12 - Lilianne

Je laissai l'eau dévaler mon corps, sans avoir la force de me laver. Tout cet endroit était aux antipodes de la vie que j'avais vécu ces dernières années.

L'opulence.

Pouvoir commander n'importe quoi dans un claquement de doigts. La salle de bain était plus grande que l'appartement d'Eliska, bon sang !

El.

El.

Est-ce qu'elle allait bien ? Est-ce qu'elle allait me chercher ? Je tirai sur mes cheveux, des larmes de colère au coin des yeux. Comment avais-je pu être aussi idiote ?

Me faire attraper de cette façon... après tout ce temps ! Pourquoi maintenant ? Pourquoi le Faucheur en personne et cet autre Primordial ?

Pourquoi le Clan Jacobsen et pas celui de grand-père ? Je ne comprenais pas. J'avais beau réfléchir, beau retourner tout ça dans ma tête, je ne parvenais pas à trouver un semblant de réponse.

Ils voulaient me ramener dans le Clan.

Quand j'avais vu la seule chose qui me reliait à mon passé dans ses mains, j'avais capitulé. Je n'avais pas regardé ces clichés ces trois dernières années. Trop douloureux, trop peu de souvenirs.

Je ne me rappelais que de Viktor et Hunter.

Mes amis. Mes confidents. Mes amoureux.

Vik. Hunt.

Je pleurai, le son de mes sanglots à peine audibles à cause du jet. Je ne voulais pas rester ici, je voulais qu'on me fiche la paix. Je ne voulais plus jamais rien avoir à faire avec les Primordiaux. Même si pour ça je devais abandonner l'idée d'un jour revoir les garçons.

Le Faucheur et l'autre ne pouvaient pas comprendre. Qu'on m'avait fait assez de mal, que je ne voulais plus jamais qu'on me force à... qu'on me force à...

Rageusement, j'attrapai le shampoing et je me lavai en pilotage automatique. Je me frottai encore et encore, jusqu'à en faire rougir ma peau.

Cet endroit me donnait le tournis.

Ces deux Primordiaux me terrifiaient.

Je coupai l'eau, m'enroulai dans une serviette d'une douceur incroyable. J'essuyai la buée sur le grand miroir et croisai mon propre regard. Je faisais peur. Je ne ressemblais plus vraiment à celle que j'avais été.

Tu sens comme Patrocle maintenant.

Je ne sursautai pas, parce que je l'avais senti venir. Cet homme d'ombres. Devais-je parler de lui en tant que Primordial aussi ? Malgré son lien évident avec l'autre, il ne sentait pas pareil.

Patrocle ? C'était ainsi que s'appelait celui qui n'était pas le Faucheur ?

Ephraim et Patrocle du Clan Jacobsen.

— Tu aimes regarder les filles après leur douche ?

Tu préfères m'avoir moi qu'Ephraim.

Je fis la moue. Tout valait mieux que le Faucheur et son besoin de me crier dessus.

Je marchai dans la chambre, jusqu'à l'un de mes sacs, pour y trouver une tenue. Je ne possédais pas grand-chose et me dire que toute ma vie tenait dans trois misérables sacs ne m'aidait pas à relativiser. Peut-être que c'était un moindre mal de retourner chez Ades, peut-être que...

Pourquoi tu as fui si c'était pour vivre comme une moins que rien ?

Ces paroles me blessèrent plus que je ne l'avouerais jamais. J'étais minable, misérable. Les Primordiaux qui choisissaient une vie en dehors du Clan finissaient jugés, ostracisés. Nous ne valions plus rien et nous n'existions plus. Alors pourquoi... pourquoi on ne voulait pas me laisser dans ma merde ?

— Ça ne te regarde pas, répliquai-je, la mâchoire si serrée que ça me fit mal.

Trouve une meilleure réponse, Lili.

La serviette glissa par terre et je me foutai royalement de la présence de cet être dans la pièce. Je passai une culotte avant un jean et pris le premier haut large que j'attrapai.

Je repensai aux paroles du Faucheur. Nous allions à Los Angeles, ce qui était assez éloigné du fief de Zeus. La Californie était le territoire d'Ades, pas celui de mon grand-père qui préférait les tarés armés du Texas.

Pourquoi avait-il dit chez moi ?

Mon ventre gronda et je soupirai. Je voulais tout sauf rejoindre les deux Primordiaux derrière cette porte. Je les sentais et c'était étrange.

Parce que c'était la première fois que ça m'arrivait depuis très longtemps. Leur énergie qui m'appelait, qui m'enchantait. Un véritable chant de sirènes. J'avais croisé d'autres Primordiaux, mais jamais je n'avais été à ce point charmée.

Promis, ils ne mordent pas.

Zeke se tenait dans mon dos, son visage tout près de mon cou. Il me semblait si réel, si consistant. C'était si étonnant. Jamais je n'avais entendu d'un pouvoir pareil. Mais qu'est-ce que j'en savais après tout ?

Moi, en revanche, j'en ai très envie.

