XXXII-4 : Ne me trahis pas

Sans s'arrêter, Alyne enjamba une clôture de bois. Les deux Chevaliers Oniriques multipliaient les détours, les ruelles tortueuses, sans pour autant parvenir à la semer.

Au détour d'une arche de pierre, la dénommée Dalen se retourna et tira. Alyne se plaqua contre un mur, riposta sans atteindre sa cible. Déjà, ses deux ennemis reprenaient la fuite ; concentrée sur leurs mouvements, elle continua sa traque. Ses doigts, sans même réfléchir, rechargeaient déjà l'arbalète.

Jusqu'à ce que les deux Chevaliers se séparent, arrivés au pied de la Grande Arène.

Alyne n'hésita qu'un instant. La femme, forte de l'inhibiteur, représentait la principale menace. Elles s'engagèrent à travers l'entrée de pierre, dépassèrent les statues de combattants immémoriaux, montèrent des rangées d'escaliers, jusqu'à rejoindre les gradins.

« Pour nous avoir suivis avec une telle persévérance, je suppose que vous êtes une Voyageuse. »

Dalen se dissimulait derrière des sièges de pierre, quelques mètres en hauteur. Alyne pointa son arbalète, sans pour autant dédaigner sa propre défense.

« Jetez vos armes, ordonna-t-elle.

— Vous avez un accent, qui n'est pas de cette planète, ni de Zyx, ni même d'Oriale. Cela fait longtemps que je n'ai pas tué quelqu'un, hors de ce Système. »

Elle ricana.

« J'ai envoyé Stakis chercher Gathor. Peut-être pourrez-vous le supplier de vous épargner, d'ici là, mais, si vous me forcez à vous tuer, je n'hésiterai pas. »

Un bouillonnement diffus agita ses veines.

« Galaniel n'est pas celui que vous croyez, affirma-t-elle.

— Je ne comprenais pas, au début, la raison, de sa présence ici. Mais, si des Voyageurs sont ici, s'il a réussi à les convaincre de venir se faire tuer sur cette planète qui ne les concerne même pas, alors je ne peux qu'applaudir. Ce sera une splendide manière d'annoncer son retour, une sanglante, splendide manière.

— Galaniel n'a convaincu personne ; nous sommes venus de notre plein gré.

— En ce cas, vous êtes de parfaits imbéciles.

— Assez ! »

Le carreau ricocha contre une pierre, Alyne rechargea aussitôt. Pouvait-elle seulement exclure cette possibilité ? Cette pensée lancinante empoisonnait son esprit depuis les événements de la Table. Une part d'elle voulait croire la version de Galaniel, mais, si le jeune homme apparaissait sincère, le mensonge et la fourberie restaient intrinsèques à l'humanité.

Peut-être serait-elle définitivement fixée aujourd'hui.

« Hého ? »

Elle redressa la tête. L'interrogation hésitante émanait du contrebas, depuis la piste sablonneuse. Alyne risqua un regard.

Stakis.

Le Chevalier casqué maintenait un fusil contre la tête d'un homme bedonnant.

« J'ai... euh... un otage. »

Alyne reconnut la moustache grisonnante de Rhétar. L'homme, désormais sans casque, contemplait la situation avec un certain dédain.

« Peuh ! Je ne suis pas otage si je ne me reconnais pas en tant que tel. Ne vous occupez pas de moi, faites ce que vous avez à faire.

— Qu'est-ce que vous fichez ici ? s'emporta Alyne, je vous avais dit de rester à l'entrée sud !

— Je suis venu prêter main-forte. Bon, je ne cours plus très vite, rapport à ma jambe de bois, mais je me suis repéré au bruit. Et puis je ne me bats plus aussi bien que durant mes vertes années, j'admets, mais, euh, j'occupe déjà celui-là. »

Sans quitter Dalen du regard, Alyne descendit jusqu'à la rambarde de pierre afin de garantir une protection contre un éventuel tir de Stakis. Deux mètres la séparaient désormais du sol.

« Rendez-vous, ordonna Dalen, peut-être interjetterai-je en votre faveur auprès de Gathor.

— Jamais ! Déjà, je ne connais qu'à peine cette personne. »

Elle ne pouvait pas abandonner les armes pour une seule vie, que les Chevaliers n'épargneraient jamais, de toute façon. Un rire mauvais lui répondit.

« Typique des anges autoproclamés. Vous vous drapez d'illustres oripeaux, le Bien, la Morale, l'Éthique, mais votre véritable visage porte la même fange que vous prétendez combattre.

— Eh, je suis quand même le principal concerné et je suis très satisfait qu'elle suive ma décision, objecta Rhétar. Quitte à mourir, autant que ce soit avec panache, encore que j'aurais préféré un meilleur combat. Meh.

— Tue-le, ordonna Dalen.

— Ne faites pas ça ! » réagit Alyne.

La déflagration parcourut l'arène. Horrifiée, l'elfine se précipita vers la rambarde.

