01 - Ephraim
Los Angeles,
Californie, 2052.
L'air était brûlant ici. Comme toujours. Au moins à Las Vegas, je pouvais rester dans des endroits climatisés et prétendre ne pas suer comme un idiot. Le costume trois-pièces que je portais n'aidait pas à la chaleur. Je dénouai ma cravate pour respirer et observai mon environnement. Le centre commercial dans lequel Patrocle m'avait demandé de le retrouver était immense, mais pas très bien rafraîchit. De l'air chaud rentrait par les trois entrées qui n'avaient pas de portes pour arrêter la chaleur. Patrocle allait m'entendre quand il arriverait. Sa dernière affaire le retenait ici, mais c'était plus une excuse pour rester proche des autres. J'avais fui à Las Vegas, mais personne n'avait vraiment voulu me suivre.
Mon visage était très connu ici et je croisais quelques regards intéressés, et effrayés pour la plupart. Ce n'était pas faute de porter certains héritages, ou de faire partie des Primordiaux.
— Raim, gronda Patrocle de sa voix grave si caractéristique.
Je pivotai. Il n'y avait que lui pour m'appeler comme ça. Personne ne le faisait. Je n'acceptais ça que de sa part. Une faiblesse, vraiment. Patrocle était mon talon d'Achilles à différents niveaux de ma vie. Il était aussi le seul sur qui je pouvais vraiment compter à l'heure actuelle.
Ses cheveux blonds et courts bougeaient au rythme de sa marche. Ebouriffés comme ils étaient, je le savais agité. Malgré la chaleur ambiante, il portait sa veste en cuir qu'il ne balancerait jamais, à mon grand désarroi. J'avais essayé de l'habiller avec un peu plus de classe, mais chassez le naturel et il revenait toujours au galop. Je discernai aisément son holster d'épaule et le flingue contre ses côtes qui allait avec.
— J'espère que tu as une bonne excuse pour me faire venir ici, grimaçai-je.
Il me fit signe de le suivre. Il nous installa dans un des cafés qui se trouvaient là et tira un dossier de sous sa veste. Ça me fascinait tout ce qu'il pouvait planquer à cet endroit. Son visage était plutôt fin, mais restait très anguleux ce qui lui donnait cet aspect un peu froid. À l'inverse, j'avais des cheveux bruns, légèrement bouclés si je les laissais trop poussés. Généralement, je les aplatissais sur le haut de ma tête pour que ne rien ne dépasse de mon crâne, mais aujourd'hui, avec la chaleur et l'humidité, je n'avais pas bataillé bien fort. Je retirai mes lunettes de soleil.
— Regarde ces photos, m'ordonna-t-il.
Je soupirai et laissai le dossier devant moi sans le toucher.
— Patrocle, commençai-je.
— Tu ne les as pas encore regardées.
Je posai ma main à plat sur le dossier. Mon regard croisa celui d'un enfant et il tira sur le bras de sa mère pour me pointer du doigt. Mon visage n'était pas sans marques. On ne faisait pas partie des Primordiaux sans se trimballer quelques bagages, dont des cicatrices. Un de mes yeux avait échappés belle à la disparition totale il y avait déjà plusieurs années, mais la marque restait. Une ligne sur mon œil et un amas de chair sur ma joue gauche. Heureusement que je n'avais pas tenté de devenir sénateur ou ministre.
— Regarde-les, insista Patrocle.
— A quoi bon ? soupirai-je. Ça fera quatre ans que nous cherchons dans quelques semaines. Si elle avait voulu qu'on la retrouve, elle serait déjà venue à nous.
— Ephraim, commença Patrocle.
Je secouai la tête. La mère tentait d'expliquer à son enfant qu'il ne fallait pas dévisager les personnes handicapées. Je haussai un sourcil, mon regard se posa de nouveau sur le duo. Patrocle se racla la gorge et je clignai des yeux. Mes pupilles durent reprendre leur couleur, car Patrocle souffla lentement.
— Ne fait pas de folie ici tu veux ?
— Si tu ne m'avais pas demandé de venir dans ce trou miteux, je n'aurais pas eu envie de faire de folies. Compris ?
— Je suis suivi, admit Patrocle. Alors j'essaye de me faire discret dans des endroits où on ne nous verra pas ensemble.
— Suivi par qui ?
La tension dans mes épaules se fit un peu plus visible et mon dos se raidit. Patrocle haussa un sourcil, mais ne dit rien. Sûrement une de ses dernières affaires qui se retournaient contre lui. En tant que détective privé à mi-temps, il avait souvent des soucis comme ça.
