XXXV-1 : Le prince sans royaume

Sous les directives de l'astre solaire, l'ange Ebrahim atteignit le désert. Une grande arche de pierre marquait l'entrée, l'ultime frontière de la civilisation et, depuis le fronton, un antique pentagramme dévisageait l'explorateur.

Seulement vêtu de sa robe de bure, soutenu par son bâton de pèlerin et sa foi, les pas d'Ebrahim foulèrent le sable brûlant et l'ange s'enfonça dans les terres hostiles. Il ignora la chaleur, la faim, la soif, pour le seul bien de sa quête.

Au troisième jour, l'ange croisa un démon rouge, assis sur un trône de pierre. Ses pattes velues de noir prenaient la forme du bouc, ses muscles épais rayonnaient sous la chaleur, et sa gueule, cerclée de cornes, exsudait des postillons de lave.

« Ô, Ebrahim, la fatigue accable tes pas. Si tu le désires, je peux te prêter ma force, je te soutiendrai sous le soleil.

Je n'ai pas besoin de ta force, démon. »

Et, dans le souffle des flammes, la créature retourna aux Enfers.

À la quatrième nuit, un enfant traversa les rêves d'Ebrahim. Il accompagnait ses souvenirs passés et ses aspirations oubliées. Dans une cité de lumière, sous les cascades d'ambroisie, des défunts se relevaient, des proches, des compagnons, emportés trop tôt dans le torrent de la vie.

« Ebrahim, reste avec moi, jouons ensemble et ne te réveille jamais. Car ce monde deviendra tout ce que tu souhaites. Ici, nulle limite n'existe, si ce n'est ta propre imagination.

Je ne désire nulle illusion, seulement le réel. »

Alors Ebrahim se réveilla et reprit son chemin. Au huitième jour, il croisa un ascète, semblable à une statue. À peine vêtu d'un pagne blanc, l'homme brun restait assis en tailleur, immobile. D'innombrables rides marquaient sa peau, une barbe blanche masquait son torse amaigri, mais la Mort oubliait sa présence.

« Ô, Ebrahim, n'as-tu jamais désiré élever ton âme ? Veux-tu que je t'enseigne l'Éveil ?

Ta proposition est tentante, vieillard, mais j'ai voué ma vie et mon âme à l'astre solaire. Je ne peux me retirer du monde pour mon seul bénéfice. »

Au douzième jour, le ciel s'obscurcit de nuages, et le Serpent noir descendit de la voûte.

« Ô, Ebrahim, depuis douze jours, j'observe ton périple. Tu avances, accablé par le soleil, tel un esclave, emprisonné par d'inutiles principes. Ne désires-tu pas meilleure existence ? Je peux déchirer le ciel, abreuver le sol aride, briser tes chaînes. Tu auras toute l'eau que tu désires, tu goûteras la saveur de la Liberté.

Va-t'en, serpent, je ne veux pas de ton eau. »

Et, dans un sifflement de dépit, le Serpent s'effaça dans ses propres Ténèbres.

Au vingtième jour, des ombres s'élevèrent du sol.

« Ô, Ebrahim, tout ce qui est retournera un jour au Néant. Tous tes compagnons, tes amis, tes frères et sœurs, retourneront un jour à la poussière. Toutes les créatures, plantes, animaux et conscients, dépériront. Les nations s'écrouleront, les montagnes s'effondreront, même les étoiles s'éteindront. Car ainsi va la marche du Temps. Ô, Ebrahim, quelle raison as-tu donc de te battre pour ce Monde ?

J'obéis à l'astre solaire, Il est mon seul guide, ma raison d'être. Un jour, peut-être, le Monde ne sera plus, mais un nouveau s'élèvera, baigné dans Sa Lumière. »

L'ange étendit une main et les ombres se liquéfièrent sous une lumière blanche. L'eau sombre protesta, mais il l'enferma au plus profond des entrailles de la planète afin que nul ne puisse plus entendre ses imprécations nihilistes.

Au quarantième jour, enfin, la fraîcheur d'un vent marin marqua la fin du désert. Des buissons arrachaient leur vie au sable, puis suivaient les troncs de sycomores. Alors, l'astre solaire se détacha de l'azur céleste et son pas d'or secoua l'herbe sèche.

« Ô, Ebrahim, mon ange, de tous les pouvoirs que tu as croisés, n'en regrettes-tu aucun ? »

Alors Ebrahim s'agenouilla sous les rayons.

