Venin.

— Il faut qu'on parle de ton pouvoir, affirma la brune claire après qu'elles se soient éloignées à grandes enjambées.

— Heu oui, ok.

La migraine de la blanche tigrée ne s'était toujours pas estompée.

— Étoile de Cailloux !, appela Patte de Tige.

Elle se tourna vers Tempête de Calme.

— Écoute, j'ai compris que tu as décidé de rester ici pour que ton pouvoir nous aide dans la guerre, et je t'en remercie...

C'était vrai, même si elle était aussi restée pour ne plus jamais revoir son meilleur ami et sa sœur.

— Sauf que pour qu'il nous soit utile, il faut au moins qu'Étoile de Cailloux soit au courant de son existence. On va l'informer maintenant que je l'ai appelé, comme ça tu ne te défileras pas. Ne t'inquiète pas, on ne le dira à personne d'autre. Comme ça, ça fera cinq personnes qui sont au courant, avec toi, moi, lui, et puis Coeur de Racine et Croc de Venin.

— Quoi ?, s'affola la guérisseuse. Tu l'as dit à Coeur de Racine et Croc de Venin ?!

— Non... mais toi tu l'as fait, non ?

Son cœur s'apaisa.

— Pas vraiment. On n'est pas en très bon terme, ces temps-ci.

Étoile de Cailloux arriva à ce moment-là, et Patte de Tige expliqua rapidement la situation.
Elle laissa à Tempête de Calme le soin de faire une démonstration de son pouvoir au chef qui semblait soupçonneux, et même si la guérisseuse n'était pas confiante à l'idée de dévoiler ce don, elle se lança quand même, ignorant la migraine qui allait l'assaillir.

— Vous... vous réfléchissez à un plan d'attaque contre les Refusés, commença-t-elle. Vous souhaitez encercler l'île du Grand Saule pour les prendre par surprise... Vous voulez venger vos camarades décédés, et vous en voulez à Étoile de Buisson de partir sans se battre.

Elle termina.

— Vous avez aussi faim. Et je suis d'accord avec vous, un mulot ferait parfaitement l'affaire pour ce midi.

Étoile de Cailloux la fixa, les yeux rond, et il balbutia.

— Et bien, par le Clan Nocturne...

— Étonnant non ?, renchérit Patte de Tige. Le Clan Nocturne a beau avoir été détruit, si c'est lui qui a offert ce don à Tempête de Calme, je peux affirmer haut et fort qu'il ne nous a pas abandonnés !



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