— De l'aide ? proposai-je.
— Non, je veux que tu regardes ça.
— J'ai des rendez-vous cette après-midi, je ne peux pas traîner.
— S'il te plaît.
Je me figeai, prêt à me lever. Je posai mon regard sur le dossier et soupirai. Je ramenai mes jambes sous la table et tentai de cacher les tremblements qui m'habitaient. Tous, ils espéraient. Encore et encore. Certains dans la colère, d'autres dans l'impatience, d'autres dans l'incompréhension. Les trois sentiments m'habitaient en ce moment et je détestais ça. Je maîtrisais énormément d'éléments dans mon environnement et chacun de ces éléments avait sa place à un endroit précis.
Le Clan Jacobsen était en pleine expansion. Je devais m'occuper de toutes les retombées et je devais aussi gérer tous les casinos qui nous appartenaient de près ou de loin. Et croyez-moi, ça en faisait énormément, rien que sur la côte ouest des États-Unis. Notre Clan contrôlait une bonne partie des activités de la nuit. Ça allait des casinos, au club de strip-tease et aux boîtes de nuit, en passant par des salles de spectacles toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Nous possédions aussi plusieurs stades de sport, dont les plus connus et les plus sollicités durant de gros évènements tels que le Super Bowl ou d'autres joyeusetés de ce genre. Évidemment, nous n'étions pas le seul Clan de Primordiaux, mais nous étions le plus puissants sur ce genre d'activités. Voir les prioritaires et les détenteurs.
— Qu'est-ce que je vais y trouver ? Tu sais très bien qu'Ades n'acceptera pas ce genre de recherches.
— C'est aussi la raison pour laquelle on se retrouve ici, remarqua Patrocle.
Il m'offrit un sourire mauvais et je retins un rire. Patrocle n'avait jamais écouté notre chef de clan. Moi, je ne pouvais pas me permettre de faire de folie. Je devais rester dans le rang, car j'étais l'héritier nommé. Des putains de foutaises, mais que vouliez-vous ? Quand Ades parlait, vous aviez tendance à filer sur le droit chemin. Hormis quand vous vous appeliez Patrocle Jacobsen-Lawrence.
— Ades te fait suivre ? c'est ça ? compris-je avec un temps de retard.
— Il essaye, rectifia mon frère de clan.
Je frottai ma nuque et sentis quelque chose sur mes pieds. Je baissai ma tête pour découvrir le pouvoir de Patrocle, sur ma chaussure, sous la forme d'un chien. Mais c'était un amas d'ombre. Des ombres qui pouvaient déchiqueter n'importe qui en l'espace de quelques secondes si Patrocle décidait d'attaquer ou de se défendre.
— Un Chien ? Tu as des envies ?
— Les autres sont trop voyants, dit-il avec une grimace.
Je levai les yeux au ciel. Le regard des gens n'en fut que plus lourd de sous-entendus et de peur mêlée. Les Primordiaux étaient connus des humains. Cela ne voulait pas dire qu'ils n'avaient pas peur de nous, surtout pour les plus fous.
Comme nous. Cette pensée suffit à fusiller tout le monde autour de nous. Chacun et chacune recommença à se concentrer sur son assiette.
— Allez, maugréa Patrocle.
Il en eut marre et ouvrit lui-même le dossier. Je croisai mes mains sur mes cuisses et le chien d'ombre de Patrocle se pressa contre avec un petit couinement presque humain. Mais il ne faisait que reproduire un son qu'il avait déjà entendu. Certaines personnes auraient pu trouver ça très effrayant, je trouvais ça amusant la plupart du temps. Je finis par lui gratouiller la tête.
— Où ont-elles été prises ?
Je posai enfin mon regard sur les photos et mon ventre se serra. Tout comme ma gorge. Et mon cœur se gonfla dans ma poitrine. Voilà le genre de réaction quand je la regardais. Depuis toujours. Depuis cette première fois, à la maternité. Je poussai les photos d'un doigt. Elle apparaissait dessus à chaque fois, même de loin. Elle avait encore changé. Pas forcément en bien. Être en fuite n'aidait pas à rester en bonne santé.
Il faut qu'on la ramène. Je fermai les yeux un instant et refermai le dossier.
— Toronto, m'apprit Patrocle.
Je pinçai mon nez.
— Tu es sûr que c'est elle ?
