27 - Lilianne
Du bruit me força à ouvrir les yeux. J'étais un peu déphasée.
Pas le bon lit. Pas la bonne chambre. Mais cette odeur, cette odeur... un mélange de peinture, d'acétone et de Patrocle.
Je me souvenais des toiles, de lui, comme un enfant, avec des taches partout sur lui. Ses bras autour de moi.
Cette faim.
Ce besoin calmé par son contact. Je m'étais installée pour le regarder continuer à peindre et... j'avais dû m'endormir. Mais au lieu de me ramener dans ma chambre, il m'avait glissé entre ses draps et... l'idée ne me déplaisait pas.
J'appuyai mon nez contre le coussin, inspirai fort.
Oui, son odeur. Je n'avais pas envie d'être ailleurs, ou de partir, mais la curiosité pris le dessus. La chambre de Patrocle ressemblait plus à une suite d'hôtel qu'autre chose. Il y avait des toiles partout, un léger capharnaüm et beaucoup de... lui.
— Bonjour, mon ange.
Je ne sursautai pas à la présence de Zeke, juste à côté de moi. Il était allongé de tout son long, la tête contre son poing, son coude enfonça dans un oreiller.
— Surtout, ne te lave pas aujourd'hui ; tu risquerais d'effacer cette douce fragrance de ta peau.
Je rougis. Lui donnai un léger coup dans le bras. Seuls les rideaux avaient été tirés, ce qui laissait une bonne dose de lumière du jour illuminer cette pièce trop grande. Sur une table basse, une tasse de café avec des feuilles volantes tout autour d'elle.
— Si tu te le demandes, Patrocle est détective privé. D'où son... acharnement à te retrouver.
Oh.
Oui. Bizarrement, ça lui ressemblait bien. Je l'imaginai un peu comme ces personnages des vieux films, en long imperméable, dans une nuit opaque, avec une ambiance à la limite du thriller.
— Il est quelle heure ? soufflai-je.
— Presque sept heures trente.
Cette fois, ce fut Patrocle lui-même qui répondit. Il sortait de la salle de bain et était en train de clipser sa montre à son poignet. Il avait les cheveux un peu humides, portait un pull cintré et un pantalon qui enveloppait des cuisses puissantes, musclées. Pas de costume pour lui.
Plus aucune trace de peinture sur son visage non plus.
Il m'observait de sous ses cils, statique, magnifique.
Est-ce que j'allais, éventuellement, utiliser un autre mot pour chacun d'entre eux ?
— Tu as faim ? Je crois que Caitlin a fait des pancakes.
— Je... o-oui.
En fait, j'avais le ventre un peu noué, mais pas d'une mauvaise façon. Juste parce que je me trouvai dans le lit d'un homme qui me regardait avec une telle faim dans le regard que j'aurais pu me laisser prendre au piège.
Parce qu'Ephraim avait raison, hein ?
— O... Orion sera là ?
— Il est déjà parti, souffla Zeke à mes côtés.
— Passe par ta chambre pour te changer et rejoins-nous dans la cuisine.
Il me tendit sa main et j'y glissai mes doigts. Il n'était pas aussi grand que Hunter, mais plus que moi quand même. L'odeur de son gel douche titilla mes narines. Je me vis le humer, le respirer. Un rire secoua son torse.
Hum.
Il m'accompagna jusqu'à ma porte avant de rejoindre les autres, que je pouvais déjà entendre, tous prêts.
Devant ma penderie, j'observai chaque vêtement, bien plus à l'aise dans ceux des garçons. Mais je ne pouvais pas juste porter ça pour le reste de ma vie, si ?
Zeke, toujours là, jouait avec une robe. Elle était belle, en jean avec un haut bouffant transparent au niveau des bras. Je m'avançai pour la retirer de son cintre et fusillai Zeke du regard lorsqu'il me regarda m'arrêter devant mes tiroirs de sous-vêtement. Il rit avant de s'effacer. Il fallait que je m'habitue.
À sa présence.
À ses apparitions.
À son regard trop acéré qui semblait lire en moi avec bien trop de facilité, même s'il ne pouvait pas savoir. Pas deviner. Si ?
Je retirai le pull et le t-shirt que je portai, me glissai dans une culotte propre ainsi d'un soutien-gorge avant d'enfiler le vêtement qui maintenant était le mien. Je m'observai dans l'immense miroir qui courait sur tout un pan du mur.
Je n'étais pas encore moi-même.