Le regard surpris de Rhétar rencontra le sien. Au dernier instant, Stakis avait dévié le canon de son arme. Le Chevalier assomma finalement son otage d'un coup de crosse dans la nuque.

Dans son dos, l'atmosphère se déchira. Elle n'avait baissé sa garde que l'espace d'une seconde fatidique. Magie brouillée, les balles fusèrent dans sa direction. Elle voulut se décaler, une pierre éclata, une morsure à la joue arracha son capuchon blanc, le dernier projectile frappa son épaule.

Elle eut l'impression d'un pieu métallique percutait son omoplate. L'elfine perdit l'équilibre sous le choc et s'écrasa tête la première dans le sable de l'arène.

« Achève-la ! » ordonna Dalen.

Elle entrevit le canon noir de la mort, redressa son arbalète dans un ultime réflexe de survie. Le carreau traversa la piste pour se planter dans le bras droit de Stakis. Le Chevalier lâcha son fusil, et, la seconde suivante, se recroquevilla dans un cri de douleur.

Elle ne devait pas rester ici ; déjà, les pas de Dalen descendaient les gradins. Elle ignora le sang, la douleur pulsante dans tout son torse, qui l'amenait jusqu'aux frontières de l'inconscience, rechargea son arbalète et avança.

« Restez où vous êtes, Dalen, ou je lui perfore le crâne ! menaça-t-elle.

— Allez-y, et je vous tue dans l'instant. »

Elle accéléra jusqu'au Chevalier blessé, écarta d'un coup de pied le fusil à terre, puis se plaça derrière lui, l'arbalète à hauteur du casque.

« Je savais que vous veniez d'ailleurs », commenta Dalen.

La femme s'approcha de la rambarde, le fusil toujours à la main.

« Je n'imaginais pas une elfine. Vous, vous êtes certainement mes préférées. J'adore votre arrogance, cette lueur farouche dans vos yeux. De toutes les créatures de la Galaxie, vous êtes les plus divertissantes lorsque je plonge le désespoir dans vos yeux, vous êtes celles que je préfère briser, celles que je préfère tuer. »

Un sourire effrayant éclairait son visage. Derrière cette peau humaine se dissimulait la cruauté d'un démon. Qu'attendre d'autre d'une servante du Mal ?

Un voile sombre obscurcit sa vision. Un liquide chaud déferlait dans son dos, sa joue gouttait d'écarlate. Elle recula de quelques pas, sans pour autant baisser son arme. Le temps jouait contre elle. Et la fuite, jusqu'ici inenvisageable, lui apparaissait désormais comme une option préférable. Ou une retraite stratégique. N'étaient pas les termes mêmes de Galaniel ?

Dalen sauta de la rambarde pour atterrir dans le sable.

« Restez où vous êtes ! paniqua Alyne. Ne bougez pas ! »

La femme redressa le regard, ignora ses ordres. Seul Stakis restait prostré, une main contre son bras blessé.

« Avec la perte d'ascendant vient la peur. Le chasseur devient le chassé et découvre la terreur d'une proie. »

Son bras se redressa avec, à son terme, le canon noir du fusil.

« Arrêtez ! Arrêtez, ou je tire ! Je tue votre compagnon ! » s'égosilla l'elfine.

Son bras droit tremblait. Le gauche pendait en parfait poids mort, des ruisseaux rouges descendaient jusque le long de ses doigts.

« Encore un bel exemple d'intégrité angélique, persifla Dalen. Prendre un blessé en otage pour défendre sa petite vie. Alors, qu'attendez-vous pour l'achever ?

— Je...

— Votre parole ne vaut rien, de toute façon, vous le tuerez dès que vous le pourrez, alors autant que sa mort serve à quelque chose. »

L'œil du canon atteignit sa tête ; Alyne resta pétrifiée.

Elle allait mourir.

« Allez-y, fuyez ! »

Rhétar bondit du sol pour se jeter sur Dalen. Sans attendre, Alyne abandonna son arbalète et courut dans la direction opposée, vers une sortie, n'importe laquelle.

Trois coups de feu retentirent.

Elle n'eut pas la force de regarder en arrière. Elle s'engouffra dans une ouverture, dévala en panique une poignée d'escaliers.

Un quatrième tir.

Le son prémédité d'une exécution. Des larmes embuèrent sa vision déjà vacillante. Sa main se referma sur sa Pierre. Un instant, sa magie afflua, bien qu'affaiblie, peut-être grâce à la distance avec l'inhibiteur.

« Les deux Chevaliers Oniriques sont ici, annonça-t-elle, Stakis Lomen et Dalen Vonshan, je viens de les affronter dans la Grande Arène. Je... »

Elle ravala sa salive, manqua de perdre l'équilibre contre une rangée de tonneaux.

« Si quelqu'un m'entend, j'ai... j'ai besoin de renforts. »

J'ai besoin d'aide.

Une voix lui répondit aussitôt, tout aussi rassurante que terrifiante. Galaniel.

« J'arrive. »


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