62 - Orion
J'avais conscience des nombreux regards sur moi depuis Miami. En même temps, ici, au sein du Clan, tout le monde savait très bien qui avait créé ce mouvement de panique. Chez les Jacobsen, Ephraim, Patrocle et moi étions les monstres.
Viendrait bientôt le tour de Viktor et Hunter, même si pour le premier, certains chuchotaient déjà sur son passage. Pour Hunt, nous faisions au mieux, enfin, Ephraim gérait ça avec Ades. Mais ce dernier ne resterait pas en retrait bien plus longtemps. Surtout pas maintenant que son unique Faucheur était lié. Le fait qu'Ephraim n'ait plus aucune limite... c'était à la fois flippant et complètement extatique. De mon point de vue. L'UOP ne tarderait pas à pousser au cul d'Ades pour qu'Ephraim prenne part à certaines missions. Comme ça, nous avions l'impression que cette unité n'existait que pour former les Primordiaux, mais il existait des problèmes au sein de notre peuple dont les humains ne savaient pas encore tout.
Tous les membres du Clan Jacobsen ne reconnaissaient pas l'autorité d'Ades, ne reconnaissaient pas le Quorum comme voix unique. Ce que, d'une certaine façon, je pouvais comprendre. Pourquoi avoir des pouvoirs si nous étions restreints ? Les dissidences se faisaient entendre, de plus en plus nombreuses.
— Qu'est-ce que tu as ? demandai-je à Lance.
Nous étions chez lui, dans son antre. L'appartement était immense. Ultra protégé même, avec des caméras et des écrans partout. Lance ne blaguait pas avec sa sécurité, ni avec celle des casinos ou du Clan en général. Il faisait partie de la TaskSight ; comprenez grosso modo qu'il avait un œil sur tout, qu'il gérait tout dans l'ombre avec cinq autres Primordiaux très doués dans leur domaine. C'était une autre fierté d'Ades ça, enfin, c'était vite dit puisque tous les membres répondaient déjà à Ephraim alors même qu'il n'était pas le Chef de Clan, ce qui en disait sacrément long sur la loyauté. Mais c'était le but ultime d'Ades après tout. Il voulait passer le pouvoir à Ephraim et agissait en conséquence depuis des années maintenant. Ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'Ephraim devienne Chef. Jusqu'à présent, il avait repoussé tout cela au maximum, mais avec notre Céracle en jeu, il ne reculerait plus. Pas avec Lilianne.
— Des images imprécises, grogna Lance, pas content. Rien d'utile à ce stade.
Je grimaçai de concert avec lui.
Depuis plusieurs années, des... événements avaient fini par attirer notre attention.
Des attaques de Primordiaux à des endroits isolés, des lieux qui n'attiraient pas l'attention, parce que là était le but.
Ces groupes usaient de leur don sans discernement, ils blessaient, allaient jusqu'à tuer et ce n'était pas permis. Pas dans notre monde, pas en sachant que notre entente entre chaque Clan ne tenait parfois à rien. Nous avions assez avec nos propres merdes pour rajouter à ça des marginaux qui ne témoignaient d'aucune appartenance.
Jacobsen.
Matras.
Devaux.
Aubin.
Nova.
Ces Primordiaux-là étaient tout et rien. Ils ne voulaient être affiliés à personne. Et ils le faisaient savoir à leur façon.
— Tu sais ce que va en dire Ephraim, dis-je.
— Sans dec. Je fais de mon mieux, on fait de notre mieux, mais...on pourrait aller sur place, ou envoyer quelqu'un, non ?
— Idée merdique, grommelai-je.
— Pourquoi ? Parce que vous ne voulez pas que ça se sache ? À la vitesse où ça va, ça finira par faire la Une des journaux.
Ouais. Pas la meilleure idée du siècle. Ephraim voulait rester prudent sur tout ça. Tout simplement parce que nous ne savions pas ce que savaient les autres Clans.
— Continuez à chercher sans rien faire d'autre, je vais voir avec Ephraim et Patrocle pour la suite.
— C'est toi l'chef, O, sourit Lance, un peu tendue néanmoins.
Tant que ces attaques restaient loin des grandes villes, cela restait gérable, mais une fois que ces groupes en auraient décidé autrement ?
— Tu as avancé sur l'autre sujet ? m'enquis-je.
Lance attrapa un dossier qu'il me tendit.
— Ce gosse tourne un peu trop près d'Hunter si tu veux mon avis.
Creed Jacobsen. Une petite merde. Ephraim gardait un œil acéré sur Viktor et Hunter et ce, depuis toujours. Il n'aimait pas qu'un gamin à problèmes tente quoi que ce soit auprès d'Hunt. Pas qu'il soit influençable ou quoi que ce soit, mais j'avais appris il y avait peu que le meilleur ami d'Hunter, Zero, commençait à fricoter avec la bande de ce Creed. Et ça, ce n'était pas acceptable. Pour tout un tas de raisons différentes.
