XXXI-1 : Retrouvailles de l'enfant perdu
Eryzée rejoignit les anges et, des décennies durant, parcourut les étoiles, guida les peuples et répandit la parole de la Déesse.
Un jour, ses pas la ramenèrent aux neiges de Shawn. Aux huttes et maisons primitives succédait l'enceinte d'une muraille de pierre, première limite de la cité naissante d'Hyktacrite. Les tailleurs de pierre sculptaient arches et frontons neufs, tout autour du Cristal. Désormais, les bâtiments rejoignaient la falaise proche, et, le long de la roche, s'élançaient les échafaudages de bois d'un futur observatoire.
Le monde, en son absence, avait changé ; elle-même avait changé et, pourtant, une douce nostalgie remua son cœur. Toutes les demeures, toutes les villes, toutes les planètes qu'elle avait visitées n'avaient jamais marqué que des étapes ; ici résidait le point de retour de tout voyage, son véritable foyer.
Bien vite, ses connaissances d'antan la retrouvèrent et accueillirent son arrivée avec des cris d'allégresse. Ces hommes et ces femmes peuplaient déjà ses souvenirs, et sa mémoire retrouva le nom de chaque visage, malgré la patine des années. Mais leur ferveur la surprit, car ce peuple farouche, bien décidé à vivre sans guide spirituel, tendait les bras à un ange.
« Vous avez pourtant refusé allégeance à la Déesse, s'étonna-t-elle. Alors pourquoi tant de joie pour mon retour ?
— Parce que tu es l'une des nôtres, Eryzée, cette maison est aussi bien la nôtre que la tienne et tu y seras toujours la bienvenue. Peu nous importent de lointains préceptes sacrés, seuls comptent nos cœurs, comme tu nous l'as rappelé. »
Alors Eryzée bascula la tête et éclata d'un rire clair, soulagé. Si les pécheurs de Zyx avaient invoqué les Textes pour justifier leurs crimes, il était aussi des hommes qui prétendaient ignorer le divin, mais appliquaient son véritable enseignement.
Légendes de Shawn, Le retour d'Eryzée
Ignis se réveilla en sursaut, cracha la neige de sa bouche. Sa main gauche se crispait encore sur son ventre rougi. La blessure, bien que guérie en surface, ajoutait des élancements à l'irradiation glacée de son corps.
Elle ferma les yeux. Aucune présence proche, à commencer par Dalen et Stakis. Un chalet, à quelques minutes de marche. Un ricanement nerveux secoua ses membres. Elle avait réussi ; elle était revenue sur Shawn. Elle était vivante. Et les deux Chevaliers Oniriques, qui croyaient avoir reconnu Gathor en Galaniel, tomberaient bientôt dans le piège des Voyageurs.
Le cauchemar d'Oriale prenait fin. Les armures noires, le Commandant ne la hanteraient plus que dans les sombres tréfonds de ses pensées. Elle rentrait chez elle.
Enfin.
La jeune magicienne se redressa. Au blizzard succédait un ciel clair, à peine constellé de nuages blancs. Ses jambes tremblèrent, mais une détermination renouvelée la porta sur un interminable kilomètre. La cabane de bois apparut en refuge salvateur, une pancarte vissée au toit. Un relais.
La porte grinça sur ses gonds. Entre les tables et chaises renversées s'agitait un homme ficelé.
« Vous, là ! Détachez-moi ! Je viens d'être agressé par une bande de vauriens ! Ils sont partis avec des vivres et mes chiens de traîneau ! Sans payer ! »
Elle s'approcha ; ses yeux s'égarèrent sur les entailles des planches.
« Laissez-moi deviner ; une femme au chignon blond et un jeune homme aux cheveux bruns hirsutes.
— Je... vous... vous les connaissez ? Vous êtes avec eux ? Vous... »
Ses yeux torves s'agrandirent à la vue du sang maculé.
« Vous êtes blessée ?
— J'ai connu pire. »
Elle effleura une corde qui se désagrégea dans un souffle ardent. L'homme se dégagea, recula.
« Vous... vous n'êtes pas humaine ; vous êtes des autres.
— Les magiciens vous dérangent ? »
L'homme cracha au sol.
« J'aime pas les magiciens, vous vous croyez tout permis. D'ailleurs, j'aime pas les gens, non plus, et encore moins les mauvais payeurs. Qu'est-ce que vous fichez ? »
Sans s'attarder sur ses atermoiements, Ignis passait derrière le comptoir pour attraper un épais jambon.
