26 - Patrocle
Ephraim redescendit après avoir évalué l'état des gamins. Lilianne était dans un état pitoyable après la belle démonstration d'affection d'Orion. Je ne pouvais pas dire grand-chose à ce stade. Chacun gérait son retour à sa façon. Je ne pouvais pas juger, mais Ephraim lui, n'avait pas cette patience-là. Et il avait beau jouer au méchant, il serait le seul à pouvoir le faire. Le reste filerait droit.
Orion le savait et il soupira d'avance.
— Qu'est-ce que tu as fait ? demanda-t-il sans préavis.
— Rien.
Il grimaça.
— Tu as parlé avec Hunter ?
Ce fut au tour d'Orion de grimacer. Zeke apparut à côté de moi et posa son menton sur ses mains. Cet idiot allait regarder et se faire plaisir.
— Donc en plus d'avoir empêché Lilianne de se nourrir correctement, tu ne t'es pas excusé auprès du seul être humain de cette maison qui mérite des excuses complètes et honnêtes.
— Parce que Viktor n'est pas dans le même panier ?
— Viktor ne culpabilisera pas en attendant. Hunter si. Tu as intérêt de régler ça demain.
Orion soupira. Je croisai le regard de Caitlin qui terminait de gérer les restes dans la cuisine. Elle n'aimait pas que Hunter soit dans le mal et il l'était clairement. Ephraim avait mangé pendant que les gosses avaient regardé une série si bien qu'il ne se servit qu'un verre de whisky. Il s'installa devant Orion, à ma gauche.
— Elle n'était qu'une gamine quand elle est partie. Comment peux-tu être en colère contre elle ? soupira Ephraim.
Il semblait épuisé.
— Je dois me justifier maintenant ?
— Chacun peut gérer le retour de Lilianne comme il le souhaite, remarqua Ephraim. Mais fais-le dans ton coin. N'influe pas sur sa santé ou sur celle de Viktor et Hunter. Je ne permettrais pas que cette maison soit remplie d'âmes en peine juste parce que tu n'es pas capable de gérer ta colère.
— Tu es gonflé ! s'exclama Orion, vexé.
— J'ai été patient jusque-là, c'est différent.
— Elle ne vous l'a même pas dit n'est-ce pas ? Pourquoi elle s'est barrée ?
Je tapai du plat de ma main sur la table, ce qui fit sursauter Caitlin. Je pointai Orion du doigt.
— Ferme ta gueule avant d'avancer des conneries.
— Elle n'a pas voulu nous le dire d'elle-même, j'ai donc poussé la réponse à la question qui subsistait encore. Je ne sais pas encore les dates exactes ni les personnes qui étaient concernées par l'évènement en question, mais...
Je serrai mes poings. Ephraim pressa doucement mon épaule.
— Ils ont tenté de la lier en tant que Catalyseur, murmurai-je.
Tout le corps d'Orion se figea. Je lus le dilemme en lui. Je vis la colère se battre à la neutralité qu'il voulait garder envers elle. Voir même le dédain qu'il aurait aimé afficher pour mieux nous prouver qu'il n'en avait rien à foutre.
Mais ça ne fonctionnait pas comme ça.
Il avait beau être en colère.
Il avait beau la haïr, les raisons ne tenaient pas la route.
Et pour ça, il ne pouvait que réagir par la colère face à cette injustice qui était tombée sur elle.
— C'est une Primordiale. Pourquoi ils auraient tenté ça ?
— Pourquoi Ades a-t-il tenté de nous lier à un Catalyseur ? rétorqua Ephraim.
Orion pinça ses lèvres.
— Ça se serait passé plus ou moins au même moment, d'ailleurs, ajoutai-je. Donc ça faisait trois ans qu'elle était dans la rue. Seule. Sans protection. Piégée dans la pauvreté.
Orion serra son poing sur la table, mais ne dit rien.
— Elle aurait pu se faire violer, sifflai-je. Et tu ne vas rien dire ?
— Si Ephraim est assis, aussi calme pour me raconter cette histoire et que Zeke ne m'a pas encore déchiqueté, c'est que ce n'est pas le cas. N'est-ce pas ?
— Ouh. Dur, souffla l'intéressé.
Cet idiot aurait pu avoir un bol de popcorn devant lui que ça aurait été pareil. Je tentai de le taper, mais il repoussa ma main.
— Voilà ce que nous savons actuellement, résuma Ephraim, toujours aussi pragmatique. Elle était chez Zeus jusqu'à ses seize ans. À cet âge-là, peu importe si c'est une union arrangée entre deux Primordiaux, ou un Catalyseur qui se lie, le lien ne doit pas se faire. Dix-huit ans, au minimum. Zeus a déjà tenté de détourner une loi de Clan. Elle n'a pas été violée, mais ce n'est pas passé loin, assez pour qu'elle fuie et qu'elle ne veuille pas en parler.