« Ô astre solaire, vous êtes mon seul Dieu, la seule Vérité de ce Monde. Vous m'avez offert Votre guidance, avez même fait de moi un ange, je n'ai besoin de rien d'autre. »

Grand Livre de la Lumière, Les tentations du Pentagramme


Sur un sol ravagé reposait le cadavre de la Bête. Les membres arrachés, tordus, dévorés sur plusieurs kilomètres, des entrailles noires répandaient leurs viscères métalliques.

Les mains de Seyer s'agrippèrent à son bâton. Le Grand Maître tenait à peine debout, par toute la force de sa volonté, mais il s'obstina. Il dépassa une constellation de fragments de tôles et s'enfonça dans les profondeurs de la Bête.

« Seyer...

Le prince sans royaume. »

Alyne avait déjoué l'inévitable et abattu le vaisseau mère, puis Césape avait rattrapé l'elfine dans sa chute. Mais Galaniel...

« Galaniel est à nous...

Enfant des Abysses. »

Il enjamba un corps calciné, ignora le noir et l'écarlate des pièces broyées, les machineries essorées par la main d'un géant. Le Commandant était ici.

Et les Abysses lui parlaient.

« Je ne suis pas mort, Seyer. »

Le fantôme de son frère se tient devant lui. Demi-frère. Son orange fythélien se mélange à une roseur humaine.

Seyer l'ignora, poursuivit sa route, contourna une flaque sombre, quelques gouttes, occupées à ronger le métal.

« Nous nous reverrons, Seyer, tu l'as déjà compris, même si tu refuses de te l'avouer. Nous sommes voués à nous affronter, jusqu'à ce que reste le meilleur. »

Les pierres de la Citadelle se dressent autour de lui. L'odeur de l'iode, les embruns de la mer, les arbres à myrrhe, les sycomores, l'écrasante chaleur d'un soleil éclatant. Des ombres en toge blanche foulent les pavés.

Le Voyageur secoua une main pour dissiper l'apparition, mais les voix s'accrochèrent à ses oreilles.

« Il paraîtrait que notre Seigneur vient enfin d'avoir un enfant avec sa nouvelle épouse.

Un fils, Seyer.

Il fera un bien meilleur prétendant au trône qu'Esry. Vous imaginez ? Un sang-mêlé ?

À quoi pouvait donc bien penser notre Seigneur ?

Cette sorcière d'humaine l'avait certainement envoûté, et les dieux ont puni son méfait. L'Archidiacre l'avait prédit. »

Une goutte suinta du plafond. Le fythélien étendit une main tremblante ; le liquide sombre glissa sur l'éther, sans l'atteindre.

Il devait rester conscient, concentré, ou les Abysses l'engloutiraient. Mais les souvenirs pleuraient les larmes de son passé.

« Tu savais déjà tout cela. »

Le regard bleu vénéneux traverse les ténèbres.

« La race des fythéliens s'est toujours enorgueillie de son affinité avec l'éther, mais j'ai toujours été un meilleur magicien. Meilleur que toi, Seyer. Sans doute le meilleur de ce royaume ridicule.

— Mais tu ne m'as jamais vaincu à l'épée. »

Esry balaie l'affirmation dans un mouvement d'impatience.

« Le rôle d'un soldat, non d'un prince. J'étais destiné à régner, et toi, à commander mes armées. Si cette nation nous avait acceptés ainsi, ensemble, elle aurait connu la prospérité.

— Ta quête de pouvoir l'a détruite.

Toi aussi, tu recherchais le pouvoir, Seyer. Tu as toujours eu cette ambition, tout comme moi, tu voulais être le premier. Mais il n'y a qu'une seule place au sommet, un seul trône. »

L'archange tourna la tête. De nouvelles formes se mélangeaient à la réalité, déformaient le tombeau métallique.

Une crypte.

Entre ses mains, le livre interdit d'un pouvoir oublié.

Les arcanes.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Il sursaute. Des pas descendent l'escalier de pierre. Malgré son jeune âge, Esry arbore une cape d'or, à la mesure de son port altier. Il marche comme si le monde lui appartient, ses yeux contemplent la charpente même de l'Univers.

Seyer se dissimule derrière un pilier sculpté, son livre à la main.

« Ce n'est pas la peine de te cacher, je sais que tu es là. »

Il sursaute. La tête curieuse dépasse de la pierre, contemple le butin du jeune fythélien.

« Qu'est-ce que c'est ? s'interroge Esry.

C'est à moi ! »

Seyer court jusqu'au centre de la pièce, son livre à la main.

« Tu es peut-être le plus grand magicien, mais je sais faire de la magie sans éther ! »

Il étend une main, invoque la force des esprits. Et les esprits descendent jusqu'à lui, déplacent une pierre sous l'œil étonné d'Esry.

« Les arcanes, murmura Seyer.

— Oui, les arcanes. »


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