XVIII-1 : Le Sanctuaire

Tous les jours, à l'aube, Ebrahim se tournait vers le soleil et, caressé par les rayons mordorés, étendait ses bras vers les cieux.

« Ô, astre éternel qui nous apporte chaleur et lumière, grâce te soit rendue pour tes bienfaits. Que cette nouvelle journée scintille encore sous la prospérité de ton égide. »

Et, chaque jour, Ebrahim bêchait son champ sous le regard silencieux de l'astre protecteur, plantait ses graines, récoltait le fruit de ses labeurs. Et, pour chaque fruit nourri par la lumière, il bénissait le disque d'or.

Mais, un jour, le soleil lui répondit :

« Ô, Ebrahim, tu es un homme juste et bon. À ton tour, deviens l'un de mes rayons, et apporte chaleur et lumière dans le cœur des hommes. »

Pris de ferveur, Ebrahim s'agenouilla devant son Créateur, le remercia dans des sanglots de joie, et se munit de son bâton de marche. Il traversa d'innombrables contrées, loua les vertus de l'astre solaire, dispensa son enseignement et voyagea tant et si bien qu'il arriva jusqu'à une peuplade étrange, et rencontra des femmes au visage plat, aux grands yeux en amande et aux oreilles en triangle arrondi.

« Je viens en paix, clama-t-il ; j'apporte avec moi la divine parole de l'astre solaire. »

Une femme aux cheveux d'argents, seulement vêtue d'une tunique blanche, ouvrit les bras à son arrivée.

« Je suis la prêtresse des elfines, voyageur, et vous êtes le bienvenu en ces terres. Car dans nos rêves et nos cœurs, la Grande Déesse, créatrice de toutes choses du ciel et de la terre, nous a déjà informés de votre venue.

Je ne connais pas de Grande Déesse, s'obstina Ebrahim, seulement l'astre solaire. »

La prêtresse lui offrit un sourire.

« Acceptez d'être des nôtres et, ce soir, la Grande Déesse vous parlera, à vous aussi. »

À contrecœur, Ebrahim accepta l'invitation, les elfines l'accueillirent avec bienveillance, et jusqu'à la nuit tombée, résonnèrent harpes et chorales de fête. Mais lorsque, éprouvé par les émotions de son errance, le voyageur ferma les yeux, la présence du soleil brilla derrière ses paupières.

« Ô astre béni, s'exclama l'homme, je savais te revoir. Qui est donc cette déesse que semble vénérer ce peuple étrange ? »

Alors, en réponse, résonna le Verbe divin.

« N'as-tu donc toujours pas compris ? Je suis la Grande Déesse, tout comme je suis l'astre solaire. Je suis l'éclat des étoiles, le souffle de la vie, l'étincelle de la conscience ; je suis la Lumière, qui soutient toute la Création. Je suis aussi bien elfine, humain, que mâle ou femelle. Toutes les races ont été créées à mon image, car, en moi, je porte toutes les images du Monde. »

Grand Livre de la Lumière, Les mille noms de Dieu


Césape abattit plusieurs branches argentées pour aboutir à une petite clairière circulaire emplie de lumière. Un tapis d'herbacées dorées s'étendait, uniforme, dénué d'arbres ou de broussailles. Seule exception à cette régularité déconcertante, une fleur unique, aussi grande qu'un homme, déployait, en plein centre, ses pétales roses chatoyants.

Le gigan s'avança dans l'herbe tendre, sans se soucier des avertissements de Galaniel.

« C'est étrange, ici, remarqua le Shawnien. Tout est trop calme, trop mesuré, ici.

— Bof, c'est rien qu'une fleur, vous n'allez pas en faire tout un plat. »

Le jeune homme tourna son regard vers Alyne. L'elfine hasarda quelques pas, et balaya d'un regard circonspect les frondaisons des arbres attenants. Quelques lézards dorés parcouraient les troncs d'argent, de petits animaux à fourrure bleue sautillaient d'une branche à l'autre. Rien d'inquiétant, en apparence. Comme pour confirmer sa supposition, un grand oiseau rouge survola la clairière et son long bec doré les gratifia d'un croassement rauque.

Comme attiré par un aimant invisible, Césape se tenait déjà face à la fleur.

« Vous feriez mieux de venir, proposa-t-il. Je vous assure que ça en vaut le détour. Et puis si ça se trouve, c'est les Voyageurs qui ont préparé cet endroit pour qu'on puisse faire une pause. D'ailleurs, on a encore tout le temps nécessaire avant d'arriver, n'est-ce pas ? »

Galaniel jeta un regard interrogateur à Alyne, qui haussa les épaules. Finalement, tous deux se décidèrent à le rejoindre. Césape semblait en extase.

« Humez-moi donc ce parfum. Je n'ai jamais rien senti de semblable. »

L'une de ses pattes griffues effleura la fleur ; les pétales frémirent. Puis le sol trembla, jusqu'à faire perdre l'équilibre au gigan, qui roula au pied de ses compagnons, médusés.

