XXXVI-3 : Monstre angélique

Planète Zyx, bas-fond de Barcad

Lance-éclair à la main, les policiers enfoncèrent la porte vermoulue. Les hommes casqués s'engouffrèrent dans la salle insalubre, aussitôt suivis par Néol.

« On a un mort ; pas d'autre présence. »

Le Voyageur contempla l'infâme taudis. De l'eau gouttait depuis une vieille canalisation, enrobée d'une serpillière. Au-dessous, le seau en plastique débordait, quelques cafards s'abreuvaient à la source.

Au-dessus de la table renversée pendait le corps, les yeux exorbités, le visage dévoré par une barbe et des cheveux bruns foisonnants. Un papier griffonné traînait à même le sol. Néol se baissa, ramassa la note. Une lettre d'adieu, des regrets concernant l'échec de leurs opérations, l'impossibilité de retrouver Gathor.

Ses doigts gantés se crispèrent, froissèrent la feuille. Était-ce donc ainsi que finissait Rneigl Réor, le Chevalier Onirique responsable de l'évasion de 73B, le cerveau derrière la mort de Zawhyk ? Ses yeux se plissèrent, remarquèrent le sang le long des phalanges, un possible signe de lutte.

« Je sais à quoi tu penses, gronda la voix grave de Würz. Mitteï le disait déterminé, c'est peut-être une mise en scène. »

Sous un capuchon noir, son compagnon dissimulait sa nature non humaine. Néol fronça les sourcils.

« Plusieurs choses clochent. Déjà, recevoir cette délation à peine une heure après le départ de Mitteï et Alfonsi sur Shawn.

— Téléphone jetable non tracé, compléta Würz, impossible de remonter à la source. »

L'homme explora l'appartement à la recherche d'indices supplémentaires.

« 73B, apparemment, ne vivait plus ici. Et nous avons aussi reçu un appel la concernant, à l'autre bout des bas-fonds, presque en même temps.

— Et Séophan s'en occupe. D'après Alfonsi, elle n'a plus de pouvoirs, il s'en sortira aisément.

— Nous avons peut-être démantelé toute la cellule des Chevaliers Oniriques, mais quelqu'un est toujours à l'œuvre, dans l'ombre. Quelqu'un, qui a préféré se débarrasser de Rneigl. »

Würz croisa les bras.

« C'était l'hypothèse de Seyer. »

Des scientifiques en combinaison blanches complètes investissaient les lieux. Mais Néol se doutait déjà que les empreintes ou l'ADN ne diraient que ce qu'ils savaient déjà.

« L'inhibiteur », réalisa-t-il.

Il fouilla les poches de Rneigl, ouvrit des tiroirs, vides pour la plupart, souleva des journaux périmés.

« Il n'est pas ici. L'inhibiteur n'est pas ici.

— Rneigl l'avait, contredit Würz, il n'avait aucune raison de s'en séparer.

— Son meurtrier savait ce qu'il faisait.

— On n'est même pas sûr que...

— Séophan. »

Néol s'arrêta.

« C'est un piège, depuis le début. Il a attendu le départ de Mitteï et d'Alfonsi, il nous a séparés en deux groupes. Rneigl était censé représenter la première menace, un Chevalier Onirique avec un inhibiteur, et nous sommes venus à deux. Mais Séophan...

Il attrapa un téléphone, pianota l'écran.

« Quoi, Séophan ? s'interrogea Würz.

— C'est elle, 73B, c'est elle qui a l'inhibiteur. C'est ce qu'il voulait, Séophan est en danger. »


Planète Zyx, Barcad, fonderie abandonnée

Séophan courait.

73B n'était pas exactement à l'endroit indiqué, mais il avait fini par la repérer, engager la poursuite.

La police suivait, les sirènes encerclaient le bâtiment.

Son bras déploya une explosion bleutée, rata de peu l'ombre noire sur la passerelle métallique. Elle ne faisait que fuir, ne se défendait même pas. Alfonsi avait raison, une proie facile.

Il attrapa une échelle, que 73B renversa. Le Voyageur déploya sa magie et, dans un bond formidable, atteignit la plate-forme.

La jeune femme tira une rafale d'éclairs qu'il dissipa d'un geste de main. En réponse, Séophan activa un haut-parleur.

