Chapitre 1 : de grands yeux bleus
-Solaë, ma chérie ! N'oublie pas que tu dois prendre le train aujourd'hui !
La voix d'une femme d'une cinquantaine d'années perça jusqu'à la chambre, et le visage associé ne tarda pas à apparaître dans l'embrasure de la porte.
-Oui, Maman, je sais. Tu me l'as déjà rappelé hier.
Solaë coiffait ses longs cheveux dorés devant son grand miroir, quand sa mère vint lui faire un baiser sur le front.
-Je t'aime, ma chérie, continua-t-elle. Je me fais beaucoup de soucis pour toi, tu sais. Jusqu'à présent, je pouvais veiller sur toi, mais maintenant que tu pars en pensionnat à Maëkla... Je ne peux plus rien faire, la capitale est bien trop loin.
-Je sais, Maman. Je penserais fort à toi et je reviendrais le week-end. Pourquoi te fais-tu tant de soucis ?
-La capitale est très loin, et j'ai entendu dire que les autres peuples avait de la rancune envers les Oculus. Fais attention à toi.
-Ne t'en fais pas, Maman. Ils n'auront pas une vision comme moi !
-Je suis fière de toi, ma fille. Honores les Oculus. Prends soin de toi.
-Oui Maman.
La jeune fille se leva d'un bond et rejeta ses longs cheveux vers l'arrière.
-Bonne journée, ma chérie, ajouta sa mère avant de s'éloigner.
-Oui, à toi aussi Maman.
Un dernier coup d'œil au miroir. Une robe rose épaisse avec un col roulé sans manches, sa préférée, une ceinture grise magnétique avec un cercle en son centre, deux longues manches chaudes attachées au majeur jusqu'au milieu de la partie supérieure du bras, un épais pantalon chaud ficelé sur le bas pour ne pas gêner et de grosses bottes de fourrure. La tenue parfaite pour résister au froid tout en faisant bonne figure. Ses cheveux dorés retombaient vers l'arrière, libres, une mèche ou deux tombant sur son front. Ses deux grands yeux bleus la dévisageaient. Le signe qu'elle était Oculus.
Lhétaë, son pays, contenait quatre terres, qui portaient chacune des caractéristiques précises et différentes. Les Oculus, les plus au Nord, avaient de grand yeux et une très bonne vue. Les Bucca, un peu plus au Sud, avaient une grande bouche aux lèvres rougeoyantes et aux dents éclatantes, ainsi qu'un excellent goût et de belles voix, les Nasus avaient un nez imposant et un odorat particulièrement développé et les Auris avaient de grandes oreilles semblables à celles des elfes et une ouïe inouïe. Environ un tiers de la population générale avait un pouvoir en lien avec son peuple, la plupart se révélant minimes ou inutiles.
Après un dédale de couloirs, Solaë se retrouva dehors, dans l'atmosphère glaciale des terres nordiques des Oculus.
Elle marcha pendant une dizaine de minutes, précédée par son souffle de vapeurs froides. Lorsqu'elle arriva à l'arrêt, elle attendit quelques temps avant que n'arrive le bus qui venait la chercher. Elle monta et présenta son billet au contrôleur avant de s'asseoir à la place la plus proche.
Ici, tout le monde était Oculus. Toute la population avait d'immenses yeux lumineux et performants. Mais ce ne serait pas pareil quand elle arriverait à Maëkla, la capitale de Lhétaë, où toutes les populations seraient mélangées, bien que la jeune fille s'attendait à ce que les Oculus soient peu présents. Il paraissait que les Oculus n'étaient pas très appréciés en dehors de leurs terres.
Trente minutes plus tard, le bus s'arrêtait à la gare, laissant descendre ses passagers.
Quinze minutes de retard. Heureusement que les cours ne commençaient pas dès l'arrivée du train car sinon Solaë aurait été en retard à sa première journée de cours. Déjà qu'elle arrivait en cours d'année, en raison de la fermeture de sa première école due à un incendie, elle avait manqué presque une période et elle aurait du mal à s'adapter. Mais la jeune fille savait que, quelles que seraient les difficultés, elle travaillerait dur pour les surmonter.
Un vrombissement assourdissant se fit entendre, annonçant l'arrivée du train en gare. Toute la foule se rua vers les portes qui venaient de s'ouvrir et la jeune fille d'à peine seize ans eut du mal à traverser la cohue. Une fois à l'intérieur, tout semblait beaucoup plus calme, le train était assez spacieux, et surtout très vide. Il se remplirait probablement dès les frontières de Bucca franchies.
Le paysage défilait si vite que Solaë peinait à en distinguer les éléments. Mais regarder le paysage l'intéressait peu. Elle regardait dehors mais n'était pas préoccupée par ce qu'elle voyait mais par ses pensées indénombrables, indéniables réflexions sans aboutissants.
L'attente serait longue, environ deux heures de trajet. Qu'est-ce que ça aurait été si elle n'avait pas pris le train mais le bus ? Aurait-elle dû partir la veille ? Impossible, elle n'aurait pas pu dormir une nuit de plus au pensionnat.
