XXXVI-4 : Monstre angélique

Planète Shawn, Hyktacrite

Césape acheva le nœud d'un bandage, avant de s'occuper d'un autre blessé. S'ils apparaissaient plus petits, moins forts, moins velus qu'un gigan, les humains conservaient une physionomie similaire, les mêmes organes, le même sang rouge. Aussi ses connaissances de premier secours s'avéraient salvatrices ; seule l'échelle du désastre dépassait son imagination.

Des rangées de Shawniens occupaient la grange, allongés dans des lits de paille improvisés. Et, dehors, entre les décombres, d'autres granges, d'autres refuges s'additionnaient, disséminés entre les ruines. Césape souffla. Le flot des nouveaux arrivants semblait ne jamais vouloir cesser, aussi implacable, interminable qu'un rouge déluge de mousson. Les brancards défilaient, aussitôt triés par priorité ; les magiciens traitaient les cas désespérés, les autres se rétablissaient selon la méthode classique.

Le gigan tourna la tête pour remarquer un Shawnien trapu agenouillé près d'une femme alitée. Il plissa les yeux quelques instants, balaya l'armure entaillée de sang, écrasée de poussière, s'arrêta sur la chevelure châtaine très courte, les yeux sombres perçants, avant de reconnaître Marzog. Aussitôt, il agita une patte.

« Ohé, besoin d'aide ? »

La femme rouvrit un œil dans sa direction. Des bandages rougis engloutissaient la moitié de sa tête pour descendre jusqu'au torse.

« Vous... vous êtes un compagnon de Galaniel ? Est-ce que vous savez... comment va-t-il ? »

La gigan se rappela avoir perdu sa cape quelque part sur le champ de bataille. Et, avec sa physionomie, autant clamer sa nature extrashawnestre au premier arrivant. Le lien, sans doute, devenait aisé pour qui connaissait les Voyageurs.

« Galaniel est... vivant, expédia-t-il. Il s'en remettra. »

Marzog se redressa. Dans son dos, l'épaisse claymore cliqueta sur les accros de l'armure. Malgré un équipement en lambeaux, le jeune homme ne présentait aucune blessure apparente.

« Césape, c'est ça ? Je vous dois des remerciements. Sur le champ de bataille, j'ai... perdu mes moyens, l'espace d'un instant, et vous m'êtes venu en aide. C'est grâce à votre intervention si j'ai ensuite pu sauver ma mère. »

Une ombre glissa entre les ridules sérieuses de son visage. Dans ses yeux brûlait une détermination ardente. À certains égards, il rappelait Galaniel. En un peu plus petit. Et plus musclé.

« Ce n'est rien, minimisa Césape, j'étais content que vous soyez là, aussi. Déjà, rien qu'avec le barzac, c'était un beau travail d'équipe. Et, sinon, vous connaissez Galaniel, aussi ?

— Je suis son frère.

— Et moi, sa mère, Ethmine. »

Les yeux de Marzog s'agrandirent soudainement, le jeune homme recula d'un pas. Les muscles parcourus d'un tressaillement, sa main chercha le pommeau de sa claymore.

« Vous parlez de Galaniel ? Je le cherchais justement. »

La voix enfantine gratifia Césape d'un sentiment de déjà-vu, ou plutôt de déjà-entendu. Le gigan se retourna. Une sensation désagréable, d'oppression latente, titillait son instinct animal, mais il ne ressentait pas pour autant d'animosité ou de danger.

Un voile dissimulait le visage de la petite silhouette blanche. Derrière suivait un homme vêtu de gris. Les cheveux poivre et sel, la barbe mal rasée, ses traits se fermaient sur un air renfrogné, comme témoin d'une éternelle morosité.

« Attendez, je vous connais, se souvint Césape. Vous étiez au Sanctuaire, non ? Mitteï et... euh.

— Alfonsi. »

L'homme croisa les bras, tandis que le premier archange penchait la tête, comme intéressée par la réaction de Marzog. Emporté dans sa reculade, le Shawnien rencontra le bois d'un mur. Quelques gouttes de sueur perlèrent, tracèrent des rigoles dans la poussière de son visage.

« Vous arrivez un peu tard, rouspéta Césape, la bataille est finie. Hyktacrite est sauvée, enfin, ce qu'il en reste, le vaisseau mère kalendorien s'est écrasé, et le Commandant noir a conclu la paix avec Seyer.

