XX-3 : Les anges de la Lumière
Le jeune homme parcourut la chambre du regard alors que, derrière lui, repoussait déjà la porte. Des murs blancs austères l'entouraient, à peine agrémentés de quelques ornements ; en face, une grande fenêtre ouvrait sur la lumière de la cour intérieure.
Au centre lévitait un orbe lumineux, gros comme le poing, à un mètre de hauteur. Alors que Galaniel s'approchait, des gouttes d'or s'échappèrent pour tracer, au-dessus, une rangée de lettres dans sa langue natale.
Bienvenue en votre demeure, monsieur Espan.
« Qu'est-ce que... qui êtes-vous ?
De nouvelles lettres irradièrent la réponse.
Je ne suis que l'interface qui permettra à cette pièce de répondre à vos attentes.
Un robot, ou plutôt un programme, à l'instar de certains hologrammes d'accueil présents sur Zyx. À la différence que celui-ci puisait probablement ses capacités dans les pouvoirs infinis de la Déesse Cristal.
La main de Galaniel se rappela le fourreau vide accroché à sa taille. Le jeune homme ne disposait plus, depuis la bataille d'Oriale, que d'une simple dague, et, plus que tout autre, l'absence de son arme de prédilection lui pesait.
« J'aurais besoin d'une nouvelle épée, si possible », commença-t-il.
Sans attendre, un mur se rétracta pour découvrir des rangées de lames scintillantes, réunies dans toute leur diversité. Galaniel s'approcha, effleura certaines, dédaigna les extravagances courbes, dentelées, pour préférer une forme droite plus classique, semblable au standard Shawnien. Le jeune homme attrapa la poignée, soupesa l'arme, parcourut le métal du regard. Aucune imperfection n'interrompait la surface lisse et polie, dont émanait une légère brillance dorée. Il enchaîna sur quelques mouvements simples ; l'arme, légère, répondit à ses sollicitations et trancha l'air avec zèle.
« Ça me conviendra », conclut-il.
Au moins sa survie face à un éventuel monstre végétal ne dépendrait plus du bon vouloir d'une double lame d'Alyne, il pourrait enfin se défendre.
Je peux aussi prendre l'apparence que vous souhaitez, informa l'orbe, ainsi que définir une communication orale.
« Bonne idée, acquiesça Galaniel. Cela évitera que je sois le seul à parler. »
Une liste invraisemblable d'options l'assaillit — voix grave, aiguë, masculine, féminine, lente, rapide, enrouée, suave, rauque, douce, dure, gutturale, labiale, tranchée, colorée, froide, calme, hachée — et le Shawnien, finalement, expédia le choix à des paramètres par défaut.
« Conversation orale enclenchée, désirez-vous aussi définir une apparence ? »
La neutralité du timbre métallique lui rappela d'antiques robots zyssiens, qui, aujourd'hui, ne peuplaient plus que le silicium des mémoires d'holofilms désuets.
« Désirez-vous définir une nouvelle apparence ? »
À la fois peu mais aussi davantage inspiré, le jeune homme se remémora le combat de Césape contre son dragon. Quelques minutes plus tard, la sphère se dotait de quatre pattes rouges ainsi que deux grandes ailes plus ternes. À l'avant, une tête écailleuse claqua des dents, puis le lézard, plus ou moins conforme à l'original en taille réduite, voleta dans la pièce avant de venir se poser sur son épaule.
« Que désirez-vous d'autre, monsieur ? »
Le Shawnien accompagna sa réponse d'un geste de la main.
« Déjà arrête de m'appeler "monsieur", Galaniel suffira. Ensuite, si possible, un bain chaud, de quoi se reposer et des affaires de rechange, aussi.
— Requête enregistrée. »
Le dragon s'envola de son épaule pour s'immobiliser au centre de la pièce, où se trouvait auparavant l'orbe de lumière. Une colonne de feu surgit de son ventre pour rejoindre le sol. Plusieurs rayons de lumière se scindèrent et frappèrent des points précis de la chambre. Le sol bouillonna, d'épais panaches de fumée rougeâtre se soulevèrent, avant de se solidifier.
