Chapitre 21

Lentement, mais sûrement, l'éradication totale des félins du Grand Cratère avait continué à avancer. Coeur de Pétale aidé de ses cinq Conseillers avait supervisé la manœuvre du mieux qu'il pouvait. Cependant, l'opération avançait trop lentement au goût du chef. Ils avaient en tout recensé la mort de cinq chats seulement.
Deux félins ondoyants, deux ombragés, un tournoyant... Et tout ça en sept jours.

Combien de Refusé avait été vengé, avec cinq chats seulement ?

Ce n'était pas des résultats très concluants, ce qui avait déclenché une impatience sourde chez le meneur, qui muait le plus souvent en colère hystérique.

La seule bonne nouvelle s'avérait être que le chat tournoyant abattu s'agissait d'Étoile de Lichen, une ancienne cheffe de l'époque où Coeur de Pétale vivait dans les clans. Malgré le fait qu'elle ait auparavant accepté d'intégrer le tigre au clan, c'était aussi elle qui l'avait envoyé faire la mission qui l'avait tué.
Alors apprendre que la femelle n'était à présent plus que de la chair en décomposition avait un peu remonté le morale du chat, ainsi que l'estime qu'il avait de Tache Ardente, celui qui avait exécuté Étoile de Lichen.

De son côté, Coeur de Pétale avait soigneusement passé les derniers jours à oublier l'exécution de Patte de Nuée, et le goût de bile qui lui remontait dans la gorge à chaque fois qu'il y pensait. Ses guerriers étaient devenus distant avec lui depuis, comme s'ils le craignaient, et il ne savait pas trop s'il appréciait ça.
Les mots de Feuille Diurne lui revenaient en mémoire à chaque fois qu'un doute menaçait de lui faire regretter son acte :

« La justice s'accompagne parfois de cruauté. Si nous voulons montrer que nous valons quelque chose, si nous voulons être acceptés, nous ne pouvons rester dans la passivité. Pour une bonne cause, il faut parfois accomplir de mauvais actes. »

Le guerrier ne pouvait cependant s'empêcher de songer que s'il n'avait pas fait revenir Patte de Nuée à la vie, pour en plus la tuer ensuite, sa connexion avec Nuage de Trèfle ne se serait pas rompue. Il essayait de se convaincre que l'âme enfermée dans Feuille de Saule reprenait juste des forces après l'effort incommensurable qu'elle avait fourni, mais toutes les tentatives de Coeur de Pétale visant à rentrer en contact avec Nuage de Trèfle avaient échoué.
À cette allure-là, en sachant que sa phase d'éradication des chats de clan ne fonctionnait pas vraiment, il se retrouverait coincé entre les deux étapes les plus importantes de son plan de vengeance.

C'est en essayant de se changer les idées, allongé sous le promontoire de son campement, que le chef du Clan des Refusés aperçut deux de ses guerriers s'amuser à piétiner les restes de Feuille de Saule. Le meneur bondit brusquement, et s'en alla les réprimander à coups d'injures et de menaces. Son plan était déjà assez endommagé comme ça, sans que des fauteurs de trouble n'ajoutent d'autres problèmes à sa connexion avec Nuage de Trèfle.

— Allez rejoindre une patrouille de traque, plutôt que d'abîmer notre statue centrale !, grinça Coeur de Pétale.

Les deux fautifs, dont le chef ne connaissait même pas le nom, s'éclipsèrent avec effroi. Ils ne le regardèrent même pas dans les yeux. Avaient-ils eu peur que le tigré leur fasse subir le sort de Patte de Nuée ? Fièvre Rugissante le rejoignit tandis qu'il chassait tant bien que mal ses doutes.

— Toison Blanche et Fleurs de Gui doivent te faire part d'une... erreur de leur part, prévint-il.

Le lieutenant semblait profondément contrarié, alors Coeur de Pétale se tourna vers les deux concernés, les sourcils arqués. Il remarqua directement que les guerriers refusés étaient accompagnés de deux prisonniers, un chat adulte et son enfant.

— Plume de Lierre..., souffla le chef en le reconnaissant sans difficulté.

Son ancien camarade du Clan Tournoyant soutint le regard consterné qu'il lui lançait.

— Alors comme ça, c'est toi le responsable de la destruction du Grand Cratère ?, grogna Plume de Lierre. Je ne sais même pas pourquoi je suis étonné.