— Nous ne sommes pas venus nous battre, opposa Mitteï. Shawn n'est pas sous la protection d'Ahura Mazda.

— Alors... »

Elle se détourna pour traverser les rangées de blessés, jusqu'à pousser la porte d'une remise. Césape la rejoignit en quelques pas, tandis qu'Alfonsi suivait en silence.

« C'est ici qu'il y a Galaniel et Alyne, et aussi Seyer, commenta le gigan.

— Je vois bien. »

Le fythélien attendait sur une chaise en bois, le regard éteint. Son corps disparaissait sous des bandages jaunis, mais ses yeux se tournèrent vers les nouveaux arrivants.

« Pour un guide de la Lumière, tu fais peine à voir, Seyer, commenta Alfonsi. Et puis jamais un Grand Maître ne devrait perdre sa Pierre, même temporairement.

— Hé, il n'est pas le seul, intervint Césape, moi aussi, je m'étais fait piquer la mienne. »

Face au regard brûlant, le gigan se sentit obligé de siffloter.

« Ils ne sont pas conscients », remarqua Mitteï.

À droite et à gauche de Seyer reposaient Galaniel et Alyne.

« Je n'avais pas de raison de les réveiller, articula le fythélien.

— Tu as bien fait. »

Alfonsi s'approcha de Galaniel, un sombre éclat dans le regard.

« Ils sont en lui, effectivement, les Abysses. Il est l'un de leurs enfants.

— Galaniel est devenu ce que convoitait Gathor », commenta Mitteï.

Elle abaissa son voile pour révéler ses cheveux transparents, la profondeur marine de ses yeux. Son visage n'exprimait pas d'émotion particulière, ses mots ne portaient qu'une constatation détachée.

« Il est dangereux, renchérit Alfonsi. On le savait depuis le début. Il faut, il faudrait... »

Ses mots se perdirent sous le regard de Mitteï. Le premier archange reprit la parole.

« Seyer, tu as défendu sa cause de tout ton cœur, lorsqu'il s'est agi de le faire rentrer dans l'Ordre. J'ai finalement suivi ta recommandation, mais, maintenant, es-tu toujours aussi assuré de ton choix ? »

Le fythélien baissa la tête. Ses yeux tremblaient dans les ombres du passé.

« Je suis bien placé pour comprendre tout le danger que représentent les Abysses. Je... »

Il s'arrêta. Le silence encouragea Césape à intervenir.

« On parle de Galaniel, là, rappela le gigan. Le type qui s'est mis en danger pour sauver Zyx, puis Shawn, et qui...

— Mon frère, mon frère est vivant, coupa Seyer.

— Esry ? » s'étonna Mitteï.

Seyer hocha la tête.

« C'est ce que les Abysses m'ont montré. Nous sommes voués à nous affronter, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un de nous deux. Rien de bon ne sort jamais de ce pouvoir, c'est quelque chose qui n'est fait que pour détruire. »

Alfonsi hésita à répondre, puis se ravisa, et préféra tourner près d'Alyne.

« Et elle, c'est quoi, son cas ? C'est juste une elfine normale. Je ne ressens rien, pas le moindre fragment abyssal.

— Elle a été en contact. »

Le Zyssien cligna des yeux, ses traits suspicieux un instant balayés sous une vague incrédule.

« Ce n'est pas possible. Une fois que les Abysses te touchent, c'est terminé.

— Il y a un précédent. Un seul. »

L'homme se tourna vers Mitteï. Un intérêt, une certaine curiosité pétillait dans les yeux ancestraux. Elle redressa une main frêle et la posa contre le cœur.

« Moi-même. Les Abysses ne m'ont jamais rien fait, je suis en quelque sorte immunisée. Mais, jusqu'ici, en bientôt mille ans d'existence, je n'avais encore jamais rencontré de cas similaire. »

Alfonsi écarquilla les yeux, ouvrit la bouche, la referma.

« Les Abysses ne connaissent pas notre écoulement du Temps, pour elles, avenir, présent et passé se mélangent. Tu veux dire qu'elle... qu'elle... »

Il déglutit.

« Qu'elle serait promise à la même destinée que la tienne ?

— Peut-être bien. »

Le premier archange étendit ses deux mains. Deux radiances blanches émergèrent, enveloppèrent les jeunes apprentis.

« Tu... tu comptes les réveiller tous les deux ? s'inquiéta Alfonsi.

— Si je dois rendre un jugement, cela m'apparaît nécessaire. »


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