20 - Viktor
Le silence était revenu dans la maison après beaucoup de larmes et de cris. Lilianne semblait dormir, coincée entre Hunter et moi, dans mon lit. Elle s'était à moitié évanouie de fatigue, de tristesse. D'un mélange d'émotions qui m'empêchaient de parler. Hunter était pressé contre son dos, de son torse à ses hanches. Elle semblait si fragile entre ses bras. Le visage du garçon, coincé sous les cheveux de la fille. C'était une image que j'avais déjà vu, il y avait de ça des années. Nous avions toujours dormi ensemble, plus ou moins. Nous avions toujours vécu ensemble, jusqu'à son départ pour le clan de Zeus.
Mes doigts repoussèrent une mèche de ses cheveux. Elle poussa un long soupir dans son sommeil et se blottit un peu plus contre mon torse, sa tête rencontra mon menton et je le redressai un peu pour lui laisser de la place.
Comment tout ceci était arrivé ?
Comment pouvait-elle être là aujourd'hui, avec nous ?
Mais surtout pourquoi ? Pourquoi était-elle dans cet état ? Entre ses douze ans et ses dix-neuf ans, elle avait tellement changé. Mais pas qu'en bien. Je pouvais voir ses côtes à cause du t-shirt à moitié relevé par les bras de Hunter. Je pouvais voir certains bleus, certaines marques. Des cicatrices qui n'avaient jamais été là avant. Je vis une trace noire sur ses côtes et relevai juste le bout de son t-shirt. Elle avait le tatouage du clan de Zeus. Il semblait déjà bien vieux pour son âge. L'avait-on forcé à la faire ? Depuis quand n'était-elle plus dans le clan de Zeus ?
Je me souvenais de ce jour, à mes dix-huit ans, juste avant de partir pour mon service à l'UOP. Je me souvenais des cris d'Ephraim.
Je me souvenais avoir presque ressenti sa douleur.
Si forte, si douloureuse, que j'avais fui.
J'avais fui à mon service. Parce que j'avais eu peur.
Peur de savoir ce qu'il cachait derrière cette réaction.
Derrière cette souffrance.
Je me penchai doucement contre le front de Lilianne et embrassa sa peau. Elle sentait le gel douche de Patrocle. Il avait dû faire en sorte qu'elle se lave pour avoir son odeur. Ça rassura une partie de moi, la partie qui savait depuis toujours qui était Lilianne pour nous.
La partie qui croyait sincèrement en la légende des Anamchara qu'Ephraim nous racontait quand nous étions plus petits. Nous avions toujours cru avec Lilianne et Hunter. Nous avions toujours été persuadés que nous étions des Anams.
Je pris une profonde inspiration. Je devais parler à Ephraim. Je devais être sûr qu'elle allait rester, qu'elle n'allait pas repartir, qu'elle n'allait pas disparaître de nos vies encore... encore une fois.
Je ne pourrais pas le supporter.
Je ne pourrais pas la laisser partir.
Elle faisait partie de notre vie.
Nous devions devenir plus forts ensemble.
Nous nous étions promis de ne jamais nous quitter.
De ne jamais abandonner les uns et les autres.
Je refusais de pleurer. Si je craquais maintenant, je ne pourrais jamais assez soutenir Hunter et Lilianne. Je dénouais lentement la main de Lilianne de mes doigts et me redressai avec douceur pour ne réveiller personne.
Hunter avait encore les paupières gonflées de ses larmes et Lili dormait si profondément qu'un léger ronflement lui échappait. Je ne pouvais pas exprimer à quel cette vision de tous les deux me permettait de mieux respirer.
Je n'avais pas eu l'impression d'être en apnée jusque-là, mais en fait, si.
Depuis le départ de Lili, on faisait tout pour survivre et attendre son retour.
Et je ne le comprenais que maintenant.
Je remontai la couverture sur leurs hanches et sortis du lit. Je poussai la porte et partis à la recherche d'Ephraim et Patrocle. Je les trouvai dans la cuisine. Ils parlaient avec Caitlin de ce qu'il fallait faire pour que Lili reprenne du poids et mange sainement.
Je restai un instant caché, à écouter leurs inquiétudes sur sa santé. Caitlin tentait de rassurer Ephraim, mais ce dernier ne semblait pas prêt à lâcher du lest sur ça. Il parlait déjà de lui faire un bilan de santé complet pour savoir les carences qu'elle pourrait avoir.
— Laissons là prendre ses marques avant de lui imposer quoi que ce soit, soupira Patrocle.
— Je veux savoir si elle va bien, rétorqua Ephraim. Elle a été dans la rue toutes ces années. Qui sait ce qu'elle a pu attraper comme maladie.
— Elle n'a pas l'air de s'être droguée, remarqua la voix de Zeke, plus sombre que les autres.
— On n'en sait rien, murmura Ephraim.
— Laissons cette jeune femme dormir. Je vais lui préparer de quoi manger à son réveil. Les examens médicaux peuvent attendre demain, si ce n'est la semaine prochaine. Les garçons ne la laisseront pas sortir de leur vue tout de suite, annonça Caitlin d'une voix ferme.
Je l'entendis passer directement à l'action. Je sursautai quand Zeke apparut devant moi.
— Viktor, murmura-t-il.
Je soupirai et me montrai enfin. Ephraim me jeta un coup d'œil. Il était torse nu. Ce qui était plutôt inhabituel. Quand il pivota à moitié, je vis qu'il avait de la pommade sur une trace de brûlure au niveau de son pectoral droit.
Là où Hunter l'a frappé.
Je m'approchai, toujours inquiet de voir que nous étions les seuls à pouvoir lui laisser des putains de marques comme ça.
