XVI-3 : Les démons de Zyx

Enfin, dans un insoutenable grincement, la porte s'ouvrit. Une silhouette sombre, encagoulée, entra d'un pas neutre.

« C'est... c'est vous ? » articula Rneigl.

L'homme tourna la tête dans sa direction. Ses yeux marrons détaillèrent le Chevalier Onirique.

« Désolé de vous décevoir, je crois, mais je ne suis qu'un intermédiaire. Je me prénomme Mark, deuxième du nom, vous pouvez m'appeler Mark. »

Ses yeux tournèrent brusquement pour s'arrêter sur Ishtar. Aussi silencieuse d'un serpent, la jeune femme le contournait par l'arrière, ses armes en main.

« Vous pouvez ranger vos couteaux, jeune femme, je suis seulement venu parler. Parler, notamment, de tout ce que notre ami Rneigl Réor n'a probablement pas cru bon de vous révéler.

— Ne... ne l'écoutez pas, intervint le Chevalier.

— Reprenons depuis le commencement, poursuivit Mark sans lui prêter d'attention. Que savez-vous ? Que vous a-t-il dit ? »

Indécise, la jeune femme recula d'un pas.

« Il... il a dit qu'il connaissait mes parents. Qu'ils étaient... alliés.

— Ce n'est déjà pas vrai. Pas exactement.

— J'ai combattu aux côtés de la Reine noire, ainsi que du Grand Archimage, sur Jesnérak ! J'étais là, face aux Voyageurs, face à Mitteï ! » s'enflamma Rneigl.

Mark balaya la remarque d'un geste de la main.

« Oui, vous avez combattu ensemble, mais vous ne faisiez pas partie du même camp. »

L'homme avança de quelques pas, 73B resta comme hypnotisée par sa présence.

« Ishtar Idraseï restait une Itinérante, un ange noir, avez-vous cru bon de le préciser ?

— Je... »

Rneigl ravala sa salive. La conversation tournait déjà à son désavantage. 73B redressa la tête, surprise, mais aussi curieuse ; elle voulait savoir.

Mark soupira.

« La Galaxie se sépare principalement en deux camps antagonistes, expliqua-t-il. D'un côté, les Voyageurs, apôtres de la Lumière, et, de l'autre, les Itinérants, messagers des Ténèbres. Ishtar appartenait au second.

— Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Qu'est-ce qui arrivé à mes parents ? demanda la jeune femme.

— Votre père est mort au cours d'une bataille décisive contre les Voyageurs, sur une lointaine planète. Quant à votre mère, elle a erré quelque temps, en compagnie d'autres survivants, jusqu'à se faire capturer sur Shawn. Comme elle était enceinte, Alfonsi a décidé de l'épargner jusqu'à ce qu'elle vous donne la vie. La seule motivation du Voyageur était de pouvoir vous... étudier. »

Les traits de la jeune femme pâlirent, ses mains se crispèrent.

« Alfonsi... il a donc tué ma mère. »

Rneigl tendit une main dans sa direction.

« 73B..., commença-t-il.

— Ne m'appelez plus jamais ainsi ! » tonna la jeune femme.

Ce regard le glaça. Une fureur primaire, animale. Des doigts se repliaient comme autant de griffes prêtes à frapper.

« Je... comment dois-je vous appeler, alors ?

— Quel est mon nom ? Est-ce que mes parents m'ont donné un véritable nom ? »

Le Chevalier resta silencieux.

« Vous n'en avez pas, intervint Mark. Pas que je sache. »

Les traits de la jeune femme restèrent fixes, mais seulement en surface. Dans les profondeurs s'agitaient d'incoercibles sentiments, parfois contradictoires, des monstres abyssaux se livraient une lutte sans merci.

« Alors, je serai Ishtar », décida-t-elle.

Malgré son laconisme, Rneigl devinait ses intentions. La tentation des Ténèbres l'appelait, et un chemin noir, déjà tracé par les pas de ses parents, s'ouvrait devant elle. Derrière la façade d'albâtre de son visage bouillonnait une colère furieuse, une haine inextinguible. Certes, Gathor avait quitté les Voyageurs et noué des alliances temporaires avec quelques Itinérants, mais ses efforts ne se focalisaient pas sur un seul camp. Il condamnait les deux, et souhaitait leur chute, à l'Ombre comme à la Lumière. Malgré tout, représentait-elle son nouveau visage ? Ces années de détention pouvaient-ils avoir altéré son esprit ? Ce regard restait celui d'un animal sauvage, mais, en cet instant, scintillaient les yeux d'un fauve, l'appétit vorace du sang.

Il devait intervenir, ou il la perdrait, définitivement.