Coeur de Pétale articula lentement, d'une voix haineuse.

— C'est parce que tu m'as toujours sous-estimé, Plume de Lierre...

Il se tourna vers Fièvre Rugissante, et ordonna.

— Emmène ces deux-là dans la prison derrière ma tanière, s'il te plaît. Celle où se trouve Petit Azur.

Son lieutenant hocha la tête à l'affirmative. Le fils de Patte de Tige s'y trouvait, ainsi que les trois félins du Clan Nocturne que le meneur avait par erreur ressuscités lors de la résurrection de Patte de Nuée : Moustache de Lilas, Étoile de Prairie et Loup Noir.
L'antre des détenus était gardée par trois guerriers Refusés, pour plus de sûreté. Même si le vœux de Coeur de Pétale à la Pierre Spirituelle empêchait les fuites, il ne voulait prendre aucune risque.

Fièvre Ardente emmena Plume de Lierre et le jeune chat qui semblait être son fils, et Coeur de Pétale ordonna.

— Demande à un autre guerrier de garder la prison. On ne sait jamais.

Le prisonnier du Clan Tournoyant interrogea alors, s'arrêtant tandis que le lieutenant essayait de le faire avancer.

— Que comptes-tu faire de nous, Coeur de Pétale ?

L'interpelé répondit par une question.

— Comment s'appelle ton enfant ?

— Nuage de Dorure, annonça le principal concerné.

Le chat aux yeux bleus miaula.

— Et bien, Nuage de Dorure, bienvenue chez les Refusés.

Il se tourna vers Plume de Lierre.

— Ne pose pas de questions, et soit satisfait d'être encore en vie.

Le détenu afficha une grimace méprisante, que Coeur de Pétale ignora. Il se tourna vers Toison Blanche et Fleurs de Gui tandis que les prisonniers étaient acheminés vers leur prison.

— C'est quoi cette histoire, encore ?, s'agaça-t-il. Vous êtes censés exécuter les chats du Grand Cratère, par les ramener dans notre campement !

Son subordonné répliqua avec une expression faciale mélangeant honte et mépris.

— C'est un enfant, Coeur de Pétale. Les Refusés méritent leur vengeance, mais on ne pouvait ni le tuer lui ni tuer son père devant lui.

Son chef s'avança d'un pas, et lui fit la morale d'une voix menaçante.

— La question n'est pas de devenir des pourritures ou non, mais d'exécuter les ordres de votre chef. Avez-vous idée de tous les sacrifices que j'ai accomplis pour en arriver ici ? Avez-vous déjà oublié que moi, je me suis sali les pattes pour notre vengeance ? L'exécution de Patte de Nuée a convaincu tous vos camarades de la nécessité d'effectuer correctement mon plan. Je ne vois pas pourquoi ce serait une exception pour vous.

— Alors quoi, grimaça Fleurs de Gui. Quelle va être notre punition ?

Coeur de Pétale réfléchit un instant, ses sourcils toujours autant froncés.

— Vous ne serez pas punis pour l'instant, mais vous avez intérêt à obéir aux ordres. On se retrouve avec deux prisonniers sur le dos par votre faute. Si vous désobéissez encore, ce sera directement une visite sans retour chez Patte de Nuée.

Les deux félins fautifs promirent d'agir convenablement par la suite, avant de s'en aller en échangeant des œillades mal à l'aise.
Coeur de Pétale avait du mal à contenir sa colère, mais il ne devait pas se laisser aller à la rage, s'il voulait être un bon meneur pour son clan. Tache Ardente s'approcha alors de lui pour donner son avis.

— J'ai écouté votre conversation de loin, Coeur de Pétale, et je pense que tu ne devrais pas te montrer si dur envers Toison Blanche et Fleurs de Gui. Tuer de sang froid n'est pas facile, surtout lorsque l'on n'est pas dans l'action d'une bataille.

Son chef garda le silence, alors le roux continua.

— Peut-être est-ce même une bonne idée d'agir ainsi. Certains guerriers pourraient directement aller tuer les chats du Grand Cratère, tandis que d'autres les ramèneraient au campement pour les exécuter ici.

L'expression froide de Coeur de Pétale contrastait avec le feu irrité qui brûlait en lui.

