18 - Lilianne
Je jetai un coup d'œil derrière moi pour voir Ephraim s'avancer vers le chef de Clan.
Ades Jacobsen.
Je me souvenais de lui. Je me souvenais de ses bras alors que j'étais une petite fille et qu'il me soulevait comme si je ne pesais rien. Il n'avait rien fait lorsque Zeus était venu me réclamer.
Droit du sang.
J'étais sa petite-fille et je n'avais rien à faire dans le Clan Jacobsen une fois mes parents morts.
Je n'arrivais pas à penser correctement, pas après ce qu'il s'était passé dans le jet. Pas après les gestes et les mots d'Ephraim.
— Ades doit être remis à sa place, souffla Zeke.
— On va se prendre un retour de bâton dans la tronche, ouais, grommela Patrocle.
— Je croyais que tu t'en fichais.
— Je n'ai pas peur de ce qu'Ades pourrait nous faire à Raim ou moi, mais Lili, c'est une autre affaire !
Je clignai des yeux. La voiture roulait trop vite, je ne voyais plus rien.
J'étais épuisée. Physiquement, moralement. Mes paupières étaient lourdes et j'étais terriblement gênée. Il avait suffi qu'il effleure ma bouche de la sienne pour qu'il me projette au bord de l'orgasme.
Il avait eu raison. Je ne comprenais rien, mais je le sentais. Et c'était différent de tout ce que j'avais pu expérimenter jusque-là.
Un besoin viscéral.
Un besoin terrifiant.
— Lili ?
Les doigts de Patrocle sur mon genou. Je suffoquai.
— Ne... ne me t-touche p-pas.
Parce que c'était trop.
Trop d'un coup.
Trop fort.
Trop sensuel. Trop charnel.
Et que je ne gérais absolument rien.
« — Qu'est-ce que tu ressens quand tu me vois, Lilianne ? Est-ce que tu as mal au cœur ? Est-ce que tout ton corps se tend ? Est-ce que ton pouvoir se réveille ? Est-ce que tu te sens attiré par nous ? »
Tout ça.
Et plus encore.
En pire. En mieux.
Lorsqu'il m'avait attrapée, je m'étais sentie désirée.
Tellement désirée, tellement désirable.
Voulu.
« — Tu vas commencer à penser à nous. »
Pantelante, je tremblai.
Je me sentais trahie par mon corps.
— Ne te sens pas honteuse, Lili, souffla Patrocle.
— C'est normal, maintenant que tu te trouves si proche de tes Anam, ton désir s'exprime.
Anam ? Il parlait d'Ephraim ? De Patrocle ?
Ils avaient tous les deux évoqué le Céracle, celui auquel je faisais partie, mais alors pourquoi Patrocle avait jugé bon de préciser que je ne serais pas un Catalyseur ?
— Je ne comprends rien, murmurai-je, apeurée, les yeux écarquillés.
La main de Patrocle se posa sur ma joue.
Ce n'était pas assez. Pas assez, pas assez, pas assez !
— Ces dernières heures ont été éprouvantes, c'est normal. Tu as besoin de te reposer, de te retrouver dans un environnement sain et sécurisé. Laisse-moi m'occuper de toi. Laisse-moi t'aider.
Je ne voulais pas pleurer encore, mais ça venait.
J'étais à fleur de peau, perdue, tellement en vrac ! Je reniflai et Patrocle eut un petit sourire. Sa façon de me toucher n'avait rien à voir avec celle du Faucheur.
Ephraim. Ephraim.
— J'ai peur.
— De quoi ?
Est-ce qu'il pouvait comprendre ? Je n'en étais pas sûre. Zeke fut plus rapide, comme s'il parvenait à lire en moi, à tout voir sans que j'aie besoin de formaliser quoi que ce soit.
— Ils ont grandi, mais ce sont les mêmes garçons.
— Tout le monde change, soufflai-je.
— C'est vrai, concéda Patrocle, mais ils sont ta famille, n'est-ce pas ?
Je fermai les yeux. Le Primordial essuya les quelques larmes qui coulèrent. Me battre contre lui, contre Ephraim, ne me venait même plus à l'esprit. Comme si ce qu'il s'était passé dans l'avion avait tout changé.
— Tout ira bien, Lili. Tu es avec nous maintenant. En sécurité.
En sécurité.
En sécurité.
Oui, en sécurité.
Ma tête contre la paume de Patrocle, je laissai le rythme de la voiture me bercer. J'aurais voulu lui demander s'ils seraient là lorsque nous arriverions. S'ils savaient où j'avais été toutes ces années ; que j'étais partie, que j'avais fui. Que je n'étais pas ici parce que je le voulais, mais pour une raison qui me dépassait.
Un Céracle.
Ephraim avait parlé de vrais liens. Il semblait mépriser les Catalyseurs. Pourquoi ? Qu'est-ce qui faisait de notre Céracle un différent des autres ?
Mais il ne savait pas. Il ne savait pas ce que j'avais fait.
Pourquoi j'avais dû partir. Sinon, sinon il n'aurait jamais voulu que j'approche Viktor et Hunter.
Sinon, il m'aurait laissé loin d'eux.
Parce que j'étais une meurtrière.
Je leur cachais ça. Alors que c'était la seule carte en ma faveur, n'est-ce pas ?
Je pouvais les tuer eux aussi.
Je ne me faisais pas confiance.
Je ne me croyais pas.
Pas après... pas après...
— Nous arrivons.
La voix du chauffeur me força à rouvrir les yeux. Patrocle me fixait avec une telle admiration, avec une telle ferveur ! Comme s'il ne voyait que moi, comme si je représentais tout son monde.
Ne me regarde pas comme ça.
Ne me regarde pas.
— Ephraim est en chemin ?
Il décrocha enfin ses yeux des miens.
— Oui, il n'est pas très loin derrière nous, confirma le chauffeur.
J'aperçus une grande grille et un mur d'enceinte qui devait entourer une immense villa. Là où ils vivaient ? Je ne reconnaissais rien, parce que je n'avais pas grandi ici. Le portail s'ouvrit.
J'allais revoir Viktor et Hunter.
J'allais revoir les garçons de mon enfance, ceux qui avaient été tout mon monde. Le début, les bordures et la fin de mon univers.
Mes premiers amis.
Mes premiers baisers.
J'avais tout fait avec eux. Nous avions dormi dans les mêmes lits, nous étions tombés malades ensemble. Et puis on m'avait amenée. Loin d'eux.
Loin du Clan.
La voiture s'arrêta devant un garage. Une femme attendait devant. Elle n'était pas jeune, pas vieille non plus, entre deux âges.
— Reste-là, me souffla Patrocle qui s'extirpa de la voiture.
Zeke resta avec moi.
— Ils sont là ? demandai-je.
— À l'intérieur, oui. Hunter est... agité.
Hunter.
Je me rappelais ses yeux, sa douceur, son extrême gentillesse.
« — Voilà ce qu'il se passe quand tu n'es pas là pour eux. »
Ephraim avait évoqué son visage marqué en faisant référence aux garçons. Viktor et Hunter lui avaient fait du mal ? Pourquoi ?
Parce qu'on m'avait amenée ?
Les Céracles n'étaient composés que d'individus du même sexe, à l'exception du Catalyseur qui, pour des raisons évidentes d'après les règles du Clan, était du sexe opposé. Ainsi, un Céracle de femmes se voyait prendre un Catalyseur mâle.
Je ne pouvais pas faire partie de leur Céracle. Ce n'était pas... possible. J'étais une Primordiale, pas un Catalyseur. Même si ça n'avait pas arrêté Zeus.
L'idée d'un Catalyseur femelle auprès de Vik et Hunt me tordit les boyaux.
Je n'avais aucun droit de ressentir ça.
Aucun putain de droit !
Et pourtant, pourtant...
Une porte claqua quelque part. Une vague de puissance me passa dessus. Mon corps se tendit dans l'attente de plus.
— Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que vous êtes allé chercher Lili ?
Le fait qu'il m'appelle toujours ainsi brisa un morceau de mon âme.
Je vis Hunter en premier.
Immense. Si... grand. Si homme. Ce n'était plus un garçon. Il était loin, très loin de l'image que j'avais gardée de lui.
Puis vint Viktor. Il avait un visage plus dur, plus ciselé. Il me parut étranger.
Patrocle répondit quelque chose, mais déjà, déjà, je me sentais attirée, appelée à l'extérieur de la voiture.
J'avais besoin de sortir.
Un besoin vital. Urgent.
Je frissonnai sous ce soleil déjà chaud de Californie. L'atmosphère n'était pas la même qu'à Toronto. Je fus éblouie un instant.
Toute l'attention de Hunter se riva sur moi. Aucune joie lorsqu'il me vit.
Son expression ne fut que douleur et tristesse.
Qu'agonie.
— Lili... Oh, Lili, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?
Ses mots me brisèrent. Ils me heurtèrent avec violence, comme une vague qui se fracassait contre la roche.
J'eus envie de pleurer.
J'eus envie de me jeter dans ses bras. Qu'il me serre très fort. J'avais besoin de le sentir. De le toucher.
Je fis un pas, sans réfléchir, mais déjà, les bras de Viktor s'enroulaient autour de moi et je me brisai en mille morceaux.
Parce qu'il sentait la maison.
Parce qu'il sentait notre enfance.
Parce qu'il m'avait manqué. Et que son absence m'avait tuée à petit feu.
**
Le début des retrouvailles 😭
La bise 😍
Taki et Ada'
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