« Votre mère avait fait alliance avec nous, les Chevaliers Oniriques, plaida-t-il. Elle avait compris que cette guerre n'était pas une fin. Qu'elle ne nous mènerait nulle part... »

Il n'en savait rien. Il ne connaissait pas les véritables intentions de la Reine Noire, si ce n'était la mort de leur ennemi commun, Mitteï. Cette alliance n'était que de circonstance, et momentanée. Comme avec Sméarn Pteï. Tant qu'ils conservaient leur Pierre, les Itinérants restaient les esclaves des Ténèbres.

« Ce n'est pas vrai », assena Mark.

Celui-là... Celui-là non plus ne pouvait pas savoir ! Dans un accès furieux, Rneigl propulsa son poing en avant. L'homme esquiva sans peine, attrapa son bras et le tordit dans une prise implacable.

Le Chevalier Onirique laissa échapper un cri de surprise et de douleur.

« Je ne suis pas venu me battre, répéta Mark. Sauf si vous m'y forcez.

— Qu'est-ce que vous voulez, à la fin ? Pourquoi elle ? »

L'homme, sans desserrer son étau, se pencha vers lui.

« Les objectifs de mon employeur sont toujours restés les mêmes. Protéger cette planète. De toutes les menaces.

— C'est ce que nous voulons faire, nous aussi, les Chevaliers Oniriques ! C'est pour cela que nous voulons mettre à cette guerre interminable !

— Et c'est pour cette même raison que nous avons fait momentanément alliance. Mais, vous, vous vous intéressez d'abord à la Galaxie, le sort de Zyx reste secondaire à vos yeux. Les priorités de mon employeur, elles, s'avèrent inversées. »

Il relâcha le bras du Chevalier, qui recula de quelques mètres pour se masser l'épaule. Puis, sans afficher davantage de considération, il se redressa, et se tourna en direction de la jeune femme. Derrière sa cagoule, son regard restait parfaitement égal, comme dénué de toute émotion.

« J'ai, ou plutôt mon employeur, a une proposition à vous faire. Je ne vous cacherai pas le risque, mais souhaitez-vous rejoindre les Itinérants, comme votre mère avant vous ? »

Dans les yeux d'Ishtar, l'intérêt remplaça vite la surprise. Elle allait répondre, lorsque Rneigl lui coupa la parole.

« Refusez ! Ni l'Ombre, ni la Lumière, ne méritent d'être rejointes ! Les... »

Un voile sombre recouvrit le visage d'Ishtar, des éclats inquiétants scintillèrent dans son regard.

« Et vous, seriez-vous prêt à vous allier à Alfonsi, si cela permettait la fin de cette guerre, auriez-vous été prêt à tuer mes parents ?

— Je... »

Elle guetta une réponse qui ne vint jamais. Son visage se ferma et un doute prégnant s'immisça dans l'esprit du Chevalier. Peut-être s'était-il trompé, peut-être n'était-elle pas l'Élue, finalement, peut-être...

« Je n'ai jamais rien eu à voir avec vos histoires, assena-t-elle. Vous n'aviez aucune raison d'intervenir lors de mon évasion. »

Il lui répondit d'une voix blanche, presque automatique.

« Nous avions un guide, Gathor. Je cherche sa réincarnation, la personne qui reprendra son flambeau, qui achèvera son œuvre. Est-ce que vous vous souvenez de nous ? Est-ce que vous vous souvenez de votre passé ? »

Elle le contempla un instant avec des yeux étonnés, avant de remarquer son sérieux. Puis ses sourcils se froncèrent, et des ridules menaçantes se propagèrent sur les traits de son visage.

« Je ne suis pas celle que vous croyez. Je ne l'ai jamais été. »

Rneigl tendit une main. Déjà, elle s'éloignait de lui, rejoignait Mark. Il allait la perdre, mais que pouvait-il faire de plus ?

« Vous êtes seulement animée par votre rancœur et votre haine. C'est une vengeance vaine, même tuer Alfonsi ne changerait plus rien, maintenant.

— Alfonsi représente une menace de premier ordre, détailla Mark, et sera traité en tant que tel. Vous, les Chevaliers Oniriques, avez sans doute échoué à changer ce monde, mais il changera et, avec lui, sans doute, le reste de la Galaxie. Mon employeur y veillera. »

Ishtar le contempla une dernière fois. Elle n'attendrait pas indéfiniment dans ce taudis l'arrivée d'un hypothétique sauveur. Personne n'était venu l'aider, toutes ces années durant, lorsqu'elle en avait tellement besoin, désormais, son avenir n'appartenait plus qu'à elle.

Elle tuerait Alfonsi.

« La vengeance, murmura-t-elle. Je ne possède plus rien d'autre ; les Voyageurs ont pris le reste. »

La porte se referma. Une ombre, un espoir disparut dans le crépuscule. Le Chevalier venait de perdre sa seule piste. Il avait tant espéré avoir trouvé, avoir raison, et, désormais que s'effaçait cette possibilité, il ne souhaitait plus que s'être trompé.

« Où es-tu, Gathor ? Qui es-tu, maintenant ? » murmura-t-il.

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