— Tout va bien, souffla-t-il quand il vit ma tronche s'affaisser d'inquiétude.
— Putain de merde, murmurai-je.
Caitlin pivota et se racla la gorge. J'approchai ma main de la peau d'Ephraim, mais il m'empêcha de toucher. Il me força à lever le menton pour le regarder.
— Ce n'est rien. C'est ma faute. J'aurais dû vous prévenir.
— Putain ouais.
Un nouveau raclement de gorge.
— Langage, marmonna Patrocle.
— Pardon, m'excusai-je.
— Je ne pensais vraiment pas que la piste de Patrocle serait la bonne. Alors, j'ai décidé de le suivre pour le voir de mes yeux.
— Pourquoi ? soufflai-je.
Je regardai les quelques cloques qui poussaient sur sa peau. Nous avions des pouvoirs, mais nous avions aussi un corps humain. Les blessures arrivaient.
Les morts aussi.
— Pourquoi ne nous avoir rien dit ?
— Attendons que tout le monde soit à la maison pour en parler, Vik, soupira Patrocle.
— Non. Non je ne veux pas attendre. Je ne veux plus attendre. Vous vous êtes barrés trois jours sans un mot. Hunter était au bout de sa vie. Orion a pété un câble.
— Quoi ? releva Ephraim.
Il se leva, prêt à appeler Orion, mais je le retins. Il regarda ma main autour de la sienne pour lui bloquer l'accès à son portable.
— Que s'est-il passé, Viktor ? souffla Ephraim.
— Il a sous-entendu un truc et Hunter a compris que vous étiez sur les traces de Lili. Ce qu'on n'a pas vraiment compris, car elle était censée être dans son Clan. Le Clan de Zeus.
— Elle fait partie du Clan Jacobsen. Pas du Clan Matras, trancha Patrocle.
— Elle porte le tatouage du Clan Matras.
Le visage des deux hommes devant moi se figea. L'un comme l'autre. On pouvait se faire tatouer plus tôt que nos dix-huit ans si on le voulait, mais c'était rarement accepté par les Chefs de Clan. J'étais presque sûr que Lilianne n'avait pas demandé à être tatouée. Du moins, une partie de moi l'espérait profondément.
— Et merde, cracha Ephraim.
— Ça ne veut plus rien dire, le temporisa Patrocle.
— Pourquoi n'était-elle pas dans le Clan Matras ? Pourquoi est-elle dans cet état ? insistai-je.
— Vik, souffla Patrocle.
— Non, je veux savoir. Pourquoi n'était-elle pas là où vous nous aviez dit qu'elle devait être ?
— Lilianne ne nous a pas encore tout dit. Nous n'en savons pas plus pour l'instant.
— Pourtant vous saviez déjà qu'elle n'était plus dans le Clan Matras.
— Tout ce que Lili a bien voulu nous dire c'est qu'elle a fui le Clan Matras il y a plusieurs années.
— Précise, soufflai-je, inquiet.
— Probablement depuis ces seize ans, admit Patrocle après un bref regard vers Ephraim.
Un gouffre immense s'ouvrit dans ma poitrine.
Trois ans ?
Trois ans dehors. Dans la rue. Toute seule.
Sans notre aide ?
Sans aucun soutien ?
Seule. Seule.
Abandonnée.
Seule.
— Viktor.
La voix d'Ephraim claqua. Je secouai la tête.
— Vous avez mis trois ans à la retrouver ? haletai-je. Vous l'avez laissée entre les mains de Zeus en sachant qu'il lui ferait du mal ?
Le regard d'Ephraim se posa dans mon dos. Je ne sus décrire l'expression dans son regard. Un corps chaud se pressa dans mon dos et des mains s'étalèrent sur mon torse. Une joue se posa entre mes omoplates.
— Viktor, murmura Lili. Ils ne savaient rien.
Mon torse se soulevait.
Il fallait que je me calme.
Il ne fallait pas que je la blesse.
Cette personne. Cette femme.
Putain, je ne pouvais pas lui faire du mal.
Je ne voulais pas lui faire du mal.
Je pivotai entre ses bras et pris son visage entre mes mains. Ses yeux étaient rouges et injectés de sang. Elle avait des cernes immenses. Une larme trouva son chemin au bord de son œil et glissa sur mon pouce.
— Pourquoi, Lili ? Pourquoi tu n'es pas venu à nous ?
— Je... je ne pouvais pas, souffla-t-elle.
Elle ouvrit la bouche pour dire autre chose, mais ça ne sortit pas. Elle mentait. Ou du moins, elle ne disait pas toute la vérité.
J'enroulai mes bras autour de ses épaules et la pressai contre moi. Je cachai mon visage dans ses cheveux.
Trois ans.
Et ce n'était que dans la rue.
Elle avait passé quatre ans dans son autre Clan.
Quatre années !
Qu'avait-elle subi là-bas ?
Ephraim et Patrocle savaient forcément quelque chose. Ils savaient, mais ne voulaient rien dire. Peut-être que c'était à Lili de nous en parler.
Peut-être que je voulais tout savoir, mais qu'elle n'était pas prête à en parler.
Peut-être même qu'il y avait des choses dont elle ne voudrait pas parler.
Et je devais respecter ça, même si ça me déchirait de l'intérieur.
— Ne pars plus, murmurai-je contre son oreille. Ne disparais plus.
Je n'y survivrais pas.
Je ne survivrais pas à une autre séparation.
Plus jamais.
Plus jamais.
**
Viktor d'amour 😍😍
Un peu de retard ce matin mais le chapitre est quand même la 😁😁
Prêtes pour le week-end ? 😎
La bise 😘
Taki et Ada'
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