Galaniel resta admiratif. Une baignoire de jade remplie d'eau chaude mousseuse l'attendait désormais près de la fenêtre. À sa droite, un large lit à baldaquin trônait sur le carrelage or et blanc, entouré de teintures et motifs bigarrés. Sur la gauche, les portes entrouvertes d'une penderie laissaient entrevoir un choix improbable de vêtements et costumes.
Le jeune homme entreprit de se changer, puis se ravisa. Si l'appareil jouait un rôle similaire aux hologrammes d'accueil zyssien, disposait-il aussi d'informations concernant les Voyageurs ? Concernant Gathor ?
« As-tu accès à une sorte de base de données ? » hésita-il.
Le dragon cligna des yeux.
« Bien sûr, que voulez-vous savoir ? »
Il s'avéra rapidement que les informations en question concordaient avec ce que Galaniel savait déjà : il y a plus de vingt cycles, Gathor avait trahi l'Ordre et, avec l'intention de renverser un jour la Lumière, avait fondé les Chevaliers Oniriques.
« Gathor s'était-il donc, de facto, allié aux Itinérants ? s'interrogea Galaniel.
— Pas exactement, précisa le dragon. Certains Itinérants l'ont accompagné de leur propre chef, possiblement pour profiter de l'occasion d'affaiblir les Voyageurs. Mais l'intention affichée de Gathor incluait aussi de renverser les Ténèbres, de sorte à s'ériger en seul maître de la Galaxie. »
J'ai balayé l'Ombre comme la Lumière.
Galaniel frissonna au souvenir des paroles de son double, invoqué par la Table de Vérité. La Déesse Cristal, par définition, ne pouvait connaître la défaite, mais l'Ordre le pouvait-il ? Les Voyageurs, malgré tous leurs pouvoirs, n'étaient ni infaillibles ni invincibles. Gathor avait-il seulement sombré dans la folie, au point de se croire capable de défier la Déesse, ou bien avait-il entrevu la possibilité de concrétiser une telle ambition ?
« Ce Gathor... recommença le Shawnien, comment comptait-il s'y prendre ? Avait-il une ébauche de plan ?
— Je ne sais pas répondre à cette question. »
Il soupira. Quand bien même un tel pouvoir existât qu'un simple prétendant n'en serait probablement pas informé, encore moins s'il pouvait incarner la menace dudit Gathor. Aussi décida-t-il de changer de sujet.
« Ces Itinérants qui avaient rejoint Gathor, qui étaient-ils ?
— Le Grand Maître Smaviac Zanderyen, Ishtar Idraseï, ainsi que les époux Elona et Sméarn Pteï. »
Galaniel manqua de s'étrangler.
« Sméarn Pteï ? Le Général Chef d'Oriale ?
— Il n'avait pas encore ce titre, à l'époque, mais il s'agit bien de la même personne. »
L'allégeance incertaine du Kalendorien expliquait-elle son alliance avec les Chevaliers Oniriques, dans le but d'envahir Zyx ? Avait-il suivi les directives de son dieu maudit ou bien seulement ses intérêts propres ? Après tout, rien d'étonnant, venant de cette noire engeance : leurs membres resteraient voués à se trahir et s'entre-dévorer les uns les autres.
« Le nom d'Ishtar ne m'est pas inconnu, non plus », constata Galaniel.
Luminosa l'avait mentionné à peine quelques minutes plus tôt. Une évasion concernant sa fille, qu'aurait fomentée le Chevalier Onirique Rneigl Réor.
L'image d'une jeune femme en combinaison blanche s'afficha, maigre, la peau très pâle, la tête recouverte de bandages. Des cernes sombres mangeaient en partie un visage osseux et soulignaient deux yeux sombres, aussi profonds que les ténèbres.
« Matricule 73B, détailla le dragon, pas de nom officiel connu. Actuellement recherchée pour multiples meurtres. »
Évidemment.
