03 - Lilianne
Toronto, Canada
— T'es qui, toi ?
La voix traversa mon brouillard comateux. Un mal de crâne carabiné tapait à l'arrière de ma tête et je grimaçai face à cette voix nasillarde.
La bouche pâteuse, une haleine à gerber, je réussis à regarder vers la personne. Où est-ce que j'étais au fait ?
La fille qui me fixait était jolie. Enfin, si on ignorait son mascara qui dégueulait sous ses yeux, comme si elle avait pleuré, ou trop dansé. Les deux ? On pouvait pleurer d'avoir trop dansé ?
Je ne reconnaissais pas la chambre. Ce qui ne voulait rien dire. Ce qui ne signifiait rien de nouveau surtout.
— Hé, je te parle.
Et moi, je t'ignore.
Je me jetai un rapide coup d'œil. Les mêmes vêtements que la veille.
Putain, quelle heure il était au juste ?
Je sautai sur mes pieds et le monde tourna un instant. Pas assez mangé. Mon dernier vrai repas remontait à... ouais, voilà le fond du problème. Mon ventre était vide, tellement vide que je sentais à peine la crampe habituelle. J'allais bientôt toucher mon salaire, il me fallait juste attendre jusque-là.
— Tu fais exprès de m'ignorer ? T'es la nouvelle salope de Reks ?
Rex ? Définitivement un nom de chien. Je clignai des yeux, trouvai mon téléphone.
Tard. Trop tard.
— Fais chier, fais chier, fais chier !
Je jurai, grognai, faillis m'étaler et finir la gueule par terre. Je repoussai mes cheveux, agacée. J'allais passer devant la fille, me ravisai et m'arrêtai à sa hauteur.
Elle avait l'air triste, misérable. Un peu comme moi.
— Je sais pas qui est Rex, par contre si tu connais une Eliska, j'étais avec elle hier soir. Je crois. Je... Bref.
Est-ce que je disais des trucs cohérents ? Elle me regardait avec ses grands yeux de biche. J'avais envie de lui faire un câlin. Ou envie qu'on m'en fasse un, je ne savais pas trop.
À ce stade, j'avais surtout faim. Mais maintenant, je ne pouvais plus me pointer à mon spot habituel pour grappiller de quoi tenir le reste de la journée.
— Bébé, t'es là ?
Une porte claqua, une voix d'homme résonna à l'intérieur de mon crâne. Argh. Une aspirine, un truc, n'importe quoi avant de braver cette journée de l'enfer.
Des pas. On fit toutes les deux face au type à la coupe iroquoise, plutôt pas mal, même si je n'étais pas fan des piercings. Pas à ce point-là en tout cas.
— C'est qui elle ? lâcha la fille aux yeux tristes.
— Aucune idée, répondit-il, peut-être un peu trop vite.
Il me disait vaguement quelque chose. Un ami d'Eliska ? Le fameux R... nom de chien.
— Tu l'as baisée elle aussi ?
Ouah. Dur. Je grimaçai et réussi à me faufiler avant que la dispute n'éclate entre les deux inconnus. Je me retrouvai dans une pièce à vivre minuscule, mais sympa. Je tournai sur moi-même, à la recherche de ma mémoire.
Trop bu ? Peut-être.
Je déverrouillai mon écran à la recherche de ma conversation avec El. J'y trouvai des messages qui dataient de la veille, rien d'intéressant, ni de suspect.
Quelqu'un se redressa du canapé et me fit sursauter comme un beau diable. Je posai une main sur mon cœur.
Je détestais être prise par surprise !
— Salut.
Le type ressemblait un peu à l'autre, qui tentait d'apaiser sa copine. Mal parti, mais bon.
Autre visage familier.
— Tu ne me remets pas, hein ?
— Je devrais ?
Ma voix était plus rauque qu'à l'accoutumée. Il sourit, se leva, ne portait qu'un caleçon.
— Je suis Ethan et toi, c'est Lilianne, c'est ça ?
— Lili, le repris-je par automatisme.
Je détestai mon prénom complet. Il ne faisait que ma rappeler la voix de ma mère. Mauvais souvenirs.
