XXXII-6 : Ne me trahis pas

« J'ai sa Pierre, annonça Galaniel, tiens. »

L'orbe luminescent radiait une chaude lueur blanche. Le jeune homme se retourna à moitié et le jeta de toutes ses forces. Un instant surprise, Dalen n'esquiva qu'à moitié, l'artefact effleura sa tête avant de s'écraser entre des débris de vases.

Déjà, Galaniel s'élançait, le poignard en avant. Dalen tira, ses balles ricochèrent entre des bols renversés, trop tard. La lame percuta le barillet, elle lâcha son arme, arracha celle de Galaniel dans le même mouvement, voulut dégainer son épée, attrapa le bras du jeune homme qui se jetait sur elle.

Alyne cligna des yeux, passa une main contre sa gorge.

Galaniel.

De la satisfaction à la surprise, le visage de Dalen glissait désormais dans la fureur. Du sang s'écoulait depuis son front, ses yeux révulsés criaient tout l'absolu du meurtre, sa bouche se tordit sous la colère. Emportée dans l'élan, elle perdit l'équilibre, entraîna Galaniel dans sa chute.

Il ne l'avait pas trahie. Le Shawnien, plus que tout autre, peut-être, méritait sa place parmi les anges. Alyne ramassa sa double lame, se releva malgré des jambes toujours tremblantes.

Ô Grande Déesse, que mon bras, toujours, serve Votre Lumière.

Désormais, elle n'espérait plus, elle savait. Galaniel n'était pas Gathor. Jamais il ne trahirait. Et un indicible soulagement emporta le flot de ses sombres tergiversations.

Aucun bruit, nul bruissement n'accompagna ses pas. Une ombre blanche glissa, mécanique. Dans sa main luisit l'éclat funeste de l'acier.

Qu'il ne tremble pas lorsque viendront les Ténèbres...

« Sale petit merdeux ! éructa Dalen. Tu t'es bien foutu de moi ! »

Dans la mêlée, Dalen attrapa la gorge de Galaniel, son autre main frappa le casque, encore et encore, jusqu'à l'arracher.

Car je n'existe que par Vous, je ne vis que pour Vous.

« Je vais te faire regretter d'avoir insulté le Maître ! De m'avoir insultée ! Je vais te buter ! »

Son gantelet de cuir, sous la violence des coups, noircissait déjà de son propre sang, mais, sans considération pour la douleur, Dalen frappa encore.

Entendez ma prière, ô Déesse...

Le poing s'immobilisa à mi-parcours.

Une soudaine pâleur remonta jusqu'aux tempes du Chevalier. Dalen baissa la tête, constata la pointe d'or qui dépassait de son torse, cracha du sang. Alyne retira son arme d'un coup sec, la femme retomba dans une gerbe écarlate.

Et soyez Juge de mes actions.

Galaniel poussa le corps et reprit sa respiration, une main sur la gorge. De sa joue à sa lèvre coupée témoignait un impact bleuissant.

« Je... je crois qu'elle est morte », constata-t-il.

Alyne sentit ses jambes se dérober, elle s'agenouilla, le souffle coupé, posa sa main armée au sol.

« Ça va ? demanda le Shawnien.

— Oui. Non. »

Elle renifla. Le jeune homme récupéra son casque cabossé, puis fouilla dans les décombres à la recherche de la Pierre jetée.

« Il y avait ce Shawnien, reprit Alyne, qui disait te connaître. Rhétar. Je lui avais dit de rester en retrait, mais il m'a suivie. Et il... il est mort, je ne l'ai pas vu, mais je suis sûre qu'il est mort. Il... si j'avais... à cause de moi... »

Les traits de Galaniel se fermèrent. Le jeune homme se rapprocha d'elle et posa un genou à terre.

« Personne n'est mort à cause de toi, argumenta-t-il, les Chevaliers Oniriques sont seuls responsables de leurs crimes. Et Rhétar connaissait les risques, comme nous tous. »

Il lui tendit sa Pierre. Sur la surface blanche, du sang séché coagulait à la poussière.

« Seyer ne peut pas venir dans l'immédiat, prévint Galaniel, mais Césape ne devrait pas tarder. Il va te prêter main-forte pendant que j'irai capturer Stakis. »

Le jeune homme ramassait désormais sa propre épée, puis revenait vers Dalen pour fouiller le corps ensanglanté. Yeux grands ouverts vers le plafond, la Shawnienne conservait un mélange de rage et d'incrédulité, figé dans sa dernière éternité.

« Non. »

Les doigts d'Alyne se refermèrent sur sa Pierre. Une chaleur douce pulsait, porteuse de force et d'espoir.

« Prends Césape avec toi, ordonna-t-elle, et allez-y tous les deux.

— Tu es sûre ? s'étonna Galaniel. Je peux m'occuper seul de lui, encore plus s'il est blessé.

— Je peux me soigner toute seule, argumenta-t-elle, alors que Césape serait bien incapable de m'aider. Pareil pour toi. Allez-y tous les deux, occupez-vous du dernier Chevalier, je vous rejoindrai à la seconde muraille. »

Un voile d'hésitation dans les yeux, Galaniel hocha finalement la tête.

« Comme tu veux. »

Le jeune homme défit des lanières de cuir pour attraper un appareil cylindrique d'une vingtaine de centimètres. Il le fit tourner entre ses doigts, détailla le gris métallique, actionna un interrupteur, recommença.

« Je crois que j'ai trouvé l'inhibiteur, constata-t-il, mais il n'a plus l'air de fonctionner. Peut-être plus de piles, on verra ça plus tard. »

Alyne hocha la tête, une douce lueur le long des phalanges. La magie répondait de nouveau à sa volonté. Galaniel dissimula l'appareil dans une poche, puis se tourna une dernière fois vers sa coéquipière.

