Chapitre 8
Les jours défilaient et pourtant se ressemblaient. Tout comme la masse vide et hagard qu'était devenu mon corps. Même Gina l'avait remarqué et malgré tous ses efforts, n'a pas réussi à percer ma carapace de silence. Elle avait même fini par abandonner l'idée d'engager une conversation et se contentait de terminer son plat, tout en me jetant des regards en coin de temps en temps. Elle me suivait bien plus que d'ordinaire, désormais. Inquiète de me voir ainsi triste ou peut être suspicieuse que je fasse des bêtises ?
Elle pouvait être heureuse si c'est ce à quoi elle pensait. Je n'avais pas la force de me faire mal récemment. A peine pouvais-je soulever mes bras ou porter mes jambes depuis peu. Je n'avais plus d'énergie, étant donné que mon dernier repas remontait à quatre jours. Je m'étonnais encore de pouvoir venir à l'école ou d'être tout simplement debout.
Et comme toujours cinq minutes avant la fin de la pause, ses amis s'approchaient d'elles et m'ignorant lui demandaient :
- On peut y aller ?
- Oui. Puis elle se tourne vers moi et dit pour la première fois, « En fait non. je vais rester avec Aiden aujourd'hui. »
Sa bande, à leurs expressions sidérées, ne saisit pas la raison de son attachement à ma personne. Il y avait une telle différence entre elle et moi, qu'il était évident que nous appartenions à deux mondes hétéroclites.
- Pourquoi tu restes avec lui ? demande une de ses amies aux cheveux parfaitement coiffés, en me dédaignant du regard : « Il ne te répond même pas... Et regarde-le... »
- Arrête cela Diana, lui somme-t-elle.
- Non, tu ne m'empêcheras pas de parler aujourd'hui. Pourquoi tu traînes avec lui ? Il est trop bizarre le mec... Il n'en vaut pas la peine. Il t'attirera vers le fond avec lui. Comme ces personnes qui ne pensent qu'à se tu...
- Diana, hurle l'italienne, gagnant le silence de la foule dans la salle.
Ces mots, malgré mon bouclier, ont réussi a pénétré mon cœur. Elle avait tellement raison. J'étais bien plus bas que n'importe quel homme et risquait de les contaminer, en attirant éventuellement une belle personne dans ma chute.
Mon portable vibre dans ma poche et je devine instantanément de qui le message pouvait être. Même si nous ne nous parlions plus, il m'a bien fait comprendre qu'il ne cesserait pas la thérapie pour autant.
Une horrible envie de sentir le contact de la lame sur ma peau venait de naître. Je bouge ma chaise dans le silence qu'était devenue la cantine et me précipite dehors.
A peine avais-je posé pied dans les toilettes, que je laisse des larmes coulées. Je ne pouvais plus les contenir. Quoique, je n'en avais aucunement envie. Je m'enferme dans une des cabines, m'assoies sur le WC et sort une lame que j'avais caché dans mon brassard. Je l'avais achetée la veille, ne me demandez pas pourquoi. Je l'avais juste trouvé très belle sur le moment. J'étais prête à me faire une entaille quand j'entends la voix de quelqu'un derrière la porte :
- Aiden, tu es là ?
- Vas-t-en. Crié-je tremblante, je ne veux pas de toi ici.
Et pourtant, je savais qu'elle ne m'obéirait pas. Les secousses de ma voix, ne pouvaient que trahir ma douleur. Je prends subitement conscience que je n'avais pas mis le loquet de la porte. Alors que j'étais sur le point d'y remédier, elle ouvre celle-ci grandement et ses yeux se portent immédiatement sur la lame que j'avais en main.
- Ne t'approche pas de moi, lui ordonné-je, la lame à mon poignet comme une menace.
Je me fais une entaille rapide.
J'étais prête à me faire saigner bien plus profondément cette fois, si c'était ce qu'il fallait pour qu'elle ne m'apporte pas son aide hypocrite. Ce ne serait pas différent de d'habitude. Cardin m'avait rejeté. Ma mère m'avait quittée. Tout le monde m'abandonnait. J'étais une vraie calamité.