— Comment le savez-vous ? souffla Orion d'une voix basse et presque tremblante.
Je fronçai les sourcils.
— Est-ce que c'est le plus important ?
— J'ai fait croire à Lilianne que je la forcerais à subir un examen gynécologique, admit Ephraim.
Orion dut se retenir de réagir, mais ses sourcils eurent un léger mouvement. Je frottai mes cheveux, nerveux.
— Elle a refusé, soufflai-je. Elle n'a jamais eu de relations sexuelles.
— Cela ne veut pas dire que personne ne la toucher, rétorqua Orion.
— Le sujet n'est plus vraiment un problème, admit Ephraim. Quand elle sera prête à en parler et à nous expliquer les détails, nous les prendrons. Je voulais simplement savoir si elle avait eu des relations sexuelles, et/ou si elle s'était fait violer. Assez pour accepter un examen invasif. Elle s'est défendue et m'a donné l'information que je voulais.
— Tu es pire que moi, chuchota Orion.
— J'ai besoin du reste de l'histoire, Orion. Patrocle et toi allez faire jouer vos contacts du côté du Clan Matras. Je veux tout savoir. Tout ce que vous pouvez récupérer comme information sur tout ça. Zeus n'a jamais laissé transparaître qu'elle était partie, qu'elle avait fui. Je veux savoir pourquoi.
Ephraim but son verre et joua avec.
— Je veux savoir pourquoi elle a décidé de fuir plutôt que de venir à nous. Il s'est forcément passé quelque chose de grave. Elle se souvenait de Viktor et Hunter. Elle savait que sa mère était du Clan Jacobsen. Alors pourquoi ?
— J'ai quelques idées pour mes contacts, acquiesçai-je. Nous devons savoir pour éviter de recréer le problème.
— Il va aussi falloir parler aux garçons de notre futur Céracle. Ils sentent tous les deux qu'ils ont un lien avec elle, plus qu'amical soit dit en passant.
Je revoyais Ephraim penché sur Lilianne, sa bouche à quelques millimètres de la sienne et la volonté qu'il avait mise dans ses mots pour la faire réagir. J'avais vu l'excitation dans son regard. J'avais vu à quel point les mots d'Ephraim avaient touché juste ce qu'il fallait.
Viktor et Hunter savaient déjà que nous ferions partie du même Céracle, ce qu'ils ne savaient pas encore, c'était que nous serions le premier vrai Céracle depuis des siècles.
Et tout ce que ça impliquait.
— Et Ades ? grogna Orion.
— Il suivra le mouvement.
— Ah ouais ? ricanai-je. Il avait pas l'air d'avoir sa bonne tête quand on est parti de l'aéroport.
— Je ne veux pas qu'il s'approche de Lilianne ou de Hunter pour l'instant.
— Hunter est instable, murmurai-je. Nous devons le surveiller.
— Il le sera moins maintenant que Lilianne est là. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne se fracasse contre son pouvoir.
La course contre la montre avait démarré depuis le départ de Lilianne. Nous en étions tous conscients.
— Elle ne va pas régler tous nos problèmes, loin de là. Elle en crée autant qu'elle en résout, gronda Orion.
— Heureusement, ce n'est pas toi qui les gères, rétorqua Ephraim.
Orion leva les yeux au ciel. Ces deux-là s'aimaient autant qu'ils se détestaient parfois.
— Un câlin ? proposa Zeke.
Orion et Ephraim le fusillèrent du regard.
— Je vais creuser, grommelai-je.
— Toi aussi, ordonna Ephraim en pointant son doigt sur Orion. Et tant que tu ne te seras pas excusé auprès de Hunter, tu peux rester dormir au boulot.
— Pardon ? s'offusqua l'intéressé. Maintenant qu'elle est là, c'est sa loi et rien d'autre ?
— Ne me pousse pas trop, souffla Ephraim.
Il se leva enfin et alla embrasser Caitlin sur la joue pour lui souhaiter une bonne nuit. Elle lui murmura quelque chose et il eut une petite grimace avant de s'éclipser dans sa chambre.
— Elle n'a pas choisi la fuite parce qu'elle ne nous aimait pas, chuchotai-je. Elle a choisi la fuite parce qu'elle voulait nous protéger.
— Ne lui prête pas des attentions altruistes, Patrocle. Tu serais bien naïf.
Je serrai les poings, mais il se leva et disparut à l'étage sans un mot de plus. Je posai ma joue sur la table et Zeke tapota ma tête.
— Je vais jamais dormir, grommelai-je.
— Bonne nuit, Monsieur Patrocle, me lança Caitlin. Essayez de dormir un peu.
Je fis la moue, mais elle disparut.
— Tu veux qu'on joue aux échecs ? me proposa Zeke.
— Non. Je veux dormir.
— Bonne chance.