Les marques de la rue. La privation. C'était là, visible. Je n'aimais pas ce creux entre mes jambes, je n'aimais pas cette maigreur. Je n'avais jamais été mince. Je n'avais jamais autant ressemblé à...
— Je peux ?
Il était de nouveau là, un bras tendu dans ma direction. Je fronçai les sourcils et lorsqu'il referma ses doigts sur les miens, il me fit tournoyer.
Le toucher était différent. Il avait de la substance, je pouvais même me référer à lui en tant que personne, mais... oui, étrange.
— Magnifique.
Menteur.
J'attrapai mes cheveux pour les nouer en une queue de cheval haute et passai quelques-uns des bijoux qui se trouvaient dans une boîte. Un collier, des bagues, des boucles d'oreilles qui donnaient l'illusion que j'étais percée à ces endroits.
Lorsque j'arrivai dans la pièce à vivre, j'eus le loisir d'observer pendant quelques secondes ce qui se passait, la synergie entre les personnes présentes.
Caitlin était en train de poser une assiette remplie de pancake et Hunter reçut un coup sur les doigts pour qu'il ne se jette pas dessus comme un affamé. Viktor ricana, sur son téléphone. Ses doigts se déplaçaient sur l'écran à une vitesse impressionnante. En face de lui, Patrocle buvait son café, les yeux rivés sur la tablette qui traînait là. Lisait-il les dernières informations ? Ou est-ce que ça avait à voir avec une affaire en cours ?
Cette scène me noua la gorge.
Cette scène voulait dire tellement.
Me montrait tout ce qu'on m'avait pris.
Tout ce que j'avais perdu.
Perdu.
Perdu.
Meurtrière. Meurtrière.
Je déglutis. Zeke effleura l'épaule de Patrocle qui releva ses yeux sur moi.
— Lili, viens t'asseoir.
Les garçons se tournèrent vers moi. Si les yeux de Viktor glissèrent sur ma tenue et firent s'emballer mon cœur, Hunter tira une chaise pour me montrer exactement où m'installer.
— Thé ? Café ? Chocolat ? Choisis ton poison.
— Café, s'il te plaît.
Il me servit lui-même, ne laissant à personne d'autre l'occasion de le faire. Pas même Caitlin. Ensuite, il empila des pancakes dans l'assiette devant moi. J'écarquillai les yeux. Est-ce qu'il voulait que... je mange tout ça ?
Heureusement, Patrocle vint à mon secours et échangea son assiette avec la mienne. Beaucoup moins de pancakes. Je le remerciai du bout des lèvres.
— C'est quoi le programme aujourd'hui ? demandai-je.
J'espérai qu'il n'y aurait pas d'autres examens. Un pancake au bout de sa fourchette, Hunter se tourna vers moi.
— Université ! Ephraim doit rencontrer la doyenne pour que tu puisses commencer ton cursus.
— Nous devons y être pour neuf heures.
Il apparut, impeccable dans sa chemise qu'il fermait à peine. Il terminait avec ses boutons de manchette.
Son odeur me parvint.
M'affama.
J'évitai de croiser son regard à la dernière seconde.
— Toi, tu as le temps pour aller sur le campus ? demanda Viktor, un sourcil relevé.
— Mange ton petit-déjeuner, toi, le tacla Ephraim.
Je fus bien trop consciente de sa présence dans la pièce. Comme si on pouvait occulter le Faucheur de toute manière.
J'attrapai mes couverts et découpai un gros morceau avant de le fourrer dans ma bouche. C'était divin.
— On pouvait l'accompagner, tu sais ? dit Hunter.
— Vous, vous allez en cours. Je ne veux pas voir vos tronches tant que je serais sur le campus, c'est clair ?
C'était avec lui que j'allais faire le trajet ? Juste avec lui ?
Ephraim. Ephraim. Ephraim.
Il tira la chaise vide la plus proche de la mienne pour s'y installer, jambes croisées.
— Je présume que tu n'as pas fini le lycée.
— J'avais des... précepteurs chez les Matras, avouai-je.
— C'est déjà ça, soupira Ephraim.
Caitlin surgit à côté de lui pour lui servir son café. Il la remercia sans me quitter des yeux.
— Tu devras travailler plus dur que les autres pour avoir ton diplôme, mais je présume que c'est à ta portée.
Pouvait-on faire plus condescendant que ça ?
— Ça ira, répondis-je, les dents serrées.
