XXX-1 : Les voies de la Lumière

Les colons s'installèrent sur leur nouvelle planète, défrichèrent les forêts, dressèrent leurs premières maisons, d'abord de bois, puis de pierre. Le Cristal veillait sur leurs nouvelles existences, mais, bien vite, les hommes oublièrent les bienfaits de la Déesse ; seuls restèrent les brûlants souvenirs de Zyx, les cauchemars d'une lointaine légende.

« Nous ne suivrons plus ni dieu ni nation, déclarèrent-ils. Les religions, les sociétés ont mené la chute de notre planète mère ; nous ne recommencerons pas les mêmes erreurs. Ce Nouveau Monde est nôtre, et nous y prospérerons, nous arracherons chacun notre pitance à la terre, sans jamais rien devoir à personne. »

Les années passèrent, ponctuées par la rudesse de chaque hiver, et la radiance du Cristal s'estompa. Les abysses s'agitèrent, leurs murmures toxiques remontèrent à la surface. Et chaque homme, préoccupé par sa seule existence, ignora les autres. Lorsque les loups descendirent collecter leur dû, seuls se battirent les concernés et, lorsque la neige enterra les corps, les survivants détournèrent le regard. Et les abysses, grandissants, instillèrent la peur de l'autre, la négation de toute loi, de tout principe.

À l'apocalypse infernale de Zyx succédait une mort lente, froide et silencieuse. Seule une femme, consciente de cette insidieuse fin, s'agenouilla dans la neige et, malgré le froid, joignit ses mains dans une prière.

« Ô Déesse Cristal, Vous qui nous avez déjà sauvés une fois, n'abandonnez pas vos enfants à leur sort. Notre seul crime est de refuser nos erreurs du passé, mais cette peur nous mène à notre perte. »

Elle continua ses suppliques même lorsque se leva le blizzard. Durant trois jours et trois nuits, elle s'obstina, sans discontinuer. Mais à l'aube du quatrième jour, les nuages s'écartèrent et découpèrent dans le ciel une silhouette bleue.

« Ô Eryzée, j'ai entendu ton appel, mais il n'appartient qu'à ceux qui veulent être sauvés de pouvoir être sauvés. Que reste-t-il à ce peuple qui, pour faire table rase du passé, a abandonné le Bien comme le Mal, a renié jusqu'à son humanité ? »

Eryzée pencha la tête, ses cheveux dénoués se mêlèrent à la poudreuse.

« Qui d'autre que Vous pourrait leur ouvrir les yeux ? Je Vous offre ma vie, mon existence, faites ce que vous voulez de moi, mais sauvez-les.

Chemine donc vers le nord, sans te retourner, répondit la Déesse ; à une semaine de marche, tu trouveras d'autres de mes enfants. »

Alors, Eryzée se redressa, saisit un bâton et marcha. Elle parcourut les terres gelées, traversa les épaisses forêts, escalada les falaises. Elle avança plus loin qu'aucun homme et les mille prédateurs, comme émus par son audace, suivirent son périple à distance, sans jamais l'attaquer. Enfin, au détour d'un renforcement rocheux, elle croisa une poignée de femmes, toutes de blanc vêtues.

« Je suis venue sous les instructions de la Déesse ; êtes-vous des anges ? » demanda-t-elle, alors que leurs grands yeux en amande, leur peau semblable à la neige, les élevait en dehors de l'humanité.

Une femme lui répondit. Des traînées de cendre maculaient son visage, ses membres amaigris flottaient dans les lambeaux de sa tunique.

« Nous étions des enfants de la Déesse, mais notre planète n'est plus. Un archange noir a vu le jour ; son Dragon a dévoré mes semblables. Seule l'une des nôtres, un ange, nous a permis de nous échapper.

Et cet ange, où se trouve-t-il ? »

La femme désigna un monticule de pierres.

« Son corps repose ici ; nous ne tarderons pas à la rejoindre. La Déesse nous a abandonnés.

Mais je suis ici, contredit Eryzée. Je n'ai que peu à offrir, mais suivez-moi et je partagerai mes vivres et mon toit. »

Les femmes la suivirent et Eryzée les mena au village. Elle ouvrit sa hutte de bois, puis rompit son pain en parts égales. Et les colons, d'abord attisés par la curiosité, écoutèrent leur histoire puis, eux qui avaient aussi perdu leur monde, souffraient de la même absence, partagèrent à leur tour leur peine. Et les hommes se rappelèrent leur humanité. À leur tour, ils apportèrent des vivres et accueillirent les exilées.