« Lâchez votre arme, résonna la voix neutre, il ne vous sera fait aucun mal. »

Les humains n'entendaient pas les fréquences de sa voix, mais, lui, entendait les leurs. La jeune femme recula, jusqu'à toucher une cuve de métal vide. Une combinaison noire recouvrait son corps, jusqu'à masquer son visage.

« Vous mentez, vous mentez tous », murmura-t-elle.

Les antennes de Séophan frémirent. De la peur, mais aussi...

Elle releva son lance-éclairs ; Séophan déploya la magie de sa Pierre.

Le téléphone sonna. Dans son oreillette intervint la voix de Néol.

« Séophan ! Ne l'attaque pas seul ! Elle a... »

La magie se brouilla, la décharge du lance-éclairs le percuta de plein fouet. Sous la douleur, Séophan perdit l'équilibre, alors que l'ombre noire se jetait sur lui.

Un atémi envoya rouler sa mâchoire sur la grille métallique. Le capuchon arraché, il cracha un sang verdâtre, attrapa son épée.

« Vous n'êtes même pas humain, remarqua la femme, fallait-il donc que les autres planètes nous envoient aussi leurs monstres ? »

La mort siffla, mordit sa joue squameuse. Il esquiva en partie, dressa son arme. L'épée courte rencontra la sienne, le corps souple évita son attaque, se glissa dans sa défense.

Qu'avait donc prétendu Alfonsi ? Où se trouvait la néophyte, l'expérience ratée qu'elle était censée représenter ? Dans ses mouvements transpirait toute l'abnégation d'un entraînement draconien, dans ses yeux brûlait une inaltérable volonté, la braise d'un espoir impossible.

Une douleur traversa son épaule. Elle était fille d'Ishtar, mais toutes les prédispositions du monde connaissaient leurs limites. À partir d'un certain niveau, l'escalade ne se poursuivait plus qu'à la sueur de l'effort.

Il atteignit une côte, déchira la combinaison sur une traînée rouge. Un professeur intransigeant avait aiguisé ses sens jusqu'à la transformer en menace, nourrie par sa propre rage. Rneigl l'avait bien faite évader, mais le Chevalier Onirique jouissait d'une réputation de cerveau plutôt que de véritable guerrier. Quelqu'un d'autre se dissimulait-il dans l'ombre, comme le supposait Seyer, ou alors... ?

Était-elle Gathor ?

Alfonsi aurait dû la tuer dès qu'il en avait eu l'occasion. Le Zyssien avait pour la manie de mésestimer tout le danger de ses adversaires. Et, dans cette guerre impitoyable, où chaque seconde jouait la vie et la mort, les plus funestes conséquences découlaient parfois de gestes anodins.

« Police ! »

Des rayons de lumière secouèrent la pénombre du bâtiment, les grilles métalliques vibrèrent sous les cavalcades. Séophan trancha dans un bras, remonta jusqu'à la tête, rencontra le menton. Les renforts arrivaient enfin, il l'emportait, elle...

Il s'arrêta.

Une froide douleur irradia sa poitrine. Ses yeux redescendirent sur le manche brillant, enfoncé entre ses côtes. Un sang vert déferla par à-coups.

Sa vue se brouilla, alors qu'ils tombaient tous deux à genoux. Le bruit métallique d'une arme rebondit contre le sol. Des flots rouges inondaient sa vision, pourtant, la femme vivait encore. La tête penchée sur le côté, occupée à vomir un déluge écarlate, le bras droit à demi tranché, ses yeux refusaient de mourir.

Dans l'éternité d'un instant, une main noire agrippa son torse, des phalanges tremblantes rencontrèrent sa Pierre.

Non...

Il ne pouvait plus bouger. Alors que descendait le spectre de la mort, ce regard ensanglanté le terrifia. Sans le savoir, sans même s'en rendre compte, Alfonsi avait créé un monstre, et, aujourd'hui, ce monstre étendait ses ailes noires

« Pol... ice... »

Sa gorge se noya dans un ultime hoquet. La lueur verdâtre de l'artefact se dissipa jusqu'à disparaître tout à fait.

Et les Ténèbres l'emportèrent.


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