Chapitre 1

Je n'étais pas le genre de personne à croire à un Dieu ou à une vie après la mort. Mais quand j'ouvre les yeux et vois un plafond blanc accompagné d'une lumière apaisante, je me mets à avoir des doutes sur cette théorie. Néanmoins, ceux-ci s'évanouissent bien vite, quand je comprends au bip-bip familier de machines branchées sur moi, que je ne l'étais pas encore. Il faut croire que la mort elle-même n'avait pas voulu de moi.

Étais-je si insignifiante? J'avais échoué, comme dans tous les autres aspects de ma vie.

Pourtant, je ne ressentais pas la douleur que j'espérais après cette chute. Mes pensées semblaient plonger dans les nuages et mon corps flotter au-dessus de tout. Refermant les yeux , je m'enfonce malgré moi dans un long et profond sommeil. Quand je me réveille à nouveau, c'est pour voir dans ma chambre, une femme en blanc prenant mes constantes. Dès qu'elle plonge ses yeux verts dans les miens, elle me demande souriante :

- Vous êtes réveillées ? Mademoiselle Tempel, savez-vous où vous êtes ?''

Bien sûr que je le savais. Mais j'étais trop énervée contre moi-même pour lui répondre. Je m'étais vraiment ratée et je me sentais honteuse de n'avoir pas pu accomplir cette simple tâche.

- Vous rappelez-vous de ce qui vous est arrivé ?

Oui... je me rappelais de cela également, mais ne voulais pas du tout lui parler. Elle me regarde un instant inquiète et l'enfant polie que j'étais s'est sentie gênée de ne pas lui répondre. Quand j'essaye d'ouvrir la bouche, ma voix se coince dans ma gorge, m'empêchant de sortir un son. Je finis par tenter l'autre solution d'un hochement de tête, mais suis prise d'un vertige douloureux.

- Ne bougez surtout pas, m'ordonne l'infirmière. Vous avez reçu un gros coup sur la tête.

Ne protestant pas, elle sort revenir plus tard avec le médecin qui continue, après les examens de routine :

- L'infirmière m'a expliqué que vous avez du mal à bouger, alors ne forcez rien pour le moment. Petit à petit vous retrouverez l'usage de la parole et vos muscles seront moins endoloris. Ce sont les effets de l'alitement et des antidouleurs...

Je comprenais ces explications. Mais tout ce que j'avais envie de savoir maintenant, c'est pourquoi j'étais dans un lit d'hôpital et non six pieds sous terre comme je l'avais prévu. Et comme s'il avait pu lire dans mes pensées, il m'apporte les réponses :

- Vous êtes bien chanceux Mademoiselle Adeline.

- Aiden, lui corrigé-je la voix enrouée, en usant des dernières forces qu'il me restait.

Il échange un regard incompris avec l'infirmière et jette un œil à mon dossier médical.

Puis il reprend perturbé :

''Mademoiselle Aiden ?'' Mon impassibilité lui fait savoir qu'il peut continuer..''Si le sol n'avait pas été mouillé par la pluie de la veille, vous ne seriez plus présentement avec nous à l'heure où je vous parle. Vous avez une commotion cérébrale, une fracture au bras et quelques côtes cassées qui ont fini par perforer vos poumons. Mais heureusement l'opération s'est très bien déroulée.'': Enchaîne-t-il de façon monotone, habitué sûrement à annoncer ce genre de nouvelles. ''Nous avons pris contact avec votre père et il arrivera dans quelques heures. D'ici là, rendormez-vous. Vous en avez bien besoin.'' Puis Il s'en va, me laissant seul avec les démons qui émergeaient.

« Ha haha » : ricané-je intérieurement. Je n'avais jamais autant détesté la pluie qu'aujourd'hui.

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Deux semaines plus tard, je suis autorisée à rentrer chez moi. Pas une seule fois, mon père n'est venu me rendre visite à l'hôpital. Non seulement ne m'avait-il apporté aucune aide, mais j'ai dû prendre le taxi pour rentrer chez moi, assise inconfortablement à l'arrière de celui-ci avec mon plâtre au bras.

Je pensais qu'on aurait décidé de m'enfermer dans un centre d'aide pour adolescents dépressifs, à cause de ma tentative de suicide. Mais heureusement, il n'en était rien. Je me rappelle du jour où le médecin m'a demandé :

- Vous consommez souvent des produits illicites?

- Produits illicites?, fis-je ma tête d'ahuri, ne comprenant pas où il voulait en venir. La drogue vous voulez dire?

- Oui. Exactement.

- Non. pourquoi ?