Quelques heures plus tard, aux alentours de quatre heures du matin, j'entendis des pas dans les escaliers. J'étais dans le patio qui donnait sur une immense terrasse. C'était mon atelier de peinture la plupart du temps. J'en avais plein les mains et sûrement sur la tronche. Je pivotai sur mon tabouret et croisai le regard de Lilianne.
Elle se tenait là, dans l'entrée du patio et observait ma toile à peine commencée. Mes yeux remontèrent le long de ses jambes nues. Ses hanches et ses fesses étaient cachés par le pull d'un des garçons. Ses cheveux glissaient sur ses épaules.
— Tu es soit très matinale, soit insomniaque, remarquai-je avec un sourire.
— Je peux entrer ?
Je bondis sur mes pieds et heurtai un de mes pinceaux qui fit un demi-tour sur un de mes bras. Bon, je n'étais plus à ça près.
— Attention, c'est un peu sale.
Lili posa un premier pied sur le carrelage, puis frôla un des tableaux déjà présents. Ils représentaient les Chiens de l'Enfer. Un homme de dos était dessiné grossièrement devant et les doigts de Lilianne le frôlèrent.
— C'est magnifique, murmura-t-elle. C'est toi qui les as peintes ?
Je hochai la tête. Je tentai d'essuyer les dégâts sur mes bras et mes mains, mais rien de bien probant.
— Je peins depuis... mon plus jeune âge, je crois bien.
Elle me rejoignit de l'autre côté d'une grande table en bois qui portaient les vestiges de certaines de mes peintures. J'avais aussi dessiné une grande toile directement dessus. Qui représentait la plupart de nos pouvoirs personnifiés.
— Tu as réussi à dormir un peu quand même ? soufflai-je.
Lilianne hocha la tête, médusée par toutes les toiles qu'elle pouvait voir. Quand elle arriva enfin à mon niveau, je me gavais de son odeur aussi discrètement que possible.
— Je suis désolé pour ce qu'il s'est passé au centre d'analyse, murmurai-je. Ephraim peut-être assez...
— Autoritaire ? Franc ? m'aida-t-elle.
Je souris. Je levai une main pour frôler sa joue.
— Nous n'aurions pas pu te laisser là-bas plus longtemps, murmurai-je. J'espère que tu comprends pourquoi.
— J'essaye, admit-elle avec une grimace.
— Il va falloir que tu nous dises ce que tu ressens par rapport à tout ça, Lili.
Elle ferma les yeux quand je prononçais son prénom.
— Je ne sais pas moi-même ce que je ressens.
Je posai ma main sur sa joue et elle se lova contre ma paume.
— On ne se connait pas et pourtant, j'ai envie de me presser contre toi, parce que ça me fait ressentir... un sentiment de sécurité que je n'ai pas connu depuis la mort de mes parents.
Elle m'avait soufflé ça sur le ton de la confidence et je pris ça pour un secret.
— Presse-toi alors, chuchotai-je, mon nez contre ses cheveux.
J'écartai mes bras de mon corps et elle glissa les siens autour de ma taille. Le haut de son corps vint se presser contre le mien et nous poussâmes tous les deux un soupir de bien-être.
— Je ne comprends pas tout ce qui m'arrive, me chuchota-t-elle.
— Nous sommes là pour t'aider et t'accompagner. Il faut juste que tu acceptes de nous faire confiance.
J'enroulai mes bras autour du haut de son dos et la serrai un peu plus fort.
— Pourquoi Orion me déteste-t-il ?
Je me figeai.
— Il doit accepter certaines choses. C'est plus compliqué qu'il n'y parait. Il n'a pas tous les éléments de ta situation.
Elle s'écarta doucement et leva son visage vers le mien.
— Ephraim a raison c'est ça ? Je fais vraiment partie de votre Céracle ?
Je repoussai une mèche de ses cheveux.
— Ephraim a rarement tort, tu l'apprendras très rapidement, dis-je avec un sourire.
Elle fit la grimace.
— Tout ce qu'il a dit, dans l'avion... tu le ressens aussi n'est-ce pas ?
Lilianne déglutit et je lus le désir s'injecter dans son regard. Sa main se leva à la rencontre de ma joue. Ses doigts frôlèrent d'abord, puis caressèrent.
La sensation fut magique.
— Ephraim a toujours raison n'est-ce pas ? souffla-t-elle.
Je rouvris mes paupières. J'aurais pu me pencher et l'embrasser, mais elle venait à peine d'arriver. Je ne pouvais pas me jeter sur elle.
— Je suis très heureux que tu sois là, avec nous, Lili. J'espère que tu le seras toi aussi. Même si ce n'est pas tout de suite. D'accord ?
Mon pouce à la commissure de ses lèvres.
Cette femme serait notre perte.
Mais elle ne le savait pas encore.
**
Une Interaction avec Patrocle comme on les aime n'est ce pas ? 😍😍😍
Courage en ce début de semaine 🤗
La bise 😘
Taki et Ada'
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