Lili, Lili, ça me ramenait à deux garçons qui criaient mon prénom à tue-tête. Un bon souvenir.
— Je connais Eliska, si ça peut te rassurer.
— Je dois être rassurée ?
— Tu te réveilles chez quelqu'un que tu connais pas, alors j'imagine que... ouais ?
Il se passa une main dans sa touffe de cheveux. Un brun miel magnifique.
— J'ai l'habitude, marmonnai-je. Tu as du café ?
— Ouais, j'ai... ouais...
Je le suivis des yeux lorsqu'il se dirigea vers la cuisine attenante au salon. Il attrapa de l'instantané dégueulasse, mit de l'eau à chauffer et se balança d'une jambe à une autre.
— Tu ne demandes pas si... tu vois, on a pas cou...
— Couchés ensemble ? le coupai-je. Non, pas la peine.
Pas parce que j'étais une salope qui couchait dès qu'elle sortait, mais parce que même bourrée et au bord du coma, je ne laissai personne, absolument personne me toucher.
Cet Ethan n'était pas un Primordial. Il y en avait peu au Canada. D'où mon choix après ma fuite des États-Unis.
Mon téléphone sonna dans ma main et je me jetai dessus.
— T'es où ? lâchai-je.
— Mon proprio veut encore m'enculer ! hurla Eliska et je dû éloigner l'écran de mon oreille pour ne pas finir sourde. Ethan est cool, t'inquiète. Demande-lui un billet, on dirait pas, mais il est blindé !
Je haussai un sourcil. Le type en train de se gratter l'entrejambe, riche ? Mouais.
— Ce sale porc, je te jure, je vais me LE FAIRE !
Je ris. Elle aboyait plus qu'elle ne mordait. Comme son proprio en fait. Même s'il avait plus de moyens qu'elle.
— On se rejoint où ? demandai-je.
— Je t'écris. Et désolée d'être partie, mais vraiment hein, Ethan, c'est un gars sûr.
— Il vient de sous-entendre qu'on aurait pu coucher ensemble tellement j'étais bourrée.
— J'ai pas dit ça ! s'écria le pauvre Ethan.
El éclata de rire.
— Sois pas trop dur avec lui. On se rejoint au point habituel, ok ?
Elle raccrocha avant ma réponse. J'acceptai la tasse tendue d'Ethan et nous écoutâmes le type et la gonzesse aux yeux de panda se prendre la tête.
— Et donc, dis-je, t'es riche ?
Il rougit. Comment il n'avait pas fini bouffé par le monde ?
— Mes parents le sont. Moi ? J'essaye de m'en sortir.
Ouais.
Je me brûlai la langue à vouloir boire trop vite. Il fallait vraiment que j'y aille ; on n'allait pas se regarder dans le blanc des yeux toute la journée non plus.
Je déposai ma tasse dans l'évier et il me suivit jusqu'à la porte d'entrée.
— Tiens, pour... le taxi. Et euh, autre chose.
Il me tendit deux billets.
— J'ai rien demandé, crachai-je.
Je ne voulais pas de sa pitié, de sa compassion ou de je ne savais quoi encore. C'était ma vie, ma merde, mes choix.
— Ouais, je sais. Juste... t'as l'air d'en avoir plus besoin que moi.
Une pierre tomba dans mon estomac. Je lui arrachai les billets des mains et déguerpis de là sans me retourner.
Dehors, je levai la tête pour inspirer un grand coup. Il faisait bon, pas trop chaud. Supportable.
Je mis quelques minutes à m'orienter et trouvai un arrêt de bus. Ce dernier arriva presque au même moment et je grimpai dedans. Un siège amorti mes fesses et je collai mon visage à la vitre.
Pour qu'un inconnu me file cent balles, je devais vraiment, vraiment faire pitié. Je n'avais peut-être pas de mascara dégoulinant autour des yeux, mais le reste parlait pour moi. Je vivais dans la rue depuis des années, enfin, plus vraiment, grâce à El. Mais avoir un toit sur la tête ne signifiait rien. Je me fichai bien d'où je passais mes yeux, tant que j'étais libre.
Tant que c'était mon choix. Pas celui des autres.
Le mien.