Elle ne fait pas attention à mes menaces et s'approche de moi pour me la retirer de force. Nous nous débâtons et le métal finit par la trancher sa paume. Ce qui me fait paniquer et laisser l'objet tomber au sol.
Je ne savais pas quoi dire et me contentait de la voir, retirer un bon rouleau de papier de toilette qu'elle utilise pour éponger le sang qui s'échappe de ses mains. Assise toujours sur le WC, J'étais pétrifiée.
- Ne fais pas cette tête, me sourie-t-elle. C'est un peu ma faute aussi.
Puis un blanc s'installe dans la conversation, violé par la sonnerie d'alarme. Mais personne de nous ne bouge, alors que je fixe la lame teintée de sang à terre.
- Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Me demande-t-elle.
Ne remarquant aucune note de surprise dans sa voix, je souligne qu'elle me connaissait bien plus que je le pensais.
- Tu le savais ? constaté-je.
- Non... Mais j'avais des doutes. Et quand j'ai vu tes cicatrices au poignet la dernière fois, quand tu as retroussée tes manches pendant le cours de musique, j'ai immédiatement compris.
- Alors qu'est ce que tu me veux ?
- Je ne sais pas vraiment pour tout te dire... Être ton amie, je crois... Non, j'en suis sûr. Je veux être une de tes amies Aiden...Et j'ai même la prétention de vouloir devenir ta meilleure amie.
Une nouvelle vague de larme s'empare de moi alors que je n'arrêtais pas de crier intérieurement '' Mensonges. Ce ne sont que des mensonges''. Et avant que je ne sache, deux bras fins sont venus m'enlacer tendrement. Au début, j'étais paralysée, mais petit à petit, mon corps s'est détendu et a fini par répondre à son étreinte. Nous restons ainsi un long moment quand j'entends une personne entrer aux toilettes. Lorsque l'intrus perçoit mes lamentations, il sort à contrecœur, forcé par le regard assassin de Gina.
- Tu ne peux pas me comprendre, lui fais-je savoir.
- J'essaierais, si tu m'en donnes la permission. Je souhaite rester à tes côtés Aiden.
- Pourquoi ?
- Parce que même si tu ne me crois pas pour le moment. Te savoir mal, me fait mal.
Puis elle caresse ma joue tendrement avant de se lever et aller clore la porte.
- Et ta main ? questionné-je distraitement.
- Un peu douloureux, mais ça va, me sourie-t-elle.
Pouvais-je espérer me faire une amie à présent ? J'étais une vraie loque humaine. Quelqu'un pouvait-il me comprendre et m'accepter ?... J'en doute. Et pourtant, je ne doutais pas sur le fait que Gina était sincère avec moi. Peut être devrais-je faire des efforts, qui sait ? Mais quel était le point d'avoir des amis quand je savais que j'allais de toute façon me tuer très bientôt.
- Quelle est ton impression à mon sujet quand tu me voies ainsi, pour la toute première fois?
Son sourire enjoué disparaît instantanément :
- Que tu as besoin d'aide, expire-t-elle calmement.
Et sans comprendre pourquoi, cette phrase me donne de la force et me dissuade de poursuivre ce que j'avais commencé pour le moment. Je me lève et ramasse la lame au sol. Elle était sur le point de me réprimander à ce sujet, mais quand elle me voit le jeter dans les toilettes et tirer la chasse d'eau, elle se ravise.
- Je ne me sens pas bien, je vais renter chez moi, lui dis-je.
- Ok ! me répond-elle. Je vais t'accompagner.
- Non!!!
- Aiden ?
- Gina, je vais bien.
- Si tu le dis... Promets-moi que tu ne feras pas de bêtise.
- Oui, réponds-je. Je m'excuse de vous laisser tomber pour le cours de musique.
- Ce n'est pas bien grave, me rassure-t-elle.
