XXII-2 : Le prix de la victoire

Epithaï, soixante jours après la mort du Général Chef

« Alors ? »

Le médecin prit quelques secondes avant de répondre à la question de Zagnar. Le sang sur sa blouse trahissait les sombres présages que dissimulaient ses lunettes opaques.

« Sa condition s'est détériorée. J'ai fait ce que j'ai pu, mais, à ce stade, je ne peux plus rien garantir. »

Le Général s'affala contre un mur. Après sa mère, son père, sa sœur, Arcale restait sa dernière famille. Pourquoi de cette cruelle guerre, devait-il rester le seul survivant ? Dehors, sous les rayons sanglants d'un soleil couchant, Epithaï fêtait sa liesse, le Commandant pourchassait l'armée rouge en déroute, mais il s'en fichait.

« Je... je vous ordonne de la sauver », gémit-il.

Le médecin rajusta ses lunettes.

« Je ne peux pas faire de miracle ; sa vie est désormais entre les mains du Dieu Noir, ou quelle que soit la divinité en laquelle vous croyez. »

Un miracle... le Dieu Noir... Plus aucun Itinérant ne restait sur cette planète, depuis la mort de Sméarn Pteï. La main de Zagnar se crispa dans sa poche. La Pierre de son père pouvait toujours lui faire rencontrer cet ordre reculé, qui lui offrirait sans doute, effectivement, la possibilité d'un miracle, mais un tel périple prendrait du temps, beaucoup trop de temps.

Qui d'autre, alors ? Un Voyageur ? Un magicien shawnien ? Il n'en disposait d'aucun. Ou alors...

Son regard enfiévré se redressa. S'il ne pouvait compter sur la magie, la technologie promettait les mêmes contes et espérances. Certes, la Fédération zyssienne ne lui offrirait pas son aide gratuitement, encore moins après les incidents avec son père, mais lui aussi disposait d'un puissant moyen de pression. Ou plutôt, de trois. Sa victoire contre les Brocéliens, la disparition d'Octale, la défaite d'Esmène faisaient de lui le successeur le plus probable, le plus crédible au titre de Général Chef. Et les Zyssiens le savaient. Tout comme ils savaient qu'au Général Chef échoiraient les trois vaisseaux mères d'Oriale, capables de voyages interplanétaires.

« Vous, là, alpagua-t-il un garde proche. Préparez-moi une communication avec la Fédération zyssienne ; je veux avoir leur président dans les cinq minutes.

— Je... À vos ordres, mon Général. »

Le garde disparut aussitôt dans les couloirs. Zagnar se tourna vers le médecin.

« Continuez de la maintenir à vie à tout prix, il en va de votre avenir. »

L'homme fronça les sourcils.

« Vous allez négocier une intervention médicale des Zyssiens ?

— Je ne peux sans doute pas compter sur les dieux, mais la main de l'homme, aussi, est capable de miracles. »

Le Général fit volte-face et rejoignit le centre de communication au pas de course. Après toutes ces pertes, tous ces sacrifices, tous ces échecs, il ne laisserait pas mourir sa dernière sœur, il ne laisserait pas mourir Arcale.

Il la sauverait, quel que soit le prix à payer.


Orcalie, village frontalier, soixante-jours après la mort du Général Chef

Ignis engloutit un second, puis un troisième bol de riz aux poulpes des rivières. Si l'addition restait loin d'entamer les finances presque illimitées de la garde bleue du Prince, une certaine agitation gagnait cependant les cuisines du chalet.

« Les Shawniens mangent toujours autant ? Ou bien les magiciens ? s'étonna Néphyle, assise à la même table.

— Magichiens, mâchonna son interlocutrice, ch'est une quechtion de métabolichme. »

Si la jeune femme apparaissait toujours aussi affamée, au moins son visage reprenait quelques couleurs depuis son arrivée à Cénia.

« Vous êtes... amusante, avoua Néphyle. Je ne savais pas à quoi m'attendre, face à une Shawnienne, qui plus est une magicienne, mais je dois avouer avoir été curieuse de cette mission.

— Je ne vois pas ce que j'ai d'amusante. »

Elle faillit renverser une bouteille de sauce soja avant de gratifier son plat d'une nouvelle rasade généreuse.

« Vous savez ce que disent les légendes ? poursuivit Néhpyle. Que la magie n'est pas l'apanage des humains, mais des dieux. Ce qui ferait des magiciens leurs descendants. »

Ignis déglutit avant de répondre.

« Mon arbre généalogique remonte jusqu'à mes arrière-arrière-arrière-grands-parents ; je peux garantir qu'il n'y a, à ma connaissance, pas de dieu dedans.

— De lointains descendants, j'entendais, précisa Néphyle.

— En ce cas, au vu des brassages génétiques, nous le serions tous plus ou moins.

— C'est une vision... intéressante.

— Vous pourrez toujours poser la question à Galaniel, s'il a bien rencontré la Déesse Cristal, entre-temps, il en saura sans doute plus que moi. »

Néphyle croisa les mains.

« Je suis curieuse de pouvoir le rencontrer. »

Elle redressa la tête alors que revenait son Commandant, Sodem Trean. L'Orcalien arborait un visage encore plus fermé qu'à son habitude.

« Je viens d'avoir une conversation téléphonique avec le Prince », commença-t-il.

Ses jambes trépignèrent de nervosité. Il préféra s'asseoir sans pour autant contrôler ses yeux, occupés à surveiller Ignis par intermittence. La magicienne, indifférente à ses émois, se concentrait sur la disparition d'un dessert glacé à la framboise.

« Alors ? l'encouragea Néphyle.

— Le Prince aurait une faveur à demander. »

Il déglutit.

« À la sorcière. »

Ignis ne s'interrompit que sous le silence des regards.

« Quoi, moi ? Qu'est-ce qu'il y a ? »

L'homme baissa la voix comme le regard.

« Des pêcheurs ont ramassé un corps, dans le fleuve d'Aahrimbald, le Général de Brocélie, Octale Zdalavitch. »

Le regard d'Ignis se perdit dans le vide d'une statuette de dauphin en bois, posée sur une lointaine étagère.

« Qui c'est ? Ça nous concerne ? »

Sodem réprima un grognement.

« Vous êtes au moins au courant de ce qui se passe, sur cette lune ?

— Moui, le Général Chef est mort, du coup son pays en veut aux Shawniens, et les autres Généraux se chamaillent pour savoir qui lui succédera.

— Si vous en veniez plutôt au fait », proposa Néphyle.

Le Commandant soupira.

« Ils l'ont repêchée, mais elle est gravement blessée, rien ne dit qu'elle survivra. Le Prince espère que de la sorcellerie puisse la sauver. »

Ses yeux se posèrent sur Ignis qui n'esquissa pas la moindre réaction.

« C'est, à mon sens, une mauvaise idée, poursuivit Sodem, mais si vos... capacités pouvaient la soigner, il y a une gare pas loin, on prendrait le train jusqu'au fleuve et on serait de retour ici d'ici trois jours, au maximum. »

Ignis cligna des yeux.

« D'accord. »

Le Commandant marqua sa surprise.

« Quoi ? C'est tout ?

— Je dois bien ça au Prince, rappela la magicienne. S'il s'agit juste de sauver une personne, ça me va. »

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