Je somnolai un peu. Une gamine me fixait depuis son siège et je lui fis une grimace. Elle gloussa. Sa mère me fusilla du regard devant mon look minable.
Ouais, minable, je l'étais. Pas une nouveauté. J'eus bien envie de lui faire un doigt, mais me retins. Je préférais qu'on me fixe parce que je ressemblais à un sans-abri plutôt que pour ce que j'étais vraiment.
Les écrans dans le bus déversaient leur flux d'informations quotidiennes. Mes yeux se perdirent sur les sous-titres en bas de l'écran.
« ... se réunira bientôt le Quorum lors d'une levée de fonds importante. Les Clans se retrouveront pour un énième événement caritatif comme il est coutume. Nous aurons encore une fois la chance de voir Ephraim Jacobsen... »
J'appuyai mon front contre la vitre et fermai les yeux. Même ici, tout le monde ne parlait que des Primordiaux. Comme si c'était tout ce qui importait, ce qui comptait. Où fallait-il que j'aille pour laisser tout ça derrière moi au juste ? Sur une île déserte ?
Je ne voulais pas partir. El... c'était la première vraie amie que je me faisais. La première qui m'appréciait pour celle que j'étais. Pas pour...
Je me levai lorsque le bus s'arrêta devant un arrêt que je connaissais bien. Mon téléphone dans mes mains – seule vraie possession – je pris la direction du point de rendez-vous avec El. Un quartier où il ne faisait pas bon vivre. Il y en avait partout, dans n'importe quelle ville, quoiqu'on vous vende. Certaines personnes me saluèrent d'un signe du menton. Nous étions des ombres ici. Les habitants appelaient la police parce qu'on trainait, parce qu'on fumait, buvait.
Parce qu'on vivait.
Mon choix.
Mon choix. Le mien, pas ceux des autres.
— Lili ! T'as pas une p'tite pièce pour moi ?
Ed surgit, trop speed pour que ce soit son état normal. Il n'arrêtait pas de renifler, les yeux injectés de sang.
— Désolée, Ed, j'ai que dalle.
— Pas grave, ma belle, pas grave.
Déjà, il s'éloignait. Je pressai un peu l'allure pour tomber sur le vieux monsieur qui vivait dans une tente et qui un jour avait été professeur.
Une autre vie qu'il disait.
Je m'arrêtai, m'accroupit.
— Lilianne, me salua-t-il.
C'était certainement le seul que je ne reprenais pas. Malgré ses dents pourries, malgré son apparence, il restait qui il avait été. Quelque part, sous toute cette couche de crasse.
Je plongeai la main dans ma poche, lui glissai le billet de cinquante dans la main.
— Fais-moi plaisir et achète-toi un bon repas, d'accord ?
— Et toi, qui t'achète un repas ? Qui s'occupe de toi ?
— Personne, répondis-je. Et c'est mieux comme ça, crois-moi.
Je me reculai.
— Tous les matins, même si j'adore ton sourire, j'espère ne pas te voir, Lilianne. Parce que cette vie, elle est pas pour toi.
— Parce que tu la mérites, toi, cette vie ? répliquai-je.
Il eut un drôle de sourire. Quelque chose obscurcit son regard et mes poils se hérissèrent. Son énergie ressemblait à celle d'un Primordial, mais je ne pouvais en être sûre.
— Oui, oui, souffla-t-il. Mais pas toi, belle Lilianne. Pas toi. Alors il faut que tu t'en sortes, d'accord ?
J'agitai mes doigts pour le saluer et m'éloignai.
M'en sortir ?
C'était déjà fait. Peut-être que ce n'était pas ce que j'avais imaginé, mais tout valait mieux que ce qu'on m'avait forcée à faire.
Tout.
**
Un premier aperçu de notre Lilianne baby 😍😍 des avis ? 😁
Je prends les demandes pour le rythme de cette histoire. Un chapitre par jour ? Un chapitre tous les deux jours ? Un chapitre par semaine ? Ce serait quoi l'idéal pour vous ? Les petits fantômes, hésitez pas à donner votre avis aussi 😘 on vous voit ❤️
Des bisous 😘
Taki & Ada'
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