Je finis en baissant la tête et pars du bâtiment, le soleil de midi dardant de ses rayons, ma peau pâle.
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Je pensais être assez forte quand j'ai quitté le lycée. A ce moment, où je causais avec Gina, j'ai cru pouvoir me débarrasser de cette envie. Mais me retrouver seule, dans une maison vide de toute présence humaine, n'aidait pas. Aurais-je dû accepter qu'elle m'accompagne ?
Je tends mon esprit vers des pensées plus joyeuses, espérant qu'elles m'aideront à tenir le coup. Au départ c'était à ma mère que je pensais, nos longues conversations dans le parc, et son soutien quand j'adorais faire des choses d'homme que mon père ne comprenait pas. Puis mes pensées se sont dirigées vers un autre visage. Cardin. De mes longues journées passées en sa compagnie... pour ensuite voguer inévitablement vers la douceur de ses lèvres, me rappelant ainsi de la réjection qui s'en est suivie. Mon estomac ne fait qu'un tour à nouveau et toute la tristesse me revient d'un coup.
'' Il faut que tu t'en ailles''
Et, j'entends :
'' il n'en vaut pas la peine'',
''salle monstre'',
'' Il t'attirera vers le fond''.
Je me roule en boule sur mon lit et ferme de mes mains mon ouïe, pour m'isoler du monde extérieur et des voix qui ne cessent de tourner en boucle dans ma tête. Pour une raison que je ne connaissais pas, je résistais contre cette envie irrésistible de me jeter à nouveau du toit. Des semaines plus tôt, je n'aurais pas hésité une seule seconde. Qu'est ce qui me retenait cette fois ?
Épuisée par tant d'acharnements , je finis par m'endormir, les yeux rougis par les pleurs incessants.
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Ilparait que si je dors, à mon réveil les sentiments se retrouveraient amenuisés.Parce que c'est sur le coup, que tout est bien plus fort. J'ai essayé etpourtant cela n'a pas marché. Je me sentais toujours aussi blessée et trahieque la veille. Ou était-ce parce qu'il ne faisait pas encore jour dehors ?
M'empressant de pénétrer la salle de bain, je laisse l'eau couler dans le lavabo un long moment, dans l'espoir qu'il noiera toutes les émotions que je traversais. Colère. Dégoût. Abandon.
C'est là que mon père en profite pour entrer en trombe dans la douche. Il était dix-neuf heures. J'ai été surprise de le voir si tôt à la maison.
- Tu étais ici, me demande-t-il.
Me fixant, il jette un œil à mes larmes dans le reflet du miroir. Son expression ne change pas pour autant et il me demande du tac au tac d'enlever ma chemise. Au départ, je ne comprends pas, mais quand je le vois retirer la ceinture de son pantalon, je saisis où il voulait en venir. Je m'exécute sans broncher et la seule chose que je ressens c'est le fouettement de sa ceinture en cuir dans mon dos. Il ne m'a donné que cinq coups, mais c'était douloureux comme jamais. Ne saisissant pas pourquoi, il était en arrivé à là et il se charge de me répondre en réajustant celle-ci :
- J'ai appris que tu as séché les cours aujourd'hui. Il parait que t'étais malade. Mais moi, on ne me l'a fait pas. Tu sais combien j'ai eu honte quand j'ai reçu un appel de ton professeur au bureau? Tu sais combien cette Muller m'insupporte ? Toujours à fouiller où il ne faut pas. Tu me refais un coup pareil et la prochaine fois, ce sera bien plus. Tu as de la chance que je doive absolument sortir ce soir. Sinon, tu aurais goûté de mon pied également.
Puis il s'en va.
Je reste immobile un moment et ouïs sa voiture ronronner dans l'allée. En une fraction de seconde, quelque chose a pété dans ma tête. Tout venait de basculer. Je n'avais plus la force de pleurer. Je voulais juste que tout s'arrête.
