XVI-2 : Les démons de Zyx
Planète Zyx, Barcad, trois jours avant la mort du Général Chef
Elle rouvre les yeux. Bouche pâteuse, membres engourdis, contours indistincts.
« Elle n'a pas bougé depuis l'opération, commenta le docteur. Plus la moindre réaction. »
La silhouette grise d'Alfonsi se rapprocha de la chaise roulante, ses yeux perçants détaillèrent la jeune femme avachie, tête penchée, la bouche entrouverte.
Blanc, quelques silhouettes blanches, une baie vitrée ; des arceaux de métal maintiennent ses membres immobiles.
« Peut-être cette... draconite s'avérait indispensable à ses facultés mentales, supposa le docteur.
— Peut-être... »
L'éther, comme brouillé, ne lui répond pas ; son cœur s'emballe.
« Commencez la procédure. »
Les appareils s'ébranlent, les articulations de métal se déploient.
Le Voyageur posa une main contre son front pâle, en partie recouvert de bandages.
« Elle est coupée de l'éther, cette draconite réalisait bien le lien, comme nous l'avions supposé. Quant à son esprit... »
L'éther, toujours, refuse de lui obéir. Elle se débat, en vain. Dans un parfait ensemble, les machines s'abaissent sur la peau de son crâne désormais rasé.
Douleur.
Alfonsi recula d'un bond, comme touché par un tison ardent. Sous le regard étonné, presque amusé, du docteur, le Voyageur retrouva cependant bien vite son air détaché et réajusta sa cape grise.
« Alors ? Son esprit ?
— Je n'en suis pas sûr, maugréa Alfonsi. Il se dissimule derrière les souvenirs de l'opération.
— Je suppose que l'expérience contenait, en soi, une part de traumatisme. »
Le regard sombre du Voyageur se redressa vers leur captive.
« Peu importe. Désormais que vous avez extrait sa draconite, elle ne nous est plus indispensable.
— Devons-nous l'euthanasier ? »
Alfonsi se massa les tempes. Infiltrer un esprit comportait toujours une part de risque et il l'oubliait parfois. Cette douleur, cette rage absolue, résonnaient dans ses membres, agitaient son cœur.
« Je... nous verrons ça à mon retour. En attendant, continuez d'étudier cette draconite.
— À vos ordres. »
La Lumière justifiait tous les sacrifices. Il ne se battait pas seulement pour son monde natal, mais pour le bien de la Galaxie toute entière. Et, alors que s'étendait la menace hégémonique du Général Chef, Alfonsi mettrait tout en son pouvoir pour l'arrêter. Il mettrait tout en son pouvoir pour détruire, définitivement, les Ténèbres elles-mêmes.
Et ce, quel qu'en soit le prix.
Bas-fonds de Barcad, vingt-huit jours après la mort du Général Chef
Rneigl versa des céréales dans son bol fissuré, contempla une bouteille vide, puis commença son repas. En face de lui, une vitre brisée renvoyait son visage hirsute, rendu rugueux par le temps. Plusieurs fissures apparaissaient sur la tapisserie décrépie, et des souffles glacés traversaient la pièce étroite.
Ce squat n'offrait qu'un confort rudimentaire, mais, au moins, la police s'aventurait rarement en ces quartiers mal-famés. Et, en ces rares occasions, l'annonce se répandait telle une traînée de poudre, les trafiquants de toutes sortes camouflaient leurs marchandises, et les fugitifs, comme lui, trouvaient meilleure cachette.
Ironiquement, il était sans doute le plus en sécurité, ici, au plus profond de ce coupe-gorge, entouré par cette faune criminelle. Parfois, un téméraire essayait de lui dérober un objet, voire de l'assassiner. Les conflits se réglaient toujours de la même façon, expéditive, et toujours à son avantage.
Il redressa la tête. Assise sur un fauteuil miteux, les bras autour de ses jambes repliées, 73B le fixait, enferrée dans son habituel mutisme. Des vêtements sombres trop amples remplaçaient son uniforme blanc, et un bonnet noir recouvrait les bandages de sa tête. L'homme avait bien essayé, à de multiples reprises, d'engager la conversation, mais toutes ses tentatives n'avaient, au mieux, abouti qu'à quelques monosyllabes. Ces yeux rougis continuaient d'épier ses faits et gestes, comme ceux d'un animal sauvage, à distance, qui découvre l'humanité.
