Christine :

Eau était morte. Je n'y croyais pas. C'était impossible. Comment un esprit maître élémentaire pouvait-il mourir ? Je les pensais immortels ! Et voilà que j'avais maintenant la preuve du contraire... Je ne pourrais jamais oublier la manière dont Juliette était partie en courant, les larmes aux yeux, lorsque le corps avait disparu, et la dernière fois qu'elle était venu dans les tunnels. Au lieu d'être sympathique et chaleureuse, comme avant, elle était froide et distante. Un changement qui avait choqué tout le monde dans les souterrains, Martin en premier. Je ne savais pas pourquoi, mais elle l'avait bien recalée la dernière fois qu'ils s'étaient parlé, et ils semblaient ne plus vouloir se parler. L'apprenti du feu semblait beaucoup attristé en tout cas.

Ces pensées tournaient en boucle dans ma tête. Eau, Juliette, l'ambiance dans les souterrains, le fait que je n'ai pas participé à l'attaque qui avait coûté la vie à l'esprit... J'étais allongé sur mon lit, roulée en boule depuis maintenant près de deux heures. Soit depuis que j'étais revenu des galeries. Je n'avais pas bougé, même pas ouvert la bouche ou tourner la tête dans la direction de ma mère quand elle était venue voir comment j'allais. Elle s'était rendu compte que quelque chose n'allait pas quand elle avait vu que je n'étais pas sorti aller voir Juliette ou aller jouer avec Miaou, ce que je faisais habituellement le soir après le lycée. De plus, mon bras m'avait fait énormément souffrir et me lever sans me faire mal m'était devenu impossible. Je ne savais pas si c'était normale au milieu du processus de guérison, mais je n'en n'étais pas sûre du tout. J'en parlerai demain à ma mère si ça ne s'améliorait pas, ça ne servait à rien de l'affoler pour si peu, surtout si ça disparaissait dans la nuit. Elle serait encore plus sur mon dos s'il y avait le moindre imprévu, alors que je pouvais à peine la supporter là, avec mon bras cassé et le fait que je ne sois pas en forme à cause des tunnels ces derniers temps.

C'était de ma faute. Entièrement de ma faute. Plus le temps passait, plus je ruminais, plus ça me paraissait évident. Si je n'avais pas fait n'importe quoi et ne m'étais pas blessée, j'aurais pu venir avec les autres apprentis, et Eau ne se serait pas retrouvée seule. Elle serait encore parmi nous, et Juliette ne serait pas en dépression. Je me pris la tête entre les mains, avec la furieuse envie de l'éclater. Pourquoi avait-il fallu que je n'en fasse qu'à ma tête et que je n'écoute pas les esprits ? Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi. Ils ne pouvaient s'en prendre qu'à moi. Seule, dans ma chambre, je ne pus réprimer les sanglots liés à la culpabilité qui sommeillaient en moi depuis trop longtemps.

- Tu vas mieux ? me demanda ma mère le lendemain matin quand je descendis prendre mon petit déjeuner. Mes yeux rougis devaient servir de réponse, mais j'hochais la tête de haut en bas, pour lui faire comprendre de cette manière que je ne souhaitais pas parler du mal qui me rongeait. Une part de moi s'en voulait de ne rien lui dire, puisqu'elle était quand même la personne à qui je confiais habituellement tout (sauf deux ou trois choses, mais, d'un autre côté, j'avais promis de ne rien dire à qui que ce soit à propos des tunnels aux esprits. Déjà que je leur avais fait défaut il y avait peu de temps, je n'allais pas les trahir encore. J'avais déjà fait assez de bêtises, pas besoin d'en rajouter.

- Pourquoi tu ne veux pas m'expliquer ce qu'il ne va pas ? insista Mariem, des rides apparaissant sur son visage.

Je secouai négativement la tête. Pas maintenant. Des plis se creusèrent encore sur son visage, signe qu'elle commençait à s'inventer des films. Elle allait encore s'imaginer je ne sais quoi... mais je ne pouvais rien lui expliquer dans l'immédiat.

Je venais de sortir de la maison. Je soufflai. La regard interrogateur de ma mère qui voulait me faire craquer pendant que je prenais mon petit déjeuner était trop stressant. J'étais contente d'en avoir finie avec elle. Maintenant, c'était au tour du lycée.

Les esprits :

- Elle était trop jeune pour nous quitter, sanglota Vent.

Feu la prit dans ses bras, pour la réconforter. Lui aussi ne cachait pas sa peine. Ce soir avait lieu le rite d'adieu, le tout dernier au revoir à Eau. Les quatre apprentis n'y avaient pas été convoqués ; seul les deux derniers mentors étaient là. Lentement, les deux esprits s'accroupirent là où Eau avait rendu son dernier souffle. Une flaque d'eau qui avait prit la même forme que le corps l'avait remplacée dès qu'elle avait disparue. Feu fit apparaître une flamme dans sa main droite et Vent appela une douce brise. C'était le moment. Dans un silence pesant, les deux maîtres élémentaires recouvrirent chacun leur tour la flaque, chacun avec son élément. D'abord le feu, puis le vent. Une sorte de brume se leva trente secondes plus tard, enveloppant toute la salle et rendant impossible de voir quoi que ce soit. Feu et Vent restèrent calme, continuant le rite. C'était ainsi qu'on envoyait les esprits élémentaires dans Le Repos Éternel, et, s'il arrivait que malheur quelqu'un arrête trop tôt le geste, le ou la défunt(e) risquait d'être hanté pour l'éternité. C'était quelque chose de très sérieux.

La brume se dissipait petit à petit. Vent pouvait de nouveau apercevoir Feu, les yeux fermés, usant ses dernières forces pour maintenir l'éclat de la flamme. C'était bientôt terminé. Eau aurait bientôt rejoint les rangs de l'au-delà une bonne fois pour toute. La mentore de Christine retient ses larmes. Elle aura tout le loisir de pleurer une fois qu'elle aura finie cette tâche. Elle le doit bien à leur collègue.

- C'est bon, annonça Feu d'un voix éteinte. C'est terminé.

Ils relevèrent la tête comme une personne. Ils étaient tous les deux tristes, et ça se voyait. Les larmes qu'ils essayaient de retenir tout à l'heure ne purent pas attendre plus longtemps. Ils se prirent dans les bras pour partager et mêler leurs pleurs.

Quand ils se lâchèrent, ils s'aperçurent que l'eau qui se tenait devant eux avant le rite avait disparue. Eau les avait quittés pour de bon.