Deux monstres rôdaient encore sur Zyx, au cœur même de Barcad, prêts à frapper à la première occasion. Mais le cerveau de toutes ces exactions semblait être Rneigl Réor, un Chevalier Onirique que n'avait jamais rencontré le Shawnien. L'image d'un barbu brun patibulaire s'afficha, de nouvelles informations concernant ses derniers faits d'armes. Vol de technologie sous une fausse identité, meurtres, complicité de meurtre, évasion d'une détenue dangereuse, l'homme, soupçonné d'avoir organisé le sabotage de l'opération contre Oriale, avait, en son temps, combattu aux côtés de Gathor ; son passé plus ancien mentionnait même de probables trafics de drogue dans la basse ville de Barcad.
Un curriculum vitae exemplaire, en résumé. Un criminel que devait pourtant connaître Stakis, voire même lui obéir. Par quelle manœuvre sordide le Zyssien avait-il abandonné toute raison logique pour plonger à ce point dans les ténèbres ?
Galaniel soupira.
« Et ces autres Itinérants : Smaviac, Ishtar, Elona, énuméra-t-il, que leur est-il arrivé, finalement ?
— Smaviac Zanderyen est toujours vivant et continue de former, à l'occasion, de nouveaux anges noirs. Elona Pteï est morte lors de la chute du Royaume Noir de Jesnérak, par la main de Mitteï Ogame, qui a récupéré sa Pierre. Et, enfin, Ishtar Idraseï est morte suite à la défaite de Gathor sur Shawn ; sa Pierre d'Origine a été récupérée par Zawhyk Espan.
— Pardon ? »
Les doigts du jeune homme se refermèrent sur l'artefact en question. Son père ne lui avait jamais confié les circonstances exactes qui l'avaient amené à rejoindre l'Ordre.
« Mon père, Zawhyk Espan, a tué cette Ishtar ?
— Non. »
Face à la frustration de cette réponse monosyllabique, Galaniel enjoignit le dragon à détailler ses explications.
« Dans l'espoir d'échapper aux Voyageurs, Ishtar a abandonné sa Pierre aux abords des terres septentrionales. L'Itinérante fut néanmoins retrouvée par Mitteï Ogame et Alfonsi Mactivial, et son artefact, par Zawhyk Espan.
— Et elle est... morte, maintenant ? »
Plus qu'une véritable question, la réplique ne faisait que statuer l'évidence. La Pierre d'un Voyageur — ou d'un Itinérant — ne se liait à un nouvel être qu'après la mort de son porteur. Le statut de Zawhyk impliquait la mort d'Ishtar, que confirma le dragon. De tous les Itinérants à avoir côtoyé Gathor, seul restait ce Grand Maître, Smaviac Zanderyen.
Et, bien sûr, restaient les Chevaliers Oniriques eux-mêmes. Si Stakis Lomen, du haut de sa vingtaine accomplie, apparaissait trop jeune pour avoir connu le Voyageur déchu, Dalen Vonshan, elle, avait fait partie de ses fidèles d'alors. Galaniel serra les poings. Cette traîtresse se trouvait à bord du même vaisseau, lors de l'opération d'Oriale. Alors qu'elle ne pouvait qu'être responsable du crash de l'appareil, de la déroute shawnienne et, in fine, de la mort de Zawhyk, elle avait, malgré tout, eu l'outrecuidance de venir l'alpaguer en pleine apocalypse, avec l'espoir, encouragé par Stakis, qu'il fût la réincarnation de Gathor. Le jeune homme ferma les yeux. L'éclat des explosions, les zébrures des éclairs continuaient d'illuminer ses paupières ; ses oreilles résonnaient encore des éclats de la mitraille, des cris métalliques de la mort ; la fumée, la poudre encombraient toujours ses narines ; dans sa bouche persistait le goût de la terre, l'amertume de la défaite, du désespoir ; et ses mains, ses mains tremblantes se souviendraient, à tout jamais, de la texture poisseuse du sang.
Jamais il ne les rejoindrait. Au contraire, plus que tout autre, il les traquerait, jusqu'à ce qu'ils expient leurs crimes. Il n'était pas Gathor, mais, si une réincarnation se terrait bel et bien quelque part, il la tuerait de ses mains, avant même que l'ange déchu ne pût exister de nouveau.
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