« Ne te fais pas tuer.

— Toi non plus. »

Puis le Shawnien traversa la vitre brisée pour disparaître dans la rue. Alyne retira son manteau désormais constellé d'écarlate, posa la main droite contre son épaule, ferma les yeux.

Inspiration. Expiration.

Elle étendit son sortilège sur plusieurs minutes, déploya le souffle de la Déesse entre ses muscles et tendons. Les chairs déchirées se refermèrent, emportèrent le corps étranger en arrière. La douleur reflua un peu, le sang cessa de couler.

Le tintement de la balle rebondit au sol. Alyne s'octroya un soupir.

Elle survivrait.

Son bras gauche bougeait presque normalement, mais mieux valait ne pas forcer. Elle se releva, manqua de défaillir, se reprit.

Rien d'insurmontable.

Une immense fatigue engourdissait ses membres, un mal de crâne poignait et sa vision prenait l'incertitude d'un tableau délavé. Elle ferma les poings. Dans le ciel s'illuminaient les tirs du vaisseau mère et, plus au nord, résonnaient les cris métalliques. Les relents de cendre et de fumée accompagnaient la mort de milliers.

Elle ne les abandonnerait pas.


« Stakis ! C'est moi, Gathor ! Je suis venu te chercher ! »

Le jeune homme redressa la tête. Sur son bras droit, l'armure défaite laissait place à d'épais bandages rudimentaires. La blessure l'élançait jusqu'à la migraine.

« Stakis ! »

Il connaissait bien trop cette voix pour ne pas la reconnaître. Galaniel ou, plutôt, Gathor, comme il l'avait deviné. Enfin ! Le Zyssien manqua de tomber, quitta la salle d'armes pour arriver dans le sable de l'arène. Il attendait ce moment depuis si longtemps.

« Je... je le savais, bégaya-t-il, je savais que tu... que vous... que... »

Des larmes embuaient sa vision. Galaniel, Gathor, l'attendait, bras croisés, dans une armure de sang et de poussière. Masqué derrière un casque tordu, son regard s'arrêta sur le corps étendu.

« Dalen est avec vous ? demanda Stakis.

— Dalen est morte.

— Quoi ? »

Galaniel redressa le regard. Derrière les fentes du métal brillait une fureur sanglante, une effroyable colère, qui tétanisa Stakis.

« Non... tu... tu n'es pas Gathor.

— Au début, je ne voulais même pas croire à ta trahison, Stakis. Mais toutes les preuves t'accablaient ; les Voyageurs avaient raison.

— Je... ce n'est pas... les Voyageurs ne sont pas... »

Un poing le jeta dans le sol sablonneux. Les mains de Stakis s'agitèrent dans le sang du corps étendu. Ce regard... ce regard le brûlait comme de la roche en fusion.

« Ne viens pas en plus insulter les Voyageurs ! Vous avez tué mon père, vous avez tué des milliers de Shawniens, vous m'avez poursuivi jusqu'ici et tu espères encore te défendre à côté du cadavre de Rhétar ?

— Je... je ne voulais pas le tuer, pleurnicha Stakis. Dalen, elle... »

Un pas massif résonna dans son dos. Peu importait, Stakis n'avait même plus la force de fuir.

« Dalen allait encore tuer Alyne lorsque je suis arrivé ! insista Galaniel. Tout ça pour quoi ? Pourquoi ? »

Il l'attrapa à la gorge. Stakis, bras ballants, ne se défendit même pas.

« Mon père, mon père connaissait Gathor, renifla le Zyssien. C'était quelqu'un de bien. Il l'a accepté à ses côtés malgré tous ses défauts, l'a sauvé de ses propres démons.

— Ton père ? Qui ça ?

— Rneigl. Rneigl Réor. Je suis officiellement né de père inconnu, mais j'avais fini par le retrouver. Par écouter son histoire. »

Le dernier Chevalier Onirique de Zyx. Galaniel le relâcha, Stakis tomba à genoux, se recroquevilla contre le sol.

« Nous voulions juste... un Monde meilleur, un Monde sans Guerre. Je ne voulais pas que des Shawniens meurent, mais l'alliance avec Sméarn Pteï était le seul moyen d'empêcher l'invasion des Itinérants, de sortir la Fédération du giron de la Lumière, de redevenir un monde neutre. Maintenant, Zyx va devenir un champ de bataille.

— Maintenant, nous savons pour l'invasion, décréta Galaniel. Nous nous battrons, et nous les écraserons.

— Et d'autres finiront par venir. En représailles, vous détruirez leurs mondes ; vous deviendrez les génocidaires. Cette Guerre ne mène nulle part.

— Non ! Votre guerre ne mène nulle part. Vous êtes juste occupés à tout tuer, tout détruire, vous ne protégez, vous ne sauvez personne !

— Ishtar... »

Stakis ravala un sanglot.

« Sa fille... Elle n'avait rien fait de mal... Elle ne méritait pas... Mon père... mon père l'a libérée.

— J'en ai assez entendu. Césape, on y va, mieux vaut ne pas tarder. »

Des mains épaisses attrapèrent les bras de Stakis pour les attacher en silence. Galaniel redressa la tête. Un trait rouge s'éleva dans le ciel pour baver une étoile sanglante.

« C'est pas bon, ça », grogna le dénommé Césape.

Un instant figé par la nouvelle, Galaniel décrypta le message :

« Les magistrats... L'Œil de l'Aigle est attaqué »


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