L'une des rescapées, enfin, remarqua le Cristal et posa sa main sur la surface assombrie.

« Peut-être notre rencontre, finalement, était-elle destinée, concéda-t-elle. Je connais ce Mal qui sourde, mais le souffle de la Déesse, que nous portons en nous, peut vous en prémunir. »

Dans une douce lumière, le Cristal recouvra sa radiance, et les peurs, les craintes s'envolèrent. Ici marquait un nouveau départ, pour les humains comme pour elles.

Alors, Eryzée remercia une dernière fois la grâce de la Déesse. Et des cieux descendit une froide brise pour murmurer à son oreille.

« Ô Eryzée, je n'ai sauvé personne, tu les as sauvés. Car ce monde est vôtre, il sera ce que vous en ferez.

Ô Déesse, sans votre guidance, je n'aurais rien su faire, je vous dois tout, nous vous devons tout.

Oui, tu as suivi Ma voie, mais ce choix était tien, et tien seul. Depuis les confins, une Ombre s'étend sur le Monde, mais, toi, tu as décidé de porter Ma Lumière.

Pour que mes frères, mes sœurs ne connaissent plus jamais la guerre, que cette planète soit leur dernier refuge, je ferai tout ce qu'il faudra.

Alors deviens l'un de mes anges, Eryzée. »

Légendes de Shawn, Le périple d'Eryzée


Hyktacrite, Grande Arène, trois jours plus tard

Le copeau de bois percuta Galaniel en pleine tête ; le Shawnien rencontra la poussière du sol presque un mètre plus loin.

Le soupir dépité de Seyer lui fit l'effet d'une seconde salve.

« Encore une fois, tu ne l'as pas vu, constata le Grand Maître.

— J'ai un bandeau sur les yeux », se défendit Galaniel.

Près de lui, un nouveau choc, suivi d'un grognement rauque l'informa que Césape rencontrait les mêmes difficultés. Seule Alyne restait dissimulée dans son propre silence, probablement assise en tailleur quelque part dans l'arène.

« Vous n'avez pas besoin de votre vue, rappela le Grand Maître. De même que vous pouvez désormais manipuler l'éther avec vos Pierres, vous pouvez désormais percevoir la moindre de ses fluctuations.

— Oui, euh, c'est qu'ils vont super vite, tes trucs, se plaignit Césape. Je ne vais pas me plaindre que ça fait mal quand on se les prend, mais bon, quand même, quoi. Et puis, sans bandeau, je suis sûr que je pourrais les éviter. »

Les pas du fythélien foulèrent le sol sablonneux.

« Les Kalendoriens disposent d'armes à feu, rappela-t-il, leurs balles métalliques sont expulsées à deux fois la vitesse du son. Lorsque tu entends le tir, il est déjà trop tard.

— Deux fois... ça a une vitesse, le son ? s'étonna Césape.

— Trois cents mètres par seconde. Pour un tireur à dix mètres, tu es mort un soixantième de seconde plus tard. »

Dans un souffle, le fythélien se rapprocha du gigan.

« Pour l'instant, on commence simple, justement. J'attends de vous que vous mainteniez un champ répulsif faible permanent, tout autour de vous, afin d'arrêter mes projectiles. Restez concentrés, en permanence, quelles que puissent être les distractions. Et nous continuerons tous les jours, plusieurs heures d'affilée, jusqu'à ce que cela vous devienne aussi instinctif que de respirer. Ensuite, j'augmenterai la vitesse, jusqu'aux balles réelles. Si vous voulez survivre à la bataille qui s'annonce, vous devez au moins réussir cette étape.

— Très b... Ouch ! »

Sans s'attarder sur les déboires de Césape, le Shawnien reprit sa position en tailleur, mains sur les genoux, souffla. Un brouillard gris informe l'entourait, constellé de dangers incertains, capables de surgir au moindre instant.

« C'est de la triche, se plaignit le gigan, je n'étais pas prêt.

