Chapitre 34

Pollen Blanc et Plume Flamboyante portaient à deux la longue Racine, dont les extrémités ressemblaient étrangement à des oreilles, un museau et une queue de chat.
Patte de Tige menait la marche, épuisée, et ne savant quoi penser. Encore plus maintenant qu'elles étaient sorties de la Grotte des Refusés, une vérité qu'elle ne pouvait accepter tournoyait dans son esprit, tel un rapace dans le ciel.

Quelle genre de sœur, ou de tante adoptive était-elle, elle qui avait laissé Azur, son cher petit Azur, mourir une deuxième fois et fusionner avec un artefact étrange et sybillin ?

La boule qui lui serrait le ventre ne cessait de se resserrer.

— Espérons que le Clan Ombragé ne vienne nous causer des problèmes, parce qu'il aura senti notre odeur sur leur territoire..., pria Pollen Blanc, sa voix déformée par la Racine dans sa gueule.

Patte de Tige n'arrivait pas à regarder le remède sacré qui sauverait le Grand Saule. Elle se sentait tellement mal.

— Il ne nous embêterons pas si on leur dit que c'était pour sauver le Saule, assura Plume Flamboyante.

— Si on arrive à le sauver, répliqua Patte de Tige, ses remords la rendant amère et pessimiste.

Pollen Blanc en trébuchant légèrement, gênée par la branche dans sa gueule, affirma.

— On y arrivera, j'en suis sûre !

Un silence pesant s'installa, rompu par Patte de Tige.

— Tu lui as menti, Pollen Blanc. Il est trop tard pour qu'il se fasse accepté par les clans..., reprocha la brune claire en repensant aux paroles qui avaient convaincu Azur.

La guerrière dorée ne prit pas directement la parole, et c'est avec hésitation qu'elle se justifia.

— Toi, Plume Flamboyante, Pelage d'Averse, Flèche de Coquelicots, Mistral, Poussière de l'Aube... Vous l'avez accepté, non ? Je pense qu'au fond, il n'y a pas grande différence.

Elle bredouilla.

— Vous êtes son clan à lui...

À travers les hautes herbes de la prairie, Patte de Tige vit qu'elles arrivaient au tunnel menant au Portail.

— On est pas son clan. On est sa famille. Et la différence, c'est qu'un clan peut te rejeter... ta véritable famille, non.

Elle lança un regard rempli de rancœur à sa sœur, qui ne le soutint pas.

— Allons-y, déclara la femelle aux yeux verts.

Le vent lui fouettait le pelage, encore plus que les regrets qui s'insinuaient en elle comme de la boue visqueuse et asphyxiante.

Plus que jamais, elle se demandait si sacrifier Azur avait été le bon choix.

Au fond, elle savait sûrement que non.

En entrant dans le boyau, une forte odeur de sang séché lui agressa les narines, et le froid du dehors disparut remplacé par une douce et rassurante chaleur.

Il était déjà le milieu de la matinée.
Le cœur de la brune claire se resserra une énième fois.
Plus les trois femelles se rapprochait du Portail, plus Patte de Tige angoissait.

Malgré elle, elle ne cessait de se demander ce qu'il se passerait si la Racine ne fonctionnait pas.

Nuage de Racine et Nuage de Calme avaient-elles finalement pu retenir l'attention des membres du Clan, ou convaincre Étoile de Lichen de laisser Patte de Tige sauver l'arbre sacré ?

En arrivant dans la cavité du Tombeau du Saule, la femelle eu sa réponse.

Étoile de Lichen et Bourrasque de Jais se tenaient à une distance raisonnable du squelette de bois, aux côtés d'une Nuage de Racine agacée et d'une Nuage de Calme au regard vide.

— On a été obligé de leur dire, affirma l'apprentie au poil gris.

En les voyant arriver, Étoile de Lichen fronça les sourcils et s'écria.

— J'aimerais bien savoir qu'elle est cette histoire de Tombeau, de prophétesse, et de Grotte des Refusés ! Depuis quand Nuage de Calme et Nuage de Racine ne sont-elles plus les élues !? Et depuis quand vous ne respectez pas les ordres qui vous obligeaient à rester au camp !?

Plume Flamboyante et Pollen Blanc peinaient à faire rentrer la Racine dans la cavité, et Patte de Tige ne répondit pas à la cheffe pour s'empresser d'aider ses camarades.

— Je pense, Étoile de Lichen, que tu te fais vieille et que les événements te dépassent depuis bien trop longtemps..., affirma la guerrière. Nous sauverons le Saule grâce à la Racine, et je t'expliquerai tout ensuite.

Nuage de Calme éclata en sanglots, et s'écria.

— C'était moi l'élue ! C'était moi qui devait sauver les Clans !

