PARTIE 1 - Chapitre 1
Il était dix neuf heures trente lorsque le jeune professeur entra chez lui.
Ses yeux piquaient, et ses lourdes cernes pesaient sous ses yeux. Il passa une main fatiguée sur son visage, et posa lourdement son sac au sol.
Il retira ses chaussures, enleva son manteau, et passa sa main dans ses cheveux.
Il sortit une bière peu alcoolisée, et la buvait doucement lorsqu'une sonnerie bruyante le fit sursauter.
Il posa en pestant la boisson, et se dirigea vers la porte, avant de reconnaître son téléphone.
"Hmm... Allô ?
-Fiston ? Déjà bourré à vingt heures ?
-Non je-
-Ne me coupe pas quand je parle !
-D'accord !"
Le son était sorti tel un cri apeuré, et la voix habituellement rauque était devenue aiguë.
"Bon ! Tu as fait quoi aujourd'hui ?
-J'ai travaillé.
-Aurais-tu repris les cours après deux mois de vacances ? Mais tu risques de trop travailler mon grand !
-Papa je ne-
-Ne me coupe PAS quand je parle !"
Il se tut, et le jeune homme essaya de calmer sa respiration. Ce vieil homme mesquin ne méritait pas sa peur. Mais il dut rater cet exercice car un reniflement satisfait conclut ce silence.
"Même quand tu essaies de le cacher je le vois... Tu es mon fils. Je te connais."
Comme venue de nulle part, et sûrement due au stress, à l'humiliation et à la fatigue, la colère explosa.
"Ne m'appelle pas ton fils ! Tu n'as pas le droit ! Tu es juste un ignoble... Géniteur. Voilà, tu te résumes à ça.
-Aurais-je entendu... De la colère ?"
Et le jeune professeur pouvait nettement sentir la colère dans la voix de son géniteur. La peur revint au galop, mais il trouva le courage de répondre.
"Oui.
-Hum... Je dirais que je vais oublier ça... En attendant, passe le bonjour à ta mère de ma part.
-Oh oui... Ton ex-femme. J'y penserais.
-Je t'interdis de-"
Le bouton rouge de fin d'appel encore sous son doigt, le jeune homme écarquilla les yeux. Il venait bel et bien de raccrocher au nez de son père... Il venait de lui couper la parole... Il venait de...
L'euphorie le gagna, et cette fois-ci, il ouvrit une bouteille de champagne, celle qu'il gardait pour les grandes occasions.
Il allait regretter son geste lors du prochain appel, mais pour l'instant il savourait juste sa bravoure...
***
Il était sept heure trente-sept lorsque le jeune professeur ouvrit les yeux... Et aussitôt, un énorme mal de crâne le terrassa.
L'envie de se rendormir le reprit, mais il se contint, et ouvrit de nouveau les yeux. Il devait travailler. Il avait deux heures avec les 3°10, et après il pourrait se coucher et oublier le "tic-tac" atroce de son réveil...
Il balança les draps à l'autre bout du lit, et courut se préparer. Il allait définitivement être en retard...
***
Il était effectivement huit heures une quand Monsieur Kumar franchit le gigantesque portail rouge pétant qui ornait l'entrée de la cour.
Il se glissa dans la petite ouverture, et souffla. La sonnerie avait définitivement atteint son ouïe, mais il n'était pas vraiment en retard.
Il jeta un clin d'œil au surveillant, qui lui sourit. Au moins, il ne serait pas convoqué par le directeur.
Il parcourut la cinquantaine de mètres qui le séparait des rangs des troisièmes, et le mena en classe.
"Bonjour, je suis monsieur Kumar."
Quelques rires étouffés suivirent, et il écrivit son nom sur le tableau, imperturbable.
"Je suis ici pour vous enseigner la langue de Molière."
Devant quelques froncements de sourcils, il reprit.
"Je suis ici pour vous apprendre le français."
Quelques visages sourirent, mais la plupart restaient fermés.
"Vous avez auj-
-Monsieur ?"
Il soupira, agacé. Cet élève ne savait pas que couper la parole était-
Il s'arrêta dans sa pensée au moment où il se rendit compte d'où venait ce commandement. De son père.
Il donna donc la parole au jeune homme assis au deuxième rang.
"Oui ?
-C'est noté sévère les interros ?
-Déjà, vous apprendrez que l'on ne peut pas formuler une phrase ainsi, mais avec un adverbe. En l'occurrence, l'adverbe " sévèrement ". Ensuite, vous saurez pour l'avenir que je ne note durement que les élèves que je considère feignants.
-Euh...
-Vu votre réponse constructive, prenez tous votre livre unique de français à la page 136, pour une courte séance de grammaire."
Il passa une main dans ses cheveux. Il allait devoir être sévère pendant un moment, après il pourrait laisser un peu plus de mou à ses élèves.
La sonnerie de la fin de la première heure le fit sursauter, mais personne ne s'en rendit compte, alors il continua son travail tandis que les mots de son père dansaient devant ses yeux.
"Déjà bourré à vingt heures ?"
Mais il fermit un instant ses yeux, et la voix se tut.
La semaine allait être longue.
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