Chapitre 7

- Où est-ce que tu vas de si bonne heure ? me surprend mon père alors que je tourne la poignée de la porte d'entrée.

- A l'école, sursauté-je.

- Tu y vas bien trop tôt ces temps-ci. Quelle en est la raison ?

- J'ai du travail avec des camarades. Un devoir qu'un des profs nous a donné.

- Je ne te voyais pas comme le gars assidu... Donc, tu fais tes devoirs, rigole-t-il.

Tu ne t'es jamais intéressé à moi, ni accompli de devoir envers moi d'ailleurs. Alors comment pouvais-tu le savoir ? Ou peut-être le considérait-il rempli chaque fois qu'il me battait ? En était-ce un à ses yeux? Pensait-il que je le méritais ?

- Il faut bien que quelqu'un le fasse, vu que tu ne remplis aucun des tiens, murmuré-je dans ma barbe.

- Qu'est ce que t'as dit, Aiden ?

- Que j'étais en retard et qu'il fallait que je file, me sauvé-je en ouvrant rapidement la porte. Quand je tourne la tête, je vois mon père dans l'allée à l'extérieur me hurler : '' Rentre ce soir, et on en reparlera''.

J'avais creusé ma propre tombe ce matin. Cela du moins, ne m'empêche pas d'aller rejoindre le petit groupe, pour une autre séance de répétition, avant le début des cours.

- A cette allure, nous serons bientôt prêts... J'ai pensé en t'entendant chanter la première fois petite sœur, que tout était perdu pour nous, commente l'italien.

- Ne te moque pas de moi.

- Hey, je suis en train de te faire un compliment là.

- Lequel ?

- Que Le professeur d'histoire avait raison, le progrès existe bel et bien.

Et elle lui donne une petite tape derrière la tête agacée.

Même si je ne voulais pas l'admettre, j'étais très encline aux soirées où on se retrouvait pour travailler. Gina, bien que présente pratiquement tout le temps, ne m'embêtait pas et se contentait juste, de suivre les instructions qu'on lui donnait, et de s'inviter à mon déjeuner. Nick s'occupait principalement de son amélioration et à menacer de temps à autre Mike parce qu'il avait horreur des gens qui s'excusaient tout le temps. Et moi?... et bien, il me laissait tranquille.

J'avais appris ces derniers jours qu'il n'était pas un enfant de cœur. Que ce Nick était bien plus dur que les rumeurs pouvaient le laisser entendre. Néanmoins, jusqu'aujourd'hui, il n'a rien fait qui prouverait que celles-ci étaient justifiées. Comme ce jour par exemple où Mike, soudainement pris d'une confiance qu'il avait gagnée durant ces quelques jours, lui avait demandé :

- Est-ce qu'il est vrai que tu avais été suspendu, parce que tu as conduit un élève à l'hôpital ?

- Qu'est-ce que t'en penses ? lui avait-il répondu nonchalamment avant d'aller faire un tour on-ne sais où.

Si vous voulez mon avis, je pense qu'il se donne exprès un air mystérieux pour avoir l'air cool. N'empêche que tout le monde avait peur de lui. Et faire de lui, ou un de son groupe d'amis, ces ennemis, c'est devenir l'ennemi de toute l'école. Chaque fois qu'il arpentait les couloirs, les étudiants s'écartaient pour lui donner le passage, telle la mer rouge face à Moïse. Et pourtant, personne ne pouvait affirmer avec certitude l'avoir déjà vu battre, ou même faire du mal à quelqu'un.

-------

Ce soleil qui caressait ma peau me faisait beaucoup de bien, et les mains croisées derrière la tête, je respirais le calme de ce parc en cette fin de journée car le lycée était déjà bien déserté. J'étais très anxieuse à l'idée de quitter l'établissement car je n'étais pas pressée de rentrer chez moi ce soir, à cause de mon père. Je savais très bien ce qui m'attendait là-bas.

