XV-2 : Le premier archange blanc

Planète Zyx, Barcad, vingt-trois jours après la mort du Général Chef

Alfonsi rouvrit les yeux, puis maugréa. Cette présence oppressante ne pouvait appartenir qu'à une seule personne. Dans un soupir, le Zyssien se leva de son canapé pour se traîner jusqu'à la porte de son appartement. La frêle silhouette de Mitteï arrivait à son palier.

« J'ai une piste, annonça-t-elle d'un ton badin.

— C'est sans doute un minimum, après t'être introduite dans mon esprit. Qu'est-ce que tu espérais trouver ?

— Tes récents manquements, le fait que ton vaisseau ait été épargné, et ta connaissance de toutes les informations faisaient de toi un suspect de choix. »

Furieux, le Zyssien exhiba sa Pierre d'Origine.

« Je suis un Voyageur, Mitteï, un Voyageur ! Je me bats pour Zyx, pour la Lumière ! J'ai été capturé par ces sauvages de Kalendor ! Ils m'ont même torturé ! »

Sans prendre la peine de le considérer, la jeune fille entra d'un pas gracile. Un instant, Alfonsi eut l'envie de lui barrer la route, de l'attraper pour la remettre dehors, mais, si elle avait décidé de passer, rien ne l'en empêcherait.

Finalement, je préférais encore Seyer.

L'autre Grand Maître investiguait seul de son côté, le laissant, de fait, avec elle. Mitteï contourna un sac poubelle plein, avant de se hisser sur une chaise en acajou. Voir ce corps d'enfant batailler pour une tâche aussi simple avait quelque chose de dérangeant, alors que sa puissance dissimulée aveuglait tout initié. L'eût-elle voulu, Mitteï aurait pu voler jusqu'à la chaise, faire voler la chaise, voire tout l'immeuble d'un claquement de doigts.

« Et donc, ta piste ? s'impatienta Alfonsi.

— J'ai sondé les esprits de tous les occupants du vaisseau ; il n'y avait rien à trouver.

— C'est pour me dire ça que tu es venue ?

— Non. Il manquait une personne. Une personne présente dans le vaisseau à son départ, mais pas à son arrivée. »

Alfonsi esquissa un mouvement de surprise.

« Nous sommes restés en orbite. Ça ne peut pas... »

Mitteï releva son voile, ses yeux abyssaux se posèrent sur le Zyssien.

« Le vaisseau mère kalendorien. »

Alfonsi s'interrompit. Les traîtres travaillaient avec Sméarn Pteï, l'ancien Général de Kalendor. Rien d'étonnant à ce que le nouveau eût offert une sortie de secours à l'un d'entre eux.

« Il est... resté sur Oriale, donc ? comprit le Zyssien.

— Stakis Lomen. Son appartement est dans cette ville même, à quelques minutes d'ici. La police est déjà en route, tu peux nous accompagner, si tu veux. »

Les yeux sombres d'Alfonsi brillèrent d'impatience.

« Je viens », annonça-t-il.

Qu'aurait-il donné pour trouver des indices, la moindre piste. Stakis était lié à Rneigl, cet homme qui n'avait cessé de le ridiculiser. Il lui devait la perte des deux prototypes d'inhibiteur, puis l'échec de l'opération d'Oriale, sa propre capture, sa torture par les Kalendoriens, et enfin, l'évasion de 73B. Sa face arbora un sourire mauvais. Si cet homme tombait entre ses mains, il se ferait un plaisir sadique de lui arracher jusqu'au dernier secret. Peut-être aurait-il même l'occasion de le tuer.

Il suivit le Grand Maître sur l'esplanade extérieure pour rejoindre un véhicule de police blanc et gris en lévitation au-dessus du vide. Les occupants, parés à l'action, exhibaient leurs habituels lance-éclairs, mais leurs armes ne seraient sans doute d'aucune utilité. Et puis, Mitteï était là. La jeune fille s'assit sur un siège et balança ses jambes frêles, le visage de nouveau masqué par son voile blanc translucide. Quelques regards étonnés, vite détournés, se posaient sur elle par intermittence, qu'elle faisait mine de ne pas remarquer. Les Zyssiens n'avaient aucun pouvoir magique, ils n'avaient aucun moyen de contempler son véritable pouvoir, la menace absolue qu'elle représentait. Leurs yeux s'arrêtaient donc à son apparence innocente. Parmi ses congénères, seul Alfonsi avait pu s'affranchir, par sa Pierre, de ces limitations. La Lumière l'avait choisi, l'avait élevé au-dessus des rangs de ses concitoyens, lui avait montré un monde qu'il n'aurait jamais imaginé, lui avait offert un pouvoir dont il n'aurait jamais rêvé.

Le Voyageur pencha sa tête contre