Le téléphone sonna.
Rneigl reposa sa cuillère. L'appareil mural antique réitéra son cri nasillard, insupportable.
Lui...
Le Chevalier se leva, tandis que 73B se contentait de le suivre d'un regard interrogatif. Cet appel, ici, ne pouvait être le fait que d'une seule personne, mais que lui voulait-elle, maintenant ? Elle ne l'avait plus contacté depuis le fiasco d'Oriale.
Ses doigts hésitèrent quelques secondes avant de s'emparer du combiné. Une voix déformée crachota dans ses oreilles.
« Bonsoir, Rneigl.
— Bonsoir. »
Il ne connaissait pas même son nom, encore moins son identité. Dissimulé dans l'anonymat, cet allié mystérieux semblait pourtant tout connaître et, en cette ère de technologie, l'information lui octroyait un pouvoir sans commune mesure.
« Que me voulez-vous ? » demanda le Chevalier.
L'opération d'Oriale s'était soldée par un échec. Le Général Chef était mort, la libération de Zyx n'avait pas eu lieu. Leur coopération avait pris fin, du moins le pensait Rneigl.
« Ne soyez pas aussi défensif, grésilla la voix. Ai-je jamais manqué à mes engagements ? »
Rneigl passa une main dans ses cheveux. Certes, son interlocuteur avait planifié, dans les grandes lignes, la contre-offensive face aux Voyageurs, certes, il avait lui-même provoqué le crash du vaisseau de Seyer, et, certes, il connaissait les liens entre Ishtar, la mère de 73B, et Sméarn Pteï. Toutes ses informations s'étaient révélées de précieux atouts, et la victoire ne leur avait échappée que d'un cheveu, un impondérable du nom de Galaniel. Malgré tout, Rneigl aurait préféré ne jamais conclure ce pacte aussi secret qu'inconfortable. Mais il n'avait pas eu le choix. Son interlocuteur savait tout de lui ; il aurait pu, à tout instant, le livrer aux Voyageurs, dénoncer Stakis, remonter jusqu'à Dalen ; tandis que, lui, ne savait rien de lui.
« Je veux parler à 73B », déclara la voix.
Sa main se crispa. Rneigl se s'étonnait même plus qu'il sût pour la libération de 73B, pour son implication personnelle, pour cette cache.
« Qu'est-ce que vous lui voulez ? rétorqua le Chevalier.
— Non, vous, qu'est-ce que vous lui voulez ? »
Il resta silencieux. Ses yeux s'arrêtèrent sur la jeune femme restée immobile. À chaque aube de ces dix-huit derniers jours, il avait craint de la voir disparue, de nouveau envolée à sa vie de solitude. Elle n'avait aucune attache, ici ne représentait rien de plus qu'ailleurs.
« Vous connaissant, vous lui avez caché une partie de la vérité, reprit la voix. Dois-je vous détailler pourquoi ? »
Un tremblement parcourut le corps de Rneigl. Il se pouvait pas savoir ça. Il ne pouvait pas...
Quel était le démon, caché derrière ce drap d'anonymat ?
« Depuis toutes ces années, vous cherchez toujours la même personne. Et, maintenant que vous espérez l'avoir trouvée, vous avez peur de la perdre. Mais... »
Le Chevalier raccrocha le combiné précipitamment. Son cœur s'accéléra, des gouttes de sueur perlèrent sur ses tempes. Face à son trouble, 73B glissa de son fauteuil, indécise.
« Qui était-ce ? »
Il n'aurait jamais dû. Il n'aurait jamais dû accepter ce pacte. Mais il n'avait pas eu le choix. Et ce démon prétendait poursuivre un objectif similaire. La libération de Zyx, son émancipation de la houlette des Voyageur, son indépendance, face à l'Ombre comme à la Lumière. Et...
« Qu'est-ce qu'il voulait ? » insista 73B.
Il ouvrit la bouche. Quelques coups sourds retentirent à l'entrée. Rneigl se figea. Du coin de l'œil, il entraperçu le scintillement de couteaux blancs entre les doigts de 73B.
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