J'avais toujours été bonne à l'école. Pas la première de la classe, mais plus que dans la moyenne. Je savais que je pouvais m'en sortir.
— Tu seras avec Hunter alors ça devrait aller.
Il but une gorgée, pensif alors que Hunter semblait particulièrement content de cette nouvelle.
— Je vais m'occuper de te procurer un téléphone. Lorsque je t'appellerai, quel que soit le lieu ou l'heure, tu répondras.
— Je ne peux pas récupérer le mien ? demandai-je, pleine d'espoir.
Un spasme secoua la joue d'Ephraim.
— Non.
— Pourquoi ?
J'avais bien conscience que plus personne ne bronchait autour de la table. Hunter et Viktor me regardaient quand Patrocle fixait Ephraim. Et puis il y avait Zeke, qui nous regardait comme si c'était un spectacle particulièrement saisissant.
— Parce que.
— Pourquoi ?
Ephraim soupira.
— Parce que je l'ai fait détruire.
Q... quoi ?
— Mais c'était à moi !
— Et ?
Je le regardai, les yeux écarquillés. Et ? ET ?
Lentement, il reposa sa tasse et se pencha par-dessus la table, pour que son nez se retrouve à ça du mien.
— Si je dois te nourrir comme une enfant, je le ferai, Lilianne. Alors termine cette foutue assiette.
Lili ! eu-je envie de lui hurler au visage. Mais à quoi bon ?
Rageusement, je récupérai mes couverts et terminai en un temps record les pancakes, quitte à trop manger. Les larmes brûlaient mes yeux.
Il avait détruit mon portable !
Le signal du départ fut donné. Une fois dehors, Viktor embrassa ma joue :
— On se voit tout à l'heure.
Hunter me serra contre lui et monta avec Vik.
— Lilianne, m'appela Ephraim.
Il m'attendait à côté d'un SUV. Je grimpai sur le siège passager, bien décidé à l'ignorer, à ne pas lui parler. Il avait détruit mon téléphone, bon sang !
Le trajet jusqu'à l'université fut rapide. Je découvris un lieu immense, avec des bâtiments partout et beaucoup de monde. Des jeunes partout. C'était impressionnant.
Je suivis Ephraim jusqu'à un bâtiment qui paraissait plus vieux que les autres. Une femme nous accueillit et nous demanda de patienter un instant. Le plafond était si haut ! Je tournai sur moi-même avant de me raviser. Je me raclai la gorge et surprit le regard d'Ephraim sur moi. Juste avant qu'une femme d'une soixantaine d'années ne vienne à nous.
— Monsieur Jacobsen, c'est un honneur de vous recevoir.
— Doyenne Macbeth, merci pour votre réactivité.
Elle nous invita à la suivre dans un bureau où il devait avoir au moins une centaine de livres. Au moins ! Je me retins d'ouvrir la bouche comme une idiote et m'installai bien sagement à côté d'Ephraim.
— J'ai pris connaissance du dossier de mademoiselle Sutton et je ne vois aucune raison à ce qu'elle ne s'intègre pas très vite. Elle était une excellente élève d'après son dossier scolaire. L'adaptation sera peut-être un peu rude, mais rien d'insurmontable, n'est-ce pas, Lilianne ?
— Je ferais de mon mieux, madame.
Elle m'offrit un sourire poli, un peu froid.
— Je demanderai au professeur Murray qu'il garde un œil sur elle, vous savez à quel point il a à cœur le bien-être de ses élèves. Comme vous me l'avez demandé, Lilianne suivra la plupart des mêmes matières que Hunter pour que ce dernier puisse l'aider.
Ephraim jeta un coup d'œil à sa montre et cela sembla clore le rendez-vous le plus rapide de ma vie.
— Je vous confie Lilianne alors.
Il se leva, moi aussi.
— Tu rentreras avec Hunter et Viktor.
La doyenne le raccompagna avant qu'elle ne m'indique où aller récupérer mon emploi du temps et un plan du campus.
Une fois sur les marches du bâtiment, je me rendis compte que je n'avais aucun moyen de contacter Hunt ou Vik.
Parce qu'Ephraim avait détruit mon téléphone !
**
Non. Ephraim ne fait pas à moitié son travail 😂😂 il fait juste sa part en sachant que les autres... Feront le reste 🙄😵
Une Lilianne qui va devoir prendre ses marques. Et un Zeke plus proche que jamais 😎
La bise 😘
Taki et Ada'
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