Je tapotai l'épaule de Lance avant de le laisser à ses écrans et à son bol de bonbons. Nous étions sur un jour où il ne travaillait pas au casino. Cela voulait juste dire qu'il s'occupait des affaires du Clan, des sujets qu'Ephraim lui donnait en attente de résultats. Et il y en avait beaucoup, voilà pourquoi la TaskSight existait. En plus de nous protéger.
Une fois à l'extérieur de l'immeuble, j'extirpai mon paquet de clopes de ma poche arrière. Je ne fumai que lorsque la situation l'exigeait et en ce moment... autant dire que c'était merdique.
J'étais putain de content d'être de retour à L.A, sachant pourtant que des affaires importantes nous attendaient à Vegas. Mais au moins, nous n'aurions pas à croiser un putain de Céracle qui voulait faire de la merde.
Je tirai une première taffe. Laissai la nicotine faire son effet. Je n'arrêtais pas d'entendre Lilianne me crier que ça s'arrête. Et j'avais beau essayer de repousser le souvenir, ça revenait, comme un putain de disque rayé qui repassait la même piste en boucle.
Comme si j'avais besoin de ça.
Patrocle avait agi quand je n'avais fait que réagir. Et ça avait un côté... rageant. Agaçant peut-être même. Je ne savais même pas pourquoi. Parce que je voulais me détacher de cette idée de Céracle, que je voulais rester froid et distant face à Lilianne.
Perdu d'avance, hein ?
Ephraim me collait au cul, Patrocle m'envoyait chier dès que je disais quelque chose sur Lilianne qui ne lui plaisait pas et les garçons...
Je terminai ma clope avant de prendre la direction de la villa. Il n'était pas tard, même pas dix-neuf heures encore et je savais que je trouverais Vik, Hunt et Lilianne à la maison, si Ephraim n'était pas en train de la bai...
Je soupirai. Me pinçai l'arête du nez.
Je me fatiguais.
Je me fatiguais parce que je ne parvenais pas à me mettre d'accord avec moi-même.
Parce que je ne pouvais pas la garder à distance et vouloir l'écraser avec mon corps en même temps.
Je ne pouvais pas la repousser et vouloir la posséder en même temps. Parce que ça n'avait aucun sens.
Aucun
Putain
De
Sens.
Le portail s'ouvrit pour me laisser le passage. Depuis notre retour, j'étais épuisé. Harassé même et bien trop tendu. Ephraim aurait fait une remarque spirituelle à ce sujet, ou Zeke quand Patrocle se serait contenté d'un sourire en coin qui voulait absolument tout dire. Quelle bande de cons.
Je balançai mes clés dans la coupole à l'entrée, saluai Caitlin dans la cuisine avant de trouver les jeunes dans le patio, en train de jouer aux cartes.
Je les observai un moment, sans les déranger. Il y avait exactement la même dynamique que lorsqu'ils étaient plus jeunes.
Plus innocents et naïfs.
Lilianne se tenait entre les deux et faisait tout pour qu'Hunter ne regarde pas son jeu. Viktor était le plus concentré des trois.
Avec tout ce qui était arrivé, tout ce qui arriverait encore, Ephraim avait posé des règles sur les allées et venues du groupe d'amis des garçons. J'avais cru entendre Zeke et Patrocle évoquer Edda, la meilleure amie de Viktor à un moment, mais sans plus.
Mes yeux restèrent sur Lilianne et elle finit par le sentir. Ou alors elle avait juste prétendu ne pas le voir jusque-là. Elle finit par relever les yeux de son jeu pour croiser mon regard.
« — Orion, pitié. Pitié. »
C'était là. Son visage ravagé par l'illusion.
Ses hurlements.
Tout. Était. Dans. Ma. Tête.
Un foutu disque rayé.
Mon pouvoir avait adoré se déchainer. Pour elle. Pour elle. Rien que pour elle ?
Je ne voulais pas savoir.
Je voulais faire mine de ne pas comprendre.
— Lili ? l'appela Hunter.
Il suivit la trajectoire de son regard pour tomber sur moi.
— Orion ! Tu joues avec nous ?
— Je laisse les enfants entre eux, taclai-je.
Viktor roula des yeux, ne fit aucun commentaire. Hunter me montra son doigt le plus intéressant et elle ? Ses lèvres se pincèrent.
Je savais qu'elle n'appréciait pas quand je parlais d'elle comme une enfant. Ce qui me poussait à continuer.
Juste pour la distance.
Pour la colère. Pour attiser mon ressenti.
Alors que sa voix hurlait dans mon esprit. Que je la sentais encore dans mes bras. Que je me rappelais encore ses lèvres sur les miennes.
C'était qui le gamin au juste ?
Je m'éloignai pour aller prendre une douche et me changer.