— Sur le champ de bataille, tes ennemis n'attendront pas que tu sois prêt, opposa Seyer. Au contraire, ils chercheront vos faiblesses ; aussi dois-tu n'en montrer aucune. »

Il devait se concentrer sur lui-même, imaginer une armure d'air invisible, tout autour de lui, capable de le protéger. Le silence d'un projectile transperça le brouillard pour s'interrompre prêt de son torse, comme immobilisé par des milliers de mains invisibles. Galaniel esquissa un sourire de victoire.

Avant qu'un choc en pleine nuque ne l'envoie de nouveau mordre la poussière.

« Ne relâche pas ta garde », reprocha Seyer.

Galaniel n'eut pas même le temps de se relever qu'un nouveau copeau chercha ses jambes, avant de glisser, de justesse, sur sa protection imaginaire et de se planter dans le sol.

« Il y a quand même un peu de mieux, concéda l'archange, mais c'est encore loin d'être potable. On continue. »


Lune d'Oriale, forêt neelhanaise, trois jours plus tard

Dix jours.

Dalen grogna. L'échéance était déjà arrivée à terme, mais Ignis les menait encore à travers un improbable périple. Ils avaient côtoyé les arbres, traversé des ravins, gravi des falaises, égarés par les suppositions de la magicienne au point de se perdre définitivement.

Arrimées au froid métal de son arme, ses phalanges la démangèrent. Une perte de temps et d'énergie. Ils auraient mieux fait d'attendre le retour de Gathor, un contact du Maître à travers leurs rêves. Mais ces derniers jours, aucun message ne troublait son sommeil, seulement ce silence persistant.

« On en est où ? »

Devant elle, la magicienne, absorbée dans la contemplation de feuillages verdoyants, ne l'entendit pas. Ou fit mine de ne pas l'entendre. Dalen agrippa son épaule.

« J'ai été patiente au-delà du raisonnable, décréta-t-elle. Ça fait une éternité qu'on erre dans ces bois ; maintenant, je veux des résultats. »

La magicienne laissa s'écouler une poignée d'insupportables secondes.

« Je crois que c'est ici. Si j'ai bon, ça devrait être ici.

— Tu crois ? Je ne suis pas venue jusqu'ici pour d'hasardeuses suppositions. »

La jeune femme se retourna. Les yeux verts obscurcis, un tic nerveux agitait les taches de rousseur de son nez. Dans le livre ouvert de son visage s'écrivait, en grandes lettres, toute la détestation, tout le mépris qu'elle portait à l'encontre des Chevaliers Oniriques.

« Oui, je crois, répéta-t-elle. Excuse-moi de ne pas t'abreuver de fausses certitudes ; contrairement à d'autres, je n'ai pas l'habitude de la traîtrise ou du mensonge. »

Dalen resta figée un instant, avant qu'un froid bouillonnement ne se propage jusqu'à ses membres. Non contente de son inutilité, cette gamine se fichait d'elle, en plus ! Sa main gauche se referma sur l'inhibiteur, la droite glissa vers l'impertinente gorge blanche. Elle allait la tuer.

« Si c'est ici, intervint Stakis, on ne devrait pas déjà voir quelque chose ? Il faut attendre, c'est ça ? »

Dans un grognement, Dalen ramena à elle ses doigts meurtriers. S'ils étaient vraiment arrivés, quelques minutes, quelques heures, ne changeaient sans doute plus grand-chose, maintenant.

« Les Failles ne se voient pas, généralement, expliqua-t-elle, et ne durent jamais plus d'une poignée de secondes. Maintenant, si madame la magicienne daignait nous informer davantage sur ce qu'elle croit... »

La magicienne en question, les yeux dans le vide, ne daigna rien informer dans l'immédiat.

« Dernière chance, insista Dalen. Le délai est déjà écoulé depuis un moment, maintenant j'abats. »

La menace du fusil scintilla entre ses doigts. Ignis tendit une main en direction d'un bosquet.

« C'est par là, probablement d'ici un jour ou deux. »

Deux jours ? Encore deux jours à attendre, peut-être pour rien, au milieu de nulle part. Un instant, Dalen hésita à tirer, abattre cette insupportable gamine, achever le garde bleu, encore affaiblie par ses blessures, avant que l'une ou l'autre ne finisse par trouver l'opportunité de la poignarder dans le dos. Ou que ces interminables pérégrinations ne finissent pas les mener à rencontrer une patrouille ennemie. Elle soupira et, finalement, baissa son arme.

« Je te laisse cette dernière chance ; j'espère pour toi, pour vous deux, que tu as raison. »


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