- D'après vos tests sanguins, vous étiez sous l'influence de la drogue et marchant sur le toit, vous avez dû perdre l'équilibre et tomber dans le vide...

Oui, dis comme ça, je n'avais pas vu l'utilité de les contredire. Laissons les penser ce qu'ils veulent. Cela m'évitera d'attiser la colère de mon père.

Lorsque je passe les portes de chez-moi, je me surprends à remarquer que rien n'avait changé. Comme si le monde avait continué par tourner malgré mon hospitalisation. Le même parquet en bois et le couloir vide orné de photos de ma sœur et de ma mère. Je monte rapidement les marches et vais me réfugier dans ma chambre.

Je soupire et reste allongée de longues heures, visant le plafond, espérant que toutes les réponses à mes questions s'y trouvaient. J'étais censée me sentir mieux après ma sortie et pourtant je ne me trouvais pas plus différente. Je voulais juste m'éloigner de tout et de tout le monde.

Entendant une voiture garée à l'entrée, je me rends compte que je n'ai pas vu le temps passer.  Ne perdant pas plus de temps dans mes contemplations, je perçois les pas de mon père dans le couloir, tandis qu'il ouvre brusquement la porte de ma chambre.

- Déjà rentré? s'étonne-t-il. 

Je savais à la façon qu'il avait de me dédaigner de ces yeux verts, qu'il avait une chose bien plus importante à me dire, que me baby-sitter.

- Lève-toi ! m'ordonne-t-il

Je me redresse rapidement, réveillant la douleur que j'avais oubliée. Dans cette pénombre, je n'arrive qu'à faiblement distinguer ces expressions.

- Ta sœur vient nous rendre visite. Habille-toi et comporte-toi comme la fille digne que tu n'as jamais été. Et si tu me fais honte, tu le regretteras amèrement, termine-t-il très menaçant.

Puis il s'en va sans me donner le temps d'interjeter un mot. Je me recouche sur mon lit pour faire partir un soudain mal de tête. Il n'avait pas fait allusion à mon accident et cela ne m'étonnait guère. 

Cette chambre avait commencé par me faire souffrir. Pas de façon physique mais plutôt émotionnelle. Il est difficile de mettre le point exact sur ce que je ressentais. Tout ce que je savais, c'est que mon esprit se sentait encore plus brisé qu'il y a quelques secondes.

Soupirant, j'entends des voix me parvenir d'en bas. Me dirigeant rapidement vers le placard, je me décide pour un jean noir et une chemise que j'avais pour l'instant, beaucoup de mal à enfiler sur mon tee-shirt.

- Tu as besoin d'aide ? me demande une voix qui me fait sursauter.

Tournant, la tête en direction de la porte, je remarque un homme, les bras croisés, adossé à l'entrebâillement. Sa chevelure blonde brillait de loin. Qui était-il?... Un ami à mon père? Il était bien trop jeune pour.

- Tu as besoin d'aide ? propose-t-il à nouveau.

- Non, réponds-je à la hâte. Je peux me débrouiller seule.

Puis je me remets à l'activité qui m'occupait un peu plus tôt et me débâtant comme une folle, je manque peu de tomber. Je l'entends étouffer un fou rire qui commence par m'agacer.

- Ne fais pas l'enfant, me dit-il la voix proche de mon oreille. 

Ce qui me surprend et me fait frissonner car Je n'avais pas remarqué qu'il avait réduit la distance qui nous séparait. Il apparaissait bien plus grand que moi désormais.

- Tu me laisses te la mettre ? demande-t-il.

- Oui, capitulé-je , gênée par je ne-sais-quoi. Puis il se charge de continuer mon œuvre.

Tout se passait au ralenti. Prenant ma main dans la sienne, il la passe délicatement dans la manche après un petit effort de sa part. Lorsqu'il finit, je murmure un Merci qu'il répond en dégageant une mèche de cheveux qui me barrait le front. Ce geste de sa part m'oblige à relever la tête et Il reste paralysé un instant, me détaillant longuement de ces pupilles.

- Tes yeux sont magnifiques, avoue-t-il et mon visage se peint instantanément d'une centaine de nuances de rouges. 

Ce n'était pas la première fois qu'on me le disait. Mais venant d'un homme aussi beau, c'était tout nouveau. Il dégageait une aura qui me nouait l'estomac et mettait tous mes sens en alerte. Je n'étais plus très à l'aise dans cette chambre avec lui. Pas habituée à une telle proximité venant d'un étranger. Et heureusement -ou malheureusement-, la voix froide de mon père vient me sauver de cet interlude gênant.