— Écoute moi bien, Tache Ardente, prévint-il. Tu n'es plus le lieutenant de ce clan, et malgré ton statut de Conseiller, je trouve tes remarques sur la façon que j'ai de diriger mon clan un peu trop nombreuses.

Le chef tigré implanta son regard de braise dans celui de son interlocuteur.

— Ce n'est pas de ce genre d'investissement que nous avons besoin. Il serait tant que tu le comprennes.

Et sur ce, il le congédia.

><~•••~><

Patte de Tige intercepta de manière subtile Poussière de l'Aube et Patte Tachetée, bien décidée à enfin mettre les choses au clair. Elle s'imposa entre les deux avant qu'ils ne franchissent la sortie du camp.

— Vous partez en patrouille de chasse ?, questionna-t-elle.

Le mâle la dévisagea un instant, d'un regard indéchiffrable, avant de préciser.

— Oui, mais on préfère rester seuls tous les deux.

La brune claire prit une grande inspiration.
Ça suffisait, les histoires de Poussière de l'Aube. Soit il était le compagnon de Patte de Tige, soit il ne l'était plus.
Les malentendus, les non-dits et les faux-semblants allaient bien deux minutes.

— Tu es sûr que tu ne veux pas que je me joigne à vous ? Histoire que l'on discute un peu...

— Je suis sûr, oui, grogna le brun foncé.

Patte Tachetée confirma d'une grimace désolée.

— Alors, dites-moi tout, continua Patte de Tige sans se défiler, vous êtes en couple, c'est ça ? J'aimerais bien que ce soit clair, au moins...

Sa rivale abaissa maladroitement le regard au sol, honteuse, tandis que Poussière de l'Aube grommelait.

— Tu es encore bloquée sur ça, Patte de Tige ? Laisse-nous un peu, on veut juste partir chasser.

Il ne comprenait décidément pas.
Elle haussa le ton.

— Sauf que pour l'instant vous n'allez pas « partir chasser », Poussière de l'Aube. J'ai besoin de réponses. Et de comprendre.

Elle en avait marre de ne pas pouvoir se concentrer sur les véritables problèmes parce qu'elle était tourmentée par ses histoires de cœur.

— Arrête, s'il te plaît, souffla son compagnon en jetant un coup d'œil par dessus l'épaule de la femelle.

Elle comprit que sa petite interaction avait commencé à attirer les regards.

— Je ne vais pas m'arrêter, non, je ne crois pas, contra Patte de Tige.

Elle s'avança d'un pas, répétant.

— Avoue-moi que vous êtes amants.

— Je ne te manquerais pas de respect comme ça, contredit le mâle. Je te l'ai déjà dit.

— Mais tu me manques déjà de respect !, feula Patte de Tige.

Poussière de l'Aube resta muet.

— Alors, non, tu ne vas pas partir tranquillement chasser avec une femelle qui te fait la cour ! J'en ai marre d'être juste là pour sauver les apparences ! Parce que tu n'oses pas me quitter alors que tu batifoles avec cette abrutie devant moi ! J'en ai marre, Poussière de l'Aube ! Assume ou arrête !

Elle retint un sanglot de rage, et réitéra.

— Assume ou arrête, merde !

Poussiéreux de l'Aube secoua la tête, déçu, et c'est à cet instant que Patte de Tige remarqua tous les félins regroupés autour d'elle.

— Tu es ridicule, commenta le matou. Tu n'écoutes pas ce que j'ai à te dire, tu es jalouse et possessive, discuter ne sert à rien.

Il entraîna Patte Tachetée hors du camp, bien décidé à quand même effectuer sa partie de chasse.
Patte de Tige resta sur le seuil du campement, encore sous le choc face aux agissements du guerrier.
Elle découvrit la présence de Pupille d'Anis et Mistral lorsqu'elles assurèrent, pour la réconforter.

— Ce n'est pas grave, Patte de Tige. Tu restes à jamais notre préférée, à nous.

Les deux chattes se pressèrent affectueusement contre celle aux prunelles vertes.

Une petite voix perça alors le silence.

— Tout va bien, Patte de Tige ?

N'osant alors affronter le regard de son fils, la guerrière ignora la question de Petit Saule. Trop honteuse de sa crise de jalousie, la colère retombant en laissant place à l'amertume, elle émit un petit hoquet de tristesse.


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