« J'ai faim », ponctua la magicienne, un couteau à la main.
La moustache frémissante, l'homme dressa un doigt accusateur.
« Lâchez ce jambon tout de suite ! Il m'appartient !
— Il paraît que je me crois tout permis. En plus, je viens de vous venir en aide, vous pourriez...
— Peuh ! J'étais sur le point de me libérer tout seul ! J'avais la situation parfaitement sous contrôle ! »
Pour autant, l'homme préféra rester à distance de sécurité ; ni ses mimiques désapprobatrices ni sa pilosité faciale outrée n'empêchèrent la collation improvisée.
« Je reviendrai vous payer plus tard, adoucit Ignis. Mais, actuellement, je n'ai pas d'argent sur moi.
— Peuh ! Comme si j'allais vous croire ; vous ne valez pas mieux que les deux autres ! »
Ignis s'arrêta dans sa bouchée. Une ombre descendit de son regard, une fureur naissante crépita sur ses avant-bras. L'homme recula d'un pas.
« Vous êtes un imbécile, commenta la magicienne, vous n'avez pas la moindre idée de qui vous parlez. Estimez-vous heureux d'être seulement encore en vie.
— C'est une menace ? »
Son interlocuteur bomba le torse, comme en signe de défi. Affichait-il la même fierté, lorsque l'épée de Dalen se posait sur sa gorge ? Plastronner sans affronter le danger confinait au ridicule. Bien souvent, au contraire, la restriction du verbe s'associait à une létale efficacité.
« C'est à vos anciens visiteurs que vous devriez poser ce genre de question, éluda la magicienne.
— Et puis vous comptez faire disparaître tous les vivres qu'il me reste ? Ça fait partie de vos tours ? »
La magicienne enchaînait sur un pain aux graines, puis une collection de bocaux divers.
« Techniquement, c'est lié, commenta-t-elle. La magie...
— M'en fiche ; sauf si votre magie permettait de retrouver et d'arrêter les zigotos de tout à l'heure. »
Il croisa les bras comme pour marquer un signe supplémentaire de réprobation. Ignis se versa une cruche de lait crémeux.
« Je connais une personne qui va déjà s'occuper de vos... zigotos. »
Elle laisserait à Galaniel le soin de régler leur compte. Après son long périple, elle ne souhaitait plus, pour l'instant, que rentrer chez elle dormir une semaine. Et manger.
« Il sait qu'ils vont à Hyktacrite, au moins, votre bonhomme ? »
Ignis redressa un sourcil interrogateur.
« Qu'est-ce qu'ils iraient faire à Hyktacrite ?
— Peuh ! Qu'est-ce que j'en sais ? La femme a pété un câble lorsqu'elle a appris pour l'attaque et puis le retour de ce... comment qu'il s'appelle déjà ? Galadriel Espon ? Le type qui était censé être mort sur Oriale, soi-disant qu'il aurait tué le Général Chef, aussi. Une histoire à dormir debout. »
Les mains d'Ignis se crispèrent sur une tartine de pâté végétal.
« L'attaque ? Quelle attaque ?
— Ne me dites pas que vous non plus vous n'êtes pas au courant ; ça fait un moment que les séphones sont devenues rouges ; tout le monde ne parle plus que ça.
— Qu'est-ce qui se passe ? »
Elle se leva, presque dans un cri. Son cœur s'accéléra. Elle avait laissé Oriale, abandonné derrière elle la guerre et ses cadavres. Elle était chez elle. Chez elle ! En sécurité !
« Ya un type qui a pris la succession du Général Chef, Zogar Ptaï, ou un truc comme ça. Et il s'est dit un beau matin qu'il allait venir nous faire la fête. Rapport à son père et Galadriel, un truc du genre. »
Les mains d'Ignis se refermèrent sur la table, au point que grinçât le bois.
« Zagnar. Zagnar vient ici ? Et son Commandant aussi ?
— Ouais, paraît qu'ils ont déjà pris leur envol dans un vaisseau et tout. Ya plein de gens qui sont partis au sud, pour défendre notre planète qu'ils disent. Ils vont juste se faire tuer. Encore un truc d'honneur ou je sais pas quoi. »
Les paroles se déformèrent dans un bourdonnement sourd. Ignis sentit ses jambes défaillir, une panique refoulée pulsait sous sa peau. Les armées noires, Zagnar, le Commandant ; elle croyait avoir échappé à l'Enfer, mais les démons arrivaient en sa maison.
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