Lorsque l'on franchit enfin les frontières de Bucca, le wagon de la jeune femme était totalement vide. Les quelques Oculus qui s'y trouvaient étaient descendus en leurs terres.
Une nuée d'hommes et de femmes de tous âges entrèrent en se bousculant par l'étroite ouverture comme l'avaient fait les Oculus qui les avaient précédés en ces lieux. Tous avaient une bouche assez grande, aux lèvres bien garnies et d'une belle couleur, aux dents étincelantes et parfaitement droites et à la voix toujours parfaite.
Solaë songeait toujours, regardait dans le vide en n'écoutant que ses réflexions, quand elle sentit une présence à ses côtés. Une jeune Bucca aux cheveux noirs coupés droits dans un carré plongeant très court, le front encadré d'une frange étonnamment droite était assise sur le siège consécutif au sien, un sourire à ses immenses lèvres.
-Salut ! S'écria-t-elle dans son plus beau sourire. Moi c'est Maléa.
-D'accord... Euh... Moi c'est Solaë... répondit timidement la jeune fille.
-Enchantée Solaë. Tu es une Oculus ?
-Oui... Et toi une Bucca.
-Exact ! Ma voisine déteste les Oculus. Ma mère et mon père se méfient d'eux et m'ont dit de me méfier également. Mais tu ne m'as l'air ni dangereuse, ni méchante.
-C'est vrai ? Tes parents t'ont dit de te méfier de nous ? Mais pourquoi ?
-Parce que plein d'Oculus sont méchants et veulent conquérir tout Lhétaë avec leurs pouvoirs très puissants.
-Mais je n'ai jamais vu d'Oculus avec de telles intentions !
-C'est vrai ? Bah, ce n'est peut-être qu'une légende. Mes parents m'ont dit que des Oculus avaient déjà tenté de conquérir le pays dans le passé, et que ça avait enclenché la plus terrible guerre de Lhétaë.
-C'est peut-être vrai... Je n'en sais rien. Mais moi je n'ai rien fait de mal, ma mère non plus, ni toute ma famille, ni mes amis, ni tous les gens que je connais. Et ils n'ont pas de pouvoirs puissants... La plupart n'en ont même pas.
-Ah... Bah alors désolée de notre méfiance. J'ai bien fait de venir te voir ! J'étais ici en vacances chez ma grand-mère et je prends le train pour rentrer chez moi. Et toi ? Que fais-tu ici ?
-Je prends le train pour aller dans un lycée à Maëkla... Je vais dormir là-bas, car ma maison est trop loin.
-Ah oui. Je me disais que j'étais au fin-fond des terres Bucca – ce qui est vrai – mais je n'avais pas pas pensé que les terres Oculus sont juste derrière !
-C'est rien. Tu habites à la capitale ?
-Oui. Tu vas probablement au même lycée que moi ! De toute façon, il n'y en a qu'un à Maëkla.
-Ah, sûrement alors. Je rentre en première...
-Moi aussi ! Mais je ne t'ai jamais vue, tu es nouvelle ?
-Oui... Mon lycée a brûlé, donc on m'a demandé de venir ici. Ma mère s'est presque ruinée pour payer la pension...
-Oh... Je suis désolée. Alors tu vas rester au lycée toute la semaine ?
-Oui. Je ne rentrerais que le week-end. Ma maison est bien trop loin de Maléa... euh, Maëkla, excuse-moi. Je m'embrouille dans les noms, c'est pas possible... J'ai une mémoire auditive désastreuse, excuse-moi !
-Ne t'en fais pas ! Moi je ne retiens les choses que si je les dis.
-Moi j'ai une très bonne mémoire visuelle, mais les autres, alors !
-Je ne sais pas comment font les Nasus pour apprendre leurs leçons !
Les deux jeunes filles éclatèrent de rire, dans le train désormais bondé de monde.
Lorsque celui-ci arriva à la gare de Maëkla, une nuée humaine descendit par les portes étroites en direction de la capitale Lhétaëenne.
Les deux jeunes filles en faisaient partie. Valises à la main, elles commencèrent leur longue marche à travers les rues bondées de la capitale. D'immenses immeubles s'élevaient de chaque côté de la rue, contrastant étonnamment avec le ciel bleu, le Soleil éblouissant et les nombreux arbres plantés dans de petits cercles de terre au milieu des pavés de la rue piétonne.
Il était difficile de passer sans bousculer quelqu'un, si bien qu'un imposant homme qui passait à toute vitesse renversa Solaë et manqua de tomber lui aussi. Il se retourna et s'écria, la voix haineuse :
-Sale Oculus ! Retournes dans le Nord si tu sais pas marcher ici !
Il se retourna et partit rapidement.
Solaë se releva avec l'aide de Maléa et sentit de nombreux regards se tourner vers elle. La foule continuait d'avancer, mais beaucoup plus lentement, et des murmures la parcouraient dans tous les sens.
-Une Oculus ?
-Qu'est-ce qu'elle fait ici ?
-On ne veut pas d'Oculus ici, nous !
-Elle est sûrement dangereuse !
Solaë sentit les larmes lui monter aux yeux, dans ses grands yeux bleus comme le ciel dégagé au dessus de sa tête, ses grands yeux bleus qui lui valaient tous ces reproches.
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