Patrocle et Ephraim ne tardèrent pas. Il était étonnant de voir leurs habitudes changer en si peu de temps. Bientôt Ephraim passerait plus de temps à la maison que dans ses casinos.
Le repas se passa relativement bien. Hunter parlait beaucoup des sessions d'entraînement à l'UOP, Zeke ne cessait de tourner autour de Lilianne pour lui toucher les bras, lui caresser les cheveux, bref, rien de ce qui sortait de l'ordinaire depuis l'arrivée de la jeune fille.
Et puis parce qu'Ephraim resterait toujours Ephraim, il lâcha sa bombe sans se soucier du reste. Ou de moi en fait.
Parce que je n'avais pas mon mot à dire dans tout ça.
— Lilianne dormira avec toi ce soir, me dit-il.
Un silence qui en disait long. Si je l'ouvrais moi-même, quelqu'un allait me frapper. Zeke ? Hunter ? Patrocle avait ce regard qui disait : n'ose même pas l'ouvrir, connard.
Donc je fermai ma gueule.
Je me posai devant la télé en milieu de soirée ; Lilianne et les garçons dans l'une des chambres pour leur série. Patrocle peignait, son jumeau maléfique avec lui. Ephraim devait être dans sa chambre, à bosser, comme d'ordinaire.
Est-ce que je trainai à dessein ? Peut-être un peu. Il m'était arrivé de dormir avec mes partenaires. Mais pas ici. Qu'Ephraim me force la main à ce point en disait long sur son degré de patience me concernant. Ou alors il arrivait à lire en moi plus que je ne l'aurais voulu.
Fais chier.
Lorsque j'éteignis la télé, il régnait un silence agréable dans la villa. Tout le monde dormait. En même temps, vu l'heure...
Je me passai une main dans les cheveux avant de rejoindre ma chambre. Cette dernière était aussi grande que les autres, avec une salle de bain attenante. Je ne savais pas si on pouvait dire qu'elle me ressemblait, mais sûrement que si, d'une certaine façon.
Lorsque je refermai la porte derrière moi, une des lumières de chevet éclairait une partie de la pièce ; une sorte de halo léger.
Dans mon lit, Lilianne, qui dormait déjà profondément, enroulé autour de mon oreiller comme si c'était le sien.
Je ne fus absolument pas surpris de découvrir Zeke, assis à côté d'elle, comme pour la veiller.
Ou pour me surveiller. Au choix, en fait.
— Je peux me passer d'un babysitteur, grognai-je.
— Tu crois ? répliqua-t-il, un peu mauvais.
— Ne fais pas ton Patrocle, d'habitude tu es un peu plus fun.
Je balançai mon t-shirt et choisis de garder mon bas. Est-ce que répéter que Lilianne n'était qu'une gamine servirait à quelque chose ?
Elle était notre Anamchara. C'est tout ce qui importait.
Zeke ne dit rien. Il se redressa, sans me quitter des yeux. Le message était clair. Il s'effaça et je me retrouvai debout, comme un con, à observer Lilianne dans mon lit.
Pourquoi Ephraim me forçait-il la main à ce point ?
Je savais bien que le but ultime était de former un Céracle, mais putain... est-ce qu'on avait le droit d'avoir une voix individuelle dans tout ça ?
Ma colère à l'égard de Lilianne était à la fois juste et injuste.
Comment pouvait-on tenir rigueur à quelqu'un quelque chose qui le dépassait lui-même ? Je n'étais pas un con à ce point. Ou peut-être que si.
Peut-être que je n'étais qu'un idiot qui ne voulait pas voir plus loin que le bout de son nez.
Je soupirai, me frottai le torse.
Rester là ne m'aiderait en rien. Aller dormir ailleurs non plus. Je n'avais pas envie qu'Ephraim s'énerve pour de bon ou que Patrocle commence à s'amuser avec ses ombres.
Je ne voulais pas qu'Hunter me fasse la gueule ou que Viktor me fasse comprendre que le gamin, c'était moi. Il avait un véritable don pour ça, vraiment.
Vaincu, j'allais me glisser dans mon lit occupé par cette fille qui ravageait mes pensées quand elle n'aurait pas dû.
Dur de la repousser.
Dur de prétendre.
J'éteignis la lumière. Observai le plafond.
Et craquai à un moment ou à un autre.
Un bras glissé sous son oreiller, l'autre en travers de ses hanches, je la ramenai contre moi. Je plongeai mon nez contre la peau de sa nuque. L'embrassai là.
Fermai les yeux.
Juste pour cette nuit.
Juste pour cette nuit.
**
Héhé 😎 il a craqué quoi on peut dire ça comme ça non ? 🤣🤣🤣🤣
À toutes celles qui le demandent : cette histoire est une trilogie. Donc il y aura trois tomes 😎
La bise 😘
Taki et Ada'
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top