Je m'étalais un peu plus sur l'herbe pour mieux recevoir les rayons solaires quand un nuage passe par là et bloque mon bronzage. Ouvrant les yeux instantanément, je tombe sur le visage de Nick, penché sur mon corps.

- Bouge, lui ordonné-je.

- Non, me répond-il et reste figée dans la même position. Qu'est ce que tu fiches ici ? Il est bien tard, continue-t-il indifférent à mon ordre.

- Cela ne te concerne pas, craché-je amère.

- Tu attends quelqu'un ?

- Non, réponds-je rapidement avant de fermer à nouveau les yeux.

- Tu ne rentres pas chez toi ?

Cette question me fait tiquer et mes doigts se crispent derrière ma nuque. Mais je ne laisse rien paraître et me contente de répondre par un mutisme.

- Eh bien, je n'ai rien à faire également, commence-t-il alors qu'un vent froid emprunt d'une odeur d'argile vient me caresser cette fois la joue. Je vais te tenir compagnie.

Puis je l'entends s'allonger à mes côtés.

Trois secondes, voilà ce qu'il m'a fallu pour le supporter avant de me redresser et lui dire.

- Je m'en vais.

Il se redresse à son tour et me demande :

- Où ça ? Tu m'as dit ne pas vouloir rentrer chez toi.

- Et en quoi cela te concerne ?

Puis je réfléchis et me rends compte qu'il m'avait piégé, Je ne lui avais jamais dit que je ne voulais pas rentrer chez moi.

- Tu n'en as pas un peu marre de répéter la même chose ? Arrête de jouer à la fille mystérieuse et froide qui ne veut que personne entre dans sa vie.

- Hahaha. C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

- Pardon ?

Et c'est là que l'arrosage automatique s'enclenche et se met à nous asperger de tout côté. J'essayais de m'enfuir loin de cette eau et Nick m'en empêche en retenant mon poignet.

- On n'en a pas fini. Allons à l'intérieur.

- Il n'y a rien à finir. Laisse-moi partir, exigé-je, ne voulant pas être totalement mouillée.

- Non, à moins que tu promettes ne pas t'enfuir.

Mes cheveux étaient totalement plaqués contre mon crâne et ma chemise presqu'entièrement collée à ma peau. Et si moi j'étais ainsi mouillée, c'était peu comparée à ce qu'était devenue le tee-shirt et le jean de Nick. Son corps servait de rempart la moitié du temps quand l'eau passait derrière lui.

- Cela ne me gêne pas tout compte fait d'être arrosée, argumenté-je.

Et comme si le seigneur m'avait entendu, des gouttelettes d'eau tombent abruptement du ciel et une violente pluie s'abat sur nous. Malgré moi, je finis par accepter sa requête et nous allons à l'intérieur nous réfugier, dans une salle où manifestement il ne pleuvait pas.

- Tu es content de toi ? le grondé-je alors qu'on y pénétrait.

- Comme si c'est ma faute. Je ne peux pas contrôler la météo non plus.

Je me retourne pour lui lancer une remarque acerbe mais tombe sur un Nick dévêtu de sa chemise. Je reste un instant figée devant son corps mince et athlétique et il demande :

- T'aimes ce que tu vois ?

- No, réponds-je gênée... je pensais à quelque chose.

- Quoi ? demande-t-il très amusé.

- Euh, que...que ? pourquoi tu n'as aucun tatouage ?

- Pourquoi cette question ?, arque-t-il un sourcil.

Parce que j'ai subitement pensé à Cardin ? Et que j'ai fait la comparaison des deux seuls corps masculins que je connaissais ?

- Je ne sais pas. Je te voyais comme le type qui en alignerait sans aucun problème.

- Ce n'est pas pour moi... Trop badass à mon goût, hausse-t-il des épaules.

Cette réponse de sa part me surprend puis me fait plonger dans un fou rire que j'ai du mal à contrôler. Nick étonné de ma réaction, me fixe puis copie à son tour mon rire. Et avant de risquer une crise d'étouffement, nous nous arrêtons et entre deux respirations, je lui demande :

- Euh, pourquoi est-ce que tu rigoles ?