Avec une vitesse ne laissant à personne le temps d'intervenir, elle sortit les griffes, bondit sur la Racine, et en trancha un bout. La novice battait des pattes avec rage, comme si le corps fusionné de Coeur de Pétale était la raison de tous ses malheurs.

Patte de Tige s'élança vers la guérisseuse, et la repoussa en feulant.

— Ne gâche nos chances de sauver le Grand Cratère, petite idiote !

Nuage de Racine accourut à ses côtés aussi, et poussa de ses pattes sa sœur pour l'éloigner de la Racine.

— Reprends-toi ! Tu es cinglée ! Croire être l'élue t'a complément retournée le cerveau !

Une partie de la Racine était tombée au sol, arrachée. Patte de Tige soupira, et dans un élan de courage, elle apporta le remède près du cadavre de Feuille de Saule, en ordonnant.

— Mange moi ça, Saule de malheur, et laisse nous tranquille !

Étoile de Lichen s'écria.

— Arrête, Patte de Tige !

La meneuse bondit sur la femelle, et la plaqua au sol. L'épaule de celle-ci fit un bruit sourd en tombant, et elle serra les dents de douleur, assénant un coup de patte sur le museau de la cheffe pour se dégager.

Bourrasque de Jais écarta Étoile de Lichen, et il lui intima.

— Calme-toi ! Qu'est-ce qu'il te prend ?

La meneuse cracha.

— Elle va tuer le Saule ! C'est elle qui va tuer le Grand Saule, on ne peut pas la laisser faire...!

Tandis que le lieutenant essayait de raisonner sa meneuse, Nuage de Racine attrapa la Racine, et déposa l'artefact contre le squelette de Feuille de Saule.

Dans cette position, on aurait dit que la fondatrice des Clans posait sa truffe sur le front de Coeur de Pétale, le baptisant une dernière fois en tant que chat de clan.
Des milliers de petits fils de bois émergèrent du squelette, et il recouvrirent l'intégralité de la Racine dans un craquement retentissant. Un éclair blanc et vif éblouit Patte de Tige et les autres, avant de se dissiper dans un nuage de poussières, à l'odeur de bois.

Le cadavre de Feuille de Saule brillait de vie, animé par pleins de couleurs, passant du vert au bleu, et du bleu au vert, et la tige qui soutenait le corps, cette tige abîmée qui aurait tout détruit, cette tige dont le nom avait poussé les Clans à haïrent Patte de Tige, cette tige qui portait le destin de tout un Cratère dans ses pattes, se fortifia, se renforçant jusqu'à devenir un gros bâton de bois d'un diamètre semblable à la patte d'un chat.

Ce mince petit fil juste avant aussi épais qu'une tige d'herbe, avait retrouvé toute sa vigueur et sa santé passée.
La cavité du Tombeau du Saule était parcourue de marbrures bleues et vertes, comme des petites veines apportant la vie.
Étoile de Lichen contemplait bouche-bée le phénomène, aux côtés d'un Bourrasque de Jais aux sourcils froncés.

Plume Flamboyante et Pollen Blanc se lançaient des œillades soulagées et incertaines, heureuses d'en avoir enfin terminé.
Nuage de Calme pleurait de son côté, et Pollen Blanc serra sa fille contre elle en lui caressant le dos de sa queue.

Patte de Tige s'approcha du squelette de Feuille de Saule, lorsqu'une tempête grise déboula dans la cavité en s'écriant.

— Vous avez réussi ! Qu'avez-vous fait !? Comment avez-vous fait !? Les feuilles du Grand Saule commencent déjà à repousser, son écorce n'est plus noire, et il se redresse petit à petit !

Pelage d'Averse termina sa course dans les pattes d'Étoile de Lichen, qui feula, et grinça.

— Qui t'as autorisé à venir ici ? Et comment !

— Poussière de l'Aube m'a dit de vous prévenir dès qu'il l'a vu, on patrouillait à côté, s'excusa le guerrier gris, l'adrénaline l'empêchant sûrement d'avoir l'air penaud.

— Allons-voir le Saule, proposa Bourrasque de Jais.

Le lieutenant, Plume Flamboyante, Pelage d'Averse et la cheffe un peu réticente, s'en allèrent, partant découvrir les miracles que la Racine avait entraînés.

Patte de Tige s'approcha de Nuage de Calme et lui murmura.

— Tu vas très mal, ma pauvre. Moi aussi, j'ai failli devenir complètement folle à cause de cette histoire de Saule. Mais tout est réglé, maintenant ! Le Grand Saule est guéri, et ce, j'espère pour toujours ! Tu dois apprendre à vivre détachée de la prophétie, je l'ai fait, et je t'assure, ce n'est pas si terrible que ça !

Elle déposa sa truffe sur le front de sa nièce, et celle-ci étouffa un petit sanglot de regret.




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Chapitre de 1454 mots...

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