— Qu'est-ce que tu ressens quand tu regardes ces photos ?
— De la haine. De la déception. De la colère, admis-je.
Patrocle soupira et reprit le dossier vers lui.
— Tu es insupportable, grommela-t-il.
— Et toi plein d'espoir, rétorquai-je. Tu crois vraiment que ça sera aussi simple que ça ? Qu'Ades te laissera faire ?
— Il nous la mise à l'envers une fois, pas deux, siffla Patrocle.
Je me frottai la nuque, mal à l'aise. Je détestais cette sensation. Je détestais tout ce que je ne contrôlais pas un minimum. Que ce soit par le simple appui d'un pouvoir bien placé, ou une loyauté acquise, ou une émotion imposée. La peur, la souffrance.
— Il est le chef de clan, soupirai-je. Nous devons suivre ses ordres.
— Alors quoi ? J'attends que tu le deviennes et ensuite je reprends les recherches ?
Je me figeai et grognai.
— Je ne deviendrais pas Chef de Clan. Pas dans ces conditions.
— Tu es le plus puissant de notre génération, Ephraim. Tu penses vraiment y échapper ? Même Ades est d'accord, c'est pour dire.
— Ades ne me positionnera pas là tant que...
Je serrai les dents et Patrocle haussa un sourcil, l'air de dire, « tu vois, il faut qu'on le fasse ». Je secouai la tête et me levai. Patrocle rappela son animal quand trop d'yeux se mirent à le scanner. L'ombre en forme de chien disparu dans une gerbe de fumée.
— Ça vaut le coup d'aller voir. Laisse-moi...
— Tu n'as pas d'ordres à recevoir de moi, Patrocle. Je ne suis pas Chef de Clan. Et je ne suis même pas ton directeur de façon générale. D'accord ?
Il frôla mon bras pour me pousser vers la sortie et je le laissais faire par principe. Parce que c'était lui. Sinon, très peu de personnes pouvaient me toucher. Pas forcément pour les raisons que vous pouviez imaginer malheureusement.
— Je suis sûr que c'est elle, chuchota Patrocle.
Nous marchâmes vers la sortie et la plupart des gens s'écartèrent de notre chemin. Quand je sentis une épaule rencontrer la mienne, je me figeai. Mon regard croisa celui d'une jeune femme qui tenait son portable à la main.
— Vous pourriez regarder où vous all...
Elle regarda le reste de mon apparence et le tatouage qui était sur mon cou pour dépasser de mon col de chemise. Immédiatement, je lus dans son regard la méfiance et la peur aussi.
— Regarde devant toi au lieu de regarder ton téléphone, gamine, grogna Patrocle.
Elle hocha la tête, le regard un peu dans le vide avant de fuir. J'aurais pu m'amuser un peu avec elle, mais je n'en avais pas la force. Pas aujourd'hui.
Mais maintenant, je savais son prénom.
Et je savais aussi son nom. Et son âge.
Et la date de sa mort.
Je pris une longue inspiration pour pousser tous ces détails dans une case bien fermée de mon cerveau. Je ne notais ce genre d'informations que lorsque j'en avais besoin pour une personne en particulier.
— Tu as vraiment des réunions ? me demanda Patrocle une fois dehors.
Je lui jetai un coup d'œil un peu mauvais.
— Bien sûr que j'ai des réunions, espèce d'idiot. Tu crois que je gagne de l'argent juste en regardant les autres travailler ?
— Ça t'irait bien, répondit-il très sérieux.
Je voulus le taper, mais il s'écarta avec une moue.
— Je dois y aller, remarquai-je.
Je remis ma cravate en place et mes lunettes de soleil pour cacher une partie de mon visage.
— Raim, me rappela Patrocle.
Je pivotai pour le regarder.
— Tu ne m'as jamais abandonné. Même quand je ne voulais pas être sauvé, souffla-t-il si bas que je dus tendre l'oreille. Alors, je ne peux pas l'abandonner.
Je ne répondis rien. Je contentai de lui faire un signe de la main et de filer. Mon chauffeur m'attendait devant le centre commercial en warning. Je n'eus qu'à me glisser à l'arrière et à lui indiquer l'adresse d'un de nos casinos où j'avais mon bureau.
Je glissai ma main dans ma veste et tournai la photo pour regarder l'image floue en noir et blanc. On voyait à peine le visage, à peine la silhouette.
Pourtant, quelque chose au fond de moi me poussait à croire que c'était bien elle.
**
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