J'ouvre l'armoire à pharmacie, dans un état fantomatique et sort deux pilules d'antidouleurs que je gobe instantanément. Puis fixant la boite comme si elle m'appelait, je finis par avaler le reste du contenu sans hésitation. J'enfile immédiatement ma chemise sur ma poitrine plate et décide de sortir courir ma détresse à l'extérieure, enfonçant le contenant vide de calmement dans ma poche.
J'ai mis pied dehors et il pleuvait sur mon visage, mes vêtements, la route. Le climat se prêtait à la morosité de mon cœur. Je marchais en direction du parc de mes jours heureux quand soudain une douleur me poignarde le ventre. Je m'adosse à une clôture, et me laisse traîner à terre.
Heureusement la douleur s'estompe peu à peu et laisse place à un malaise. Mon esprit était embué par une rêverie troublante et je ne voulais qu'une chose, m'endormir. Je pensais à combien vivre craignait et combien je pourrais enfin gagner ma liberté par ce geste. Et pourtant, quand la vie commençait par s'échapper réellement de mon corps, des pensées différentes de celles que j'avais prévues, avaient surgies dans ma tête. L'image des cheveux roux de Gina, et les beaux yeux noisette de Cardin... Je me réveille instantanément et une peur indescriptible m'envahit. J'étais effrayée de savoir que je n'allais plus jamais les revoir. Je ne voulais pas mourir sans avoir au moins fait mes adieux.
Le bruit de la sonnerie était apaisant et tonnait telle une berceuse dans mon oreille. Néanmoins, dans mon semi-état d'inconscience, mon esprit s'éveille quand j'entends sa voix.
- Allô ? demande-t-il.
J'essaie d'articuler quelque chose, mais mes cordes vocales engourdies, n'arrivaient à rien. Pensant surement avoir à faire à une blague, il raccroche aussitôt. Ou peut être avait il lu mon identifiant sur son écran de portable et ne voulait tout simplement pas me parler ? J'essaie cette fois-ci et il décroche à nouveau.
- Aiden, dit-il exaspéré. Si tu n'as rien à dire, je te prierais s'il te plait de ne plus m'appeler.
Sa voix cinglante me déchire le cœur mais j'étais résolue à lui dire ce que j'avais emmagasiné.
- Je sais que ça fait longtemps, commencé-je, en tirant sur les dernières forces qu'il me restait. Quand j'avais amorcé mon requiem, je ne pouvais plus m'arrêter. Je ne savais même plus ce que je déblatérais :
« Je sais que je n'aurais pas dû t'appeler sur ton portable. Mais j'ai des choses à te dire alors s'il te plait ne raccroche pas... J'ai essayé dur, pendant un temps, de lutter contre cette envie. Mais elle était si forte, impossible à m'en défaire. Comme si les étoiles elles-mêmes, m'avaient maudite. Comme si tous les efforts que j'avais précédemment fournis, avaient été accomplis les yeux fermés. J'ai pleuré des océans de larmes... mais rien n'y fait. Je ne peux plus retenir ma respiration sous cette inondation. J'ai essayé d'être forte et de tenir bon... Mais je n'en peux plus. Je ne peux vraiment plus. Je ne peux plus me relever toute seule Cardin. Mais je ne veux pas mourir, Alors s'il te plait, sauve moi »
C'était un véritable appel au secours que je lui lançais. Qui venait du plus profond de mon cœur. Et malgré cela, j'avais encore peur qu'il finisse par m'abandonner..
- Tu es où ? m'hurle-t-il au téléphone, un tintement métallique en bruit de fond.
- Je ne sais pas... Quelque part, poursuis-je entre sanglots.
- Où exactement ?
Qu'est ce qu'il me voulait au juste à insister ainsi? J'étais si fatiguée. Je ne voulais que me reposer.
- Réfléchis Aiden, m'ordonne-t-il.
J'avais dû mal à me concentrer car je me sentais tirer dans les limbes du sommeil. Tout de même, après un effort surhumain, j'ai pu dire '' au parc de maman'' avant de m'endormir pour de bon.
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