XXVIII-2 : Les faiseurs de miracles
Forêt neelhanaise, deux jours plus tard
Dalen grogna. Des jours qu'ils erraient au hasard, d'abord dans ces souterrains, désormais cette forêt. Et, maintenant, Ignis... méditait ?
La jeune magicienne, paupières closes, assise en tailleur, restait immobile, depuis plusieurs heures, entre deux arbres bourgeonnants. Les doigts du Chevalier Onirique se crispèrent, les uns sur l'inhibiteur, prêt à l'activation, les autres sur la gâchette du pistolet chargé.
« Elle se fiche de nous, elle veut juste nous faire perdre notre temps », maugréa Dalen.
Ignis faisait-elle donc aussi peu de cas de sa propre existence ? Oubliait-elle l'otage qu'ils détenaient ? Le Chevalier risqua un regard rapide en arrière. Encordée contre une souche, le bras droit dissimulé par des bandages rudimentaires, Néphyle penchait la tête, ses cheveux blonds retombaient en désordre sur son armure maculée. La respiration calme, régulière, ses traits émaciés s'adoucissaient sous les caresses de Morphée.
Dalen se leva. Cette attente devenait insupportable. L'interminable manège d'Ignis se répétait déjà depuis plusieurs jours, sans le moindre résultat. La prenait-elle seulement au sérieux ?
Comme s'il pressentait le bouillonnement de sa rage intérieure, Stakis crut opportun d'immiscer son opinion.
« Je... euh, ce n'est probablement pas facile, de changer d'astre, non ? J'ai cru comprendre que les magiciens, sur Shawn... »
Dalen lui fit signe de se taire pour se porter jusqu'à Ignis. La magicienne ne broncha pas. Elle n'esquissa pas davantage de réactions lorsque le Chevalier Onirique agita son arme.
« C'est pour bientôt ? Zagnar est déjà parti en direction de Shawn, lui. »
La magicienne rouvrit un œil vert. Ce regard détaché l'horripila.
« Si tu veux des résultats, mieux vaudrait éviter de me déranger. »
Et elle se payait le luxe de se payer sa tête, en plus ! Des heures qu'ils poirotaient, qu'elle devait passer sur le qui-vive, l'inhibiteur éteint ! En réalité, la magicienne n'attendait rien d'autre qu'un instant d'inattention pour retourner ses pouvoirs contre elle.
« Baisse d'un ton, veux-tu ? »
Le canon métallique se posa sur la tête rousse pour appuyer la tirade. Ignis ne réagit pas.
« Si vous me tuez, répondit-elle, vous perdez toutes vos chances de quitter Oriale.
— Tu ne m'as pas l'air d'une grande utilité, jusque là. Peut-être que je gagnerai du temps. »
Ignis cligna des yeux. Elle ne la regardait pas même directement et semblait perdre sa contemplation dans un bosquet fleuri.
« Shawn, je ne te l'apprendrai pas, poursuivit la magicienne, se trouve à plusieurs dizaines de millions de kilomètres d'ici. Les Failles sont rares, et nécessitent d'appréhender la trame de l'Univers non seulement avec une rare précision, mais aussi avec la globalité d'une vision autrement plus étendue. Enfin, je crois. Comme je te l'ai déjà dit, c'est une expérience que je n'ai encore jamais pratiquée à cette échelle.
— Épargne-moi ton charabia technique. Gathor prévoyait ces Failles à la volée, et il n'avait pas même besoin de magie.
— Je ne suis pas Gathor.
— Sans blague. »
Dalen s'accroupit sans se rapprocher d'elle pour autant. Sa main gauche maintenait toujours le déclencheur de l'inhibiteur. Au moindre signe de rébellion, au moindre geste, elle abattait la magicienne. Tant pis, ils trouveraient un autre moyen. Gathor finirait bien, de toute façon, par les retrouver, ne serait-ce qu'à travers leurs rêves.
« Est-ce que j'ai besoin de te rappeler le deal ? menaça-t-elle. Je tuerai Néphyle en premier, si cela peut te motiver.
— J'en suis consciente. »
Aucune émotion ne transparaissait ; la magicienne, les pupilles légèrement dilatées, apparaissait souvent comme étrangère au monde qui l'entourait.
« Je te laisse dix jours, gronda Dalen, pas un de plus. Après, j'exécute. »
Landes brocéliennes, le lendemain
Un souffle glacé balaya le champ de lavande. Malgré des nuages sombres, annonciateurs d'orage, un timide soleil refusait de disparaître.
Galaniel s'arrêta. Si aucun indice n'attestait l'imminence de la Faille, sa Pierre d'Origine restait formelle .
« C'est ici ? » demanda Esmène.
Il hocha la tête. Derrière suivaient quatre femmes en armure rouge. Toutes des vétéranes de la guerre contre Zagnar. Des volontaires, prêtes à partir sur un astre inconnu, affronter les armées noires aux côtés d'un peuple inconnu. Tout comme les Shawniens, lorsqu'ils avaient rejoint Oriale, et provoqué la chute de Sméarn Pteï.
« La Faille ne va pas tarder, commenta le Voyageur, restez prêtes de moi et avancez d'un mètre lorsque je donnerai le signal. Nous n'aurons qu'une à deux secondes . »
Bien qu'il eût préféré de meilleures circonstances, il retrouverait enfin sa terre natale. Des amis d'enfance l'attendaient, sa famille, sa mère, Ethmine, son jeune frère, Marzog. Avec le programme d'échange sur Zyx, il ne les avait déjà pas vus depuis tout un semestre. Et, pour eux, s'ajoutaient encore les mois du passage dans l'Antichambre des Voyageurs, qui ne lui avaient pourtant paru que quelques heures.
Shawn lui manquait. Certes, loin du confort technologique de Zyx, le froid et les bêtes collectaient bien trop souvent leur dîme humaine ; mais ces terres sauvages ne connaissaient pas la guerre, leurs habitants s'entraidaient pour survivre. Une beauté primordiale se dégageait de ces vastes paysages, depuis les forêts millénaires de conifères, l'immensité des plaines glacées, jusqu'aux steppes salées de l'équateur.
Il ajusta son manteau gris fourré, cadeau des Brocéliens. S'il avait rejoint les Voyageurs pour protéger Shawn et Zyx, reprendre le flambeau de son père, il ne s'attendait pas à devoir revenir de sitôt sur le champ de bataille. Mais il tiendrait sa promesse, il arrêterait Zagnar, quel qu'en soit le prix. Et, après Sméarn Pteï, la mort du fils garantirait, enfin la paix.
« Il nous reste une minute », prévint-il.
Les Brocéliennes dissimulèrent leur fébrilité, tandis qu'une indicible sérénité le surprenait. Les gardes rouges s'apprêtaient à sauter dans l'inconnu, mais, lui, rentrait enfin chez lui.
Les secondes s'écoulèrent, silencieuses, porteuses d'une douce mélancolie, mais aussi empreintes d'un espoir vivace.
« Nous y sommes, compta Galaniel, cinq secondes, quatre, trois, deux, une, maintenant ! »
Il avança, aussitôt suivi par les cinq amazones ; son pied s'enfonça dans la neige.
Shawn.
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