- Vous étiez ici, Cardin ? Vous avez pris un temps fou. J'ai fini par penser que les toilettes vous avaient emportés, s'amuse-t-il.

- Non. Je n'y suis pas encore allé. Et je vais me dépêcher de ce pas.

Sans rien ajouter d'autre, il s'échappe de la chambre, me laissant dans un état second avec la seule personne que je ne voulais pas côtoyer de la soirée.

- De quoi est-ce que vous parliez tous les deux ? , s'empresse-t-il de marcher vers moi.

- ...Rien...

- De quoi est-ce que vous parliez ? reprend-il en agrippant fortement mon bras blessé, me faisant grimacer de douleur.

- C'est vrai... On n'a causé de rien. Il m'aidait juste à m'habiller, bégayé-je le membre en feu.

- Je préfère cela, dit-il sans diminuer son emprise pour autant. Si tu ne te tiens pas à carreau ce soir, je peux te jurer que tu le regretteras. Ne pense pas que je ne sais pas ce qui t'as poussé à faire le grand saut la dernière fois. Et je peux t'assurer que si tu fais un geste de travers, tu ne feras pas que tomber d'un toit ce soir. Ce que je t'infligerai sera bien plus douloureux. C'est compris ? Me questionne-t-il.

- Oui... Oui, couiné-je à peine audible.

Puis on entend  la salle de bain s'ouvrir à nouveau et il se dégage aussitôt.

- Vous ne descendez pas ? demande l'invité dans l'entrebâillement.

- Nous arrivons, fait mon père calmement le dos tourné vers lui, alors qu'il me menaçait de ses yeux verts.

- Tu vas bien? s'inquiète le blond quand il voit mon visage déformé par la douleur, ma main gauche maintenant mon bras plâtré.

Il n'a pas le temps de s'approcher plus que mon père se charge de répondre à ma place.

- Il va bien. C'est son bras. Il le lance de temps en temps. Ce n'est rien de grave, dit-il en tapotant la main sur son dos et l'entraînant de force vers les marches. Ma fille doit nous attendre.

Quand je descends, ils étaient tous déjà à table, se délectant de la cuisine thaïlandaise que mon père avait commandée.

- Ô Aiden ! commence ma sœur en me voyant pénétrer la cuisine.

- Salut Maryne,

- Mon chéri, assieds-toi.

J'obéis sans broncher et m'installe dans le siège avant qu'elle ne continue seule, en pointant sa louche dans le vide : " Je n'ai pas fait les présentations. Où avais-je la tête ?.

- On s'est déjà rencontré, la coupe le jeune homme tout sourire. Je présume que ce doit être ton frère. Je l'ai croisé en haut.

J'ai été surprise quand j'ai entendu le mot '' frère''. Je n'ai pas pour autant arrêter de fixer la rondeur de mon plat en porcelaine. Il n'y avait aucun doute, Maryne avait dû lui parler de moi. Mais en quels termes ? Je me sentais mal à l'aise tout d'un coup qu'un étranger sache des choses à mon sujet.

J'étais une femme. Mais seuls les membres de ma famille savaient que je préférais qu'on s'adresse à moi, en des termes masculins. Une habitude de ma mère en réponse au petit garçon manqué que j'étais, à mes cinq ans. Et cela n'était pas bien difficile. Quand on me voyait, vêtue de mes jeans buggy et tee-shirt larges, accompagnée de mes courts cheveux noirs, il était facile de me prendre pour un mec. Je n'avais rien de particulier qui aurait pu faire penser le contraire. Pas de formes, ni de courbes détaillées. Sauf peut être ma voix et ma petite taille. Et j'étais sure qu'il m'avait entendu là-haut.

- C'est pour cela que tu as pris tant de temps ? l'accuse Maryne sans répondre à mes interrogations intérieures.

Ma sœur était une de ses personnes que j'avais beaucoup de mal à appréhender. Il y avait une grosse différence d'age entre nous. Presque onze ans. Et cela n'aidait pas pour améliorer nos relations. Elle était tout le temps enjouée, jusqu'au point où on en arrive à se demander, si ce n'était pas de la comédie. D'autres trouveraient cela mignons, mais moi je pensais à un mot bien moins beau.''Conne!''.

- Aiden, je te présente Cardin, indique-t-elle l'homme assis à ces côtés. '' Mon fiancé. Et si nous sommes-là ce soir, c'est parce que, rougie-t-elle, nous allons bientôt nous marier.''

A cette annonce, je sens une boule se former dans mon ventre et un courant d'air froid balayer ma nuque déjà glacée...Une autre qui allait encore être heureuse.



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