« Je vais très bien, ne vous en faites pas, assura-t-il. Ce n'est qu'un petit séisme. Vous n'avez pas ça, chez vous ? »

Il se releva, puis se retourna. Devant eux claquèrent des tentacules sombres, alors qu'une gigantesque tête végétale se soulevait du sol. Sur le dessus subsistaient l'herbe régulière de la plaine ainsi que la fleur, devenue simple ornement ridicule. Quatre orifices rougeâtres perçaient la masse végétale, encadrés de mousse et de lichen, comme pour dévisager les trois arrivants.

Mais le plus impressionnant restait ce gouffre infernal, une gueule béante aux dents presque aussi grandes qu'un humain.

« Euh... C'est quoi ce truc ? »

Par réflexe, Césape attrapa sa hache à deux mains, tandis que Galaniel dégainait sa dague. Seule Alyne laissa ses doubles lames dans son dos, mais ses mains blanches se recouvrirent d'étincelles bleutées.

« Bon, eh bien, moi c'était Césape Victorèle, célèbre gigan de Gigarosia, pourfendeur d'un dragon, et cætera. Ravi d'avoir fait ta connaissance, hum, vénérable végétal de cette forêt ancestrale. Mais loin de nous la volonté de t'importuner plus longtemps, aussi permets-nous donc de prendre congé, en espérant que tu sauras nous excuser pour notre interruption probablement, euh, inopportune. »

Le gigan reculait pas à pas, vers l'entrée de la clairière. Un tentacule vert émergea aussitôt du sol pour lui barrer la route, menaçant. Le monstre, quant à lui, répondit par un grognement épouvantable.

« C'est fou, mais j'ai la curieuse impression qu'il n'a pas envie de nous laisser partir. C'est peut-être une marque d'hospitalité.

— C'est ça, ajouta Galaniel, il voudrait peut-être nous inviter à son repas. »

Césape frappa de la hache le tentacule qui s'approchait de lui.

« Je n'aurais jamais cru dire cela un jour, mais je n'ai finalement pas envie de participer au repas prévu. Une autre fois, peut-être ? »

De nouvelles excroissances végétales se dressèrent face à lui, qu'il repoussa par de nouveaux coups de hache. À son tour, Galaniel évita une liane qui siffla au-dessus de sa tête, mais sa riposte ne rencontra que le vide. Non loin de lui, Alyne joignit ses mains pour créer un éclair menaçant, avant d'éviter une attaque au dernier instant. Son sort dévié ne foudroya qu'un arbre proche.

Un nouveau tentacule claqua dans l'air. Galaniel tomba à son tour à la renverse, touché de plein fouet. Ses doigts crépitèrent alors que la masse végétale se soulevait du sol pour l'assommer. Par réflexe, il interposa sa main au dernier instant. Une boule de feu incendia le tentacule, qui retomba au sol, carbonisé.

De son côté, Césape massacrait, à grand renfort de cris, la faune végétale. Sa hache tranchait les lianes, les picots de son gantelet de métal se plantaient dans la masse infecte jusqu'à la faire refluer.

Le gigan se retourna soudainement. Derrière lui, un tentacule s'était immobilisé pour s'entrouvrir en silence. Il eut à peine le temps d'entrevoir quelques épines saillantes avant qu'elles ne filent vers lui à la vitesse de l'éclair.

Il se jeta au sol pour les éviter, avant de trancher le tentacule à sa base. Le végétal s'effondra dans un dernier soubresaut.

Il se releva, se rendit compte que deux épines l'avaient malgré tout atteint, et les arracha aussitôt. Non loin de lui, un autre tentacule faisait déjà de même avec Alyne. Les épines sifflèrent, mais éclatèrent toutes avant d'atteindre l'elfine. Bras tendu face à elle, sa main étincelait d'une intense lueur blanche. La riposte ne se fit pas attendre. Un rayon pourpre fusa, et fit exploser le végétal.

Seul Galaniel roula au sol, sa dague arrachée par une attaque du monstre. L'arme de dernier secours, la dernière qui lui restait, accusait son manque d'allonge.

« Qu'est-ce que je donnerais pour mon épée », maugréa le jeune homme.

Sa lame était restée sur le champ de bataille d'Oriale, dans le corps du Général Chef. Elle lui avait sauvé la vie, mais il n'avait pu la récupérer. Et son absence lui offrait désormais un dangereux handicap. Un tentacule se noua autour de sa cheville, et le jeune homme glissa sur le sol incurvé, droit vers la gueule du monstre.

Alors qu'il se débattait en vain, son regard rencontra la glace de deux yeux indécis, fixés dans sa direction. En retrait de quelques mètres, l'elfine hésita. Finalement, ses doigts blancs se refermèrent sur le manche d'une double lame, qu'elle lança dans sa direction.

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