- Parce que tu rigoles peut être ? C'est contagieux ces choses-là.

- Ses rumeurs ne sont donc pas fondées, nettoyé-je de l'index une larme à la commissure de mes yeux.

- Lesquelles ?

- Sur toi... battant des étudiants jusqu'au point de les conduire à l'hosto. Je me disais que c'est n'importe ...

- C'est la vérité, me coupe-t-il en épongeant sa chemise...Tu as peur de moi à présent ?

Avais-je peur de lui ? Je ne saurais vraiment le dire. Il est vrai que je n'aime pas tout ce qui se rapproche de près, ou même de loin, à toute forme de violence physique. N'importe qui le serait s'il avait hérité d'un père comme le mien. Mais de là à être effrayée ?... non. Nick était un enfant de cœur comparé à lui.

- Oui, j'ai peur de toi, avoué-je quand même.

- Tu ne le montres pas pourtant, remarque-il car je n'avais pas bougé d'un centimètre de ma place.

- Je déteste toute forme de violence physique, admets-je juste.

Restant un moment hypnotisé par son regard qui n'exprimait rien de particuliers, je sors de cette transe lorsque j'entends mon portable sonner. Reprenant mes esprits, je me dirige vers mon sac et me rend compte, qu'il était totalement noyé.

- Merde, vociféré-je en vidant son contenu sur la table, espérant que mon MP3 et mon téléphone ne soient pas endommagés. Entendant Nick en faire de même, je souffle de soulagement quand je les vois toujours allumés et décroche mon portable.

- Cardin ?

- Salut Aiden. Je suis passée chez toi et j'ai vu que tu n'étais pas encore rentré... Est-ce qu'on pourrait se voir ?

- On se verra dimanche comme prévu. Là je ne peux pas.

- Tu m'en veux toujours ?

- No. Non, réponds-je sincère. Là je ne peux vraiment pas et je raccroche sans lui accorder le temps d'en placer une.

Depuis quelques temps, sa voix avait le don de me donner des urticaires. Pas de ceux qui me poussaient à penser à ma lame...et cela m'effrayait. Celles-ci naissaient dans mon bas ventre et se propageaient dans chaque partie de mon corps. 

Sa voix, après chacun de ses appels me hantaient et résonnaient dans ma tête encore et encore. Et il fallait que je m'en échappe rapidement pour ne pas continuer à faire pareil maintenant. Alors je me retourne et porte mon attention sur Nick qui rangeait ses affaires dans son cartable. Mes yeux se portent particulièrement sur une chose et je m'emporte comme jamais.

- Ça, c'est mon carnet, statué-je.

- Euh, répond-il un peu gêné.

- C'est mon p*tain de carnet, me précipité-je pour le lui arracher des mains. Qu'est ce que ? Pourquoi tu l'as ? Tu l'avais depuis tout ce temps ? enchaîné-je rapidement.

- Je suis désolé. Je l'ai trouvé la dernière fois et j'ai commencé par y jeter un œil pour savoir à qui il appartenait. Sans plus... Ensuite j'ai oublié de te le rendre.

- Tu te fous de moi, c'est ça ?

- Non, me répond-il précipitamment.

- ça fait quatre jours déjà, lui fais-je remarquer

-...

-  Ah oui, je sais..., balancé-je la tête de gauche à droite frapper par une soudaine évidence. Tu as dû penser, Aiden me tient tête. Aiden m'énerve. Alors faisons lui payer un peu pour qu'elle se sente mal et me respecte. C'est ça ? Tu n'es qu'un pauvre type, l'indexé-je , enfonçant de plusieurs coups mon doigt sur sa poitrine glacée.

- Non, rétorque-t--il. C'est dégueulasse ce que tu dis là. Je ne suis pas du genre à faire des coups bas... Ok!? Je suis tombée sur le carnet. J'étais curieux de savoir qui tu étais vu que tu ne veux pas qu'on s'approche de toi. J'ai commencé par le lire et j'ai adoré tes pensées. J'attendais juste de le finir pour te le rendre. Crois-moi sur ce coup.

- Ha ha ha. La bonne blague, ironisé-je. Disons que je te crois, mais je ne te.Pardonne.Pas, m'éloigné-je de lui.

Prenant mon sac avec moi, j'y range rapidement mes affaires et sors complètement mouillée de cette maudite salle. A l'entrée la pluie n'avait pas cessée, elle s'était même intensifiée, épousant plus ma rancœur.

Je décide ainsi de rappeler Cardin, sachant intérieurement qu'il était censé être la dernière personne à qui m'adresser présentement. Néanmoins mon corps poussé par un soudain automatisme a composé son numéro. Il m'était difficile de résister.

- Je suis toujours au lycée. Viens me chercher.

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Entre les répétitions, les cours et mon père, la semaine me paraissait bien courte quand je me hasardais à penser au fait que je pourrais le revoir, ce dimanche. Un sourire se peignait sur mon visage alors que j'analysais le plafond de ma chambre. Demain enfin... Je me rappelais encore de ce Jeudi soir où il était venu me chercher à l'école. Aussi vivide qu'au premier jour.

Il était apparu dans sa voiture et m'a ouvert la portière pour que j'y pénètre. Je me suis rappelée également de ce sourire avec lequel il m'avait accueilli. M'obligeant à le voir instantanément sous un autre œil. Toutes mes résolutions s'étaient aussitôt envolées, ne sachant pas exactement comment l'expliquer. Il n'était pas plus beau, pas plus différent de d'habitude, mais son aura avait quelque chose qui m'avait hypnotisé un moment.

- Tu m'écoutes ? me demande-t-il en écarquillant ses yeux noisettes et j'en profite pour m'échapper de ma transe.

- Alors tu m'y accompagneras ? continue-t-il.

- On parlait de quoi au juste ?

- Aiden, je sais que tu aimes m'ignorer. Mais je pensais qu'on avait tout résolu récemment.

- Désolé. Ce n'est pas toi... Je pensais à autre chose.

- Je vais te croire sur ce coup. Je disais que j'avais des places pour un parc d'attraction. Je voulais te proposer de m'y accompagner en "live", vu que tu ne réponds toujours pas à mes sms, m'accuse-t-il.

La culpabilité me ronge mais je ne laisse rien paraître et change immédiatement de sujet de conversation.

- Il pleut beaucoup aujourd'hui.

- Nah, ça ne marchera pas avec moi, me fait-il comprendre par un clin d'œil.

- Je suis désolé alors.

- Non plus. Si tu veux que je te pardonne répète après moi.

- Ok, réponds-je quand je remarque qu'il était sérieux.

- Cardin ?

- CARDIN, exagéré-je.

- Je serai ravie de t'accompagner au parc d'attraction dimanche prochain.

Et je répète à la fois gênée et réticente ces mots. Il me dépose devant chez moi et revient me chercher le jour prévu.

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Qu'est-ce qui m'arrivait ? Je n'en avais pas la moindre idée.

Je savais que je devais l'éviter. Mais je n'y arrivais pas. Ou plutôt ne voulais pas.

- Avoue que c'était une belle journée.

- Oui, je me suis beaucoup amusée, reconnais-je.

Il était difficile de ne pas le faire, même si je voulais faire semblant de ne m'y être pas tant intéressé. Mais ces lieux contenaient la plupart de mes plus beaux souvenirs d'enfance. Ce parc d'attraction m'avait chamboulé, ravivé les derniers bons moments avec ma mère. La seule personne avec qui j'y avais passée du temps. Que ne fut pas mon étonnement quand il m'avait tendu les billets et que j'y avais vu le nom de l'établissement.

- Je monte, me fait-il sortir de mes songes.

- Je viens, je dois utiliser les toilettes de toute urgence.

Quelle idée de n'avoir qu'une salle de bain dans sa maison. Plus je regarde l'architecture et plus je me dis qu'il l'a modifiée dans le but de vivre seul et n'avoir jamais aucun visiteur. Une question me trottait dans la tête et je n'hésite pas à la lui poser :

- Pourquoi avoir modifié le plan de la maison?

- J'aime bien je trouve. Plus d'espace, moins de murs, moins de pièces inutiles.

Sa réponse me laisse perplexe. Et pourtant je ne m'attarde pas bien longtemps sur ce sujet.

- Si tu le dis.

Je m'approche du lit et m'allonge à ses côtés. Il était assis en tailleur et moi je fixais son plafond blanc, pas encore vieilli comme le mien. Sa chambre avait quelque chose d'apaisant. De rassurant même. Peut être est-ce parce qu'elle était si propre? Ou que l'odeur de l'eau de Cologne de son propriétaire l'imprégnait en fines touches, rappelant les délices salés de la mer? Ou est-ce tout simplement parce que ce n'était pas chez moi? Et que c'était la toute première fois que j'étais dans une maison différente de la mienne.

- Pourquoi m'as-tu demandé si j'étais suicidaire ? murmuré-je vaguement.

- Parce que dans ce cas ma méthode n'aurait pas marché, s'allonge -t-il dans le sens opposé au mien, sa tête au niveau de mes pieds. Parce qu'un suicidaire n'est pas un mutilé, ajoute-t-il.

- Que veux-tu dire par là ?

- Ce que les gens oublient parfois, c'est que toutes les personnes qui se mutilent ne pensent pas forcément au suicide. Ils veulent juste taire leur peine. N'empêche qu'ils aiment la vie. Tu aimes la vie, n'est-ce pas Aiden ? me demande-t-il.

Un blanc s'installe et je repense à ce qu'elle était jusqu'à maintenant. Mon père, ma sœur, ma mère. Puis... toi, imagé-je involontairement.

- Je crois que Oui, admets-je.

- Alors c'est l'essentiel.

- Si cela n'avait pas été le cas ? demandé-je curieuse.

- Eh bien, je t'aurais tout de suite envoyé dans un centre pour adolescents.

- Cette méthode est radicale.

- Mourir est également radical, enchaîne-t-il.

Il est bien tranchant, ce soir. Je ne voulais plus continuer sur cette lancée, même si l'idée de m'éloigner de tout ne m'effrayait pas plus que ça. Tant que cela ne me vaudrait pas la colère de mon père.

- Pourquoi m'as-tu appelé frère à notre première rencontre ?

- Ah ça ! rigole-t-il. J'ai dû me retenir pour ne pas rire ce jour-là. C'est Maryne qui m'y a obligée d'une certaine façon... Que si je voulais gagner des points avec toi, c'était le meilleur moyen.

- Et est-ce qu'elle t'a dit pourquoi ? Tu lui as demandé pourquoi ?, paniqué-je sans le montrer.

- Oui. Elle a dit que ta mère le faisait souvent et que tu adorais cela. Et que suite à sa mort, tu as vécu un trauma qui pendant un temps, ne t'a pas permis d'accepter qu'on s'adresse à toi autrement... Mais qu'après, tout s'est amélioré... Est-ce qu'elle a menti ?

- Non. Tout est vrai, mentis-je par omission.

- Est-ce la raison de tes mutilations ?

- En quelque sorte.

Nous sommes restés là, couchés, à ne rien faire d'autre que discuter. Étrangement, il m'était facile de m'exprimer sur ce sujet avec lui dorénavant. Pourquoi aujourd'hui plus que les autres jours le laissais-je en savoir plus sur moi ? Peut être que mon humeur s'y prêtait, tout simplement. Ou peut-être parce que pour la première fois, j'avais la certitude qu'il était juste curieux. Curieux dans sa sincérité. Curieux parce qu'il n'avait usé d'aucun artifice de psychologue. Et même si je me berçais d'illusions, je voulais croire le contraire.

- Je m'ennuie, me plains-je après trois minutes de silence en me redressant sur mes coudes. Et il étouffe un rire.

- Tu as le don pour casser l'ambiance toi.

- Ce n'est pas ma faute si un plafond repeint ne me distrait pas assez.

- Ah bon ? Et pourtant tu me disais aimer le silence.

- Eh bien, c'est une preuve que je change. Tu devrais être content. Un ami m'a dit un jour que le progrès existe bel et bien.

- Un ami ? me dévisage-t-il, se mettant à son tour sur ses coudes. Tu ne m'as jamais parlé d'aucun ami.

Je me taies, prenant conscience de ma bêtise. Depuis quand considérais-je comme un ami, une personne que je venais à peine de rencontrer? Une personne qui venait de me trahir qui plus est. Nick rigolerait bien s'il m'entendait.

- Tu es jaloux ? le questionné-je, changeant subitement de sujet de conversation.

- Tu veux rire ?, roule-t-il les yeux au ciel.

- Allez avoue.

- A la seule condition que tu ne rigoles pas pendant une minute.

Puis il attaque de chatouillis la plante de mes pieds. Je me rends compte que j'y étais extrêmement sensible puisqu'il a fallu moins de vingt secondes, pour qu'une crampe gagne mon estomac.

- Arrête ça. Ce n'est pas du jeu.

- Je ne m'amusais pas, n'arrête-t-il pas pour autant son agression, alors qu'il maintenait fortement de son autre main ma cheville, pour m'empêcher de bouger le pied. J'arrête si tu admets ta défaite.

- Ok, ok, fais-je instantanément, tu as gagné.

- Tu n'es pas résistante, grogne-t-il.

- Ce n'est pas ma faute. Il y a des choses qu'on ne contrôle pas, me rabats-je sur le lit.

Et un autre silence s'installe, masqué au départ par le bruit de ma respiration saccadée. C'était devenu une habitude de nous retrouver dans sa chambre en train de faire je ne sais quoi. Et je devais reconnaître que même si c'était plaisant, il m'épuisait par moment.

- Tu veux savoir ? rompt-il, fixant intensément le plafond.

- Oui, réponds-je ne sachant pas où il voulait en venir.

- C'était mes parents... ma petite sœur et moi... Tous morts dans un crash d'hélicoptère.

Il m'a fallu une minute pour comprendre qu'il parlait de la photo. Ne saisissant pas la raison, je me suis retournée et ai positionné ma tête où se trouvait la sienne, le regardant un long moment alors qu'il se concentrait sur le plafond immaculé. L'air semblait subitement lourd, tandis que je posais ma main gauche sur sa joue pour l'obliger à me dévisager. Ses yeux ont dévié lentement du toit, pour se plonger dans l'azur des miens. Ces Iris brillaient légèrement comme s'ils avaient retenus des larmes. Et cela m'a brisé de l'intérieur, comprenant enfin qu'il était un autre écorché de la vie.

Nous nous regardons, guettant la réaction de l'autre. Me penchant doucement vers lui, et ne connaissant pas la raison -comme toujours en sa présence d'ailleurs− mes yeux passent rapidement de ces pupilles à sa bouche, et je pose tendrement mes lèvres hésitantes sur les siennes. Ce n'était pas un baiser passionnel, agressif ou autre chose du genre. Il était doux, simple et transmettait la chaleur de nos deux corps, alors que de petits papillons naissaient dans mon ventre. Je voulais le rassurer. Lui faire savoir qu'il n'était pas seul. J'hume de son parfum un long moment, puis dégage mon visage pour ouvrir mes prunelles sur les siennes, découvrant tristement qu'elles n'avaient jamais été fermées.

- Il faut que tu t'en ailles, murmure-t-il.

Ma bouche devient instantanément sèche. 

J'ai hésité à me lever. Mais quand je l'ai fait, c'est pour lamentablement le voir allonger dans la même position, alors que je sortais de la chambre. Il n'avait pas daigné se tourner. Et j'ai senti une larme perlée sur ma joue glacée. Je me suie sentie si misérable. Je venais d'être rejetée à nouveau.


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