— Taré, grommelai-je.

Il rit avant de simplement s'effacer. Je frémis, sans bouger. Je pouvais très bien décider de rester dans cette chambre. Mais qu'est-ce que ça changerait ? Dès les premiers rayons du soleil, nous partirions, direction L.A. Retour aux États-Unis, retour dans la fosse aux Primordiaux.

Chez moi ? Il n'y avait plus de chez moi depuis la mort de mes parents.

Plus rien.

Je frottai mes bras.

Je détestais me sentir piégée. J'étais coincée, parce que jamais le Faucheur ne me laisserait partir, parce que dorénavant, il n'y avait plus d'échappatoire possible.

J'étais là-dedans, que je le veuille ou non. Que je l'accepte ou pas.

Plus mon choix, hein ?

Je sentis l'autre derrière ma porte – Patrocle – juste avant qu'il ne frappe contre le battant.

— Lili ? Tu es prête ? J'ai commandé un peu de tout sans savoir ce qui te ferait plaisir.

Je fermai les yeux. Pourquoi était-il si gentil ?

Pourquoi sa voix me donnait-elle juste envie de me serrer contre lui ? L'autoriserai-je à me tenir dans ses bras s'il le demandait ?

— Lili ?

Mes pieds furent plus rapides que mon cerveau, que ma volonté. J'ouvris la porte, croisai ses yeux.

Il sourit.

Et ce fut si naturel, si juste, si vrai.

Pourquoi ?

Pourquoi ?

Je le vis inspirer.

— C'est bon, c'est respirable maintenant ? lâchai-je, mauvaise.

Il se racla la gorge. J'étais injuste. Le Faucheur méritait ma haine, ma colère, pas lui. Même s'il me faisait peur.

— Je veux juste que tu manges un peu. S'il te plaît.

— Et moi je veux partir d'ici, soufflai-je.

Est-ce que lui m'écouterait plus ?

Est-ce que si je me montrais persuasive, il me laisserait partir ?

— Tu ne sais pas ce qui est bon pour toi. Tu es une enfant.

La voix du Faucheur claqua.

— Raim, est-ce que tu peux...

Je passai devant Patrocle, ignorait le Faucheur. Sur l'immense table, une profusion incroyable de nourriture. Il y en avait pour tous les goûts, toutes les envies. Mes yeux s'écarquillèrent.

À quand remontait la dernière fois qu'on m'avait donné cela ?

Ma gorge se serra.

— On ne bougera pas d'ici tant que tu n'auras pas avalé quelque chose. On peut y passer la nuit.

Le Faucheur croisait ses bras sur son torse.

— Et c'est tout ce que tu as à te mettre sur le dos ? ajouta-t-il, à la limite de la condescendance.

Je préférai ne pas répondre, tirai une chaise pour m'y installer. Le silence, leurs regards, leur attention. Zeke refit surface, en face de moi.

Tu veux que je te nourrisse ?

J'ouvris une boîte pour y découvrir un burger énorme et juteux à l'intérieur. Je déglutis. Mon ventre me faisait mal.

Quitter un Clan, c'est osé quand on est une enfant et qu'on n'a rien.

— Laisse la manger, Zek.

Mais l'ombre n'écouta pas.

Papi Zeus était méchant avec toi ?

Je croquai dans le burger et de la sauce roula sur mon menton. Je fermai les yeux, savourai chaque bouchée comme j'en avais l'habitude. Parce qu'aucun repas n'était acquis.

Il ne t'aimait pas assez ? Il... t'aimait trop ?

— Zeke !

Ce dernier croisa ses bras derrière sa tête, nonchalant.

Tu es sa seule petite-fille. La précieuse petite Lilianne Matras. Et quoi, il t'a laissé partir, sans rien faire ? Sans te chercher ?

— Ça suffit, gronda le Faucheur. Laisse-la manger.

Cette fois, Zeke écouta. Il se tut, me fixa, sans bouger.

Je ne réussis pas à tout manger, mon ventre n'était plus capable d'accueillir de grandes quantités. Pas après la faim et la privation.

Je fis tout pour ignorer les deux Primordiaux.

Je fis tout pour éviter aux souvenirs de remonter.

Piégée. Attrapée.

La colère courait dans mes veines.

La honte tapait derrière mon crâne.

La peur faisait battre mon cœur.

Meurtrière. Meurtrière.

Je n'étais pas une gamine capricieuse qui était partie parce qu'elle avait saisi le bon moment.

Meurtrière.

Je m'étais défendue.

Défendue. Défendue.

Et les monstres étaient morts. 

**

Des petits indices sur ce qu'il s'est passé pour Lilianne. Vous avez des pistes ? 😝😎

Lilianne est donc la petite fille du Chef du Clan Matras, Zeus. Quelqu'un l'avait compris ? 😳😳

Taki elle a dit deux chapitres par jour le week-end. Quelqu'un est contre cette idée ? 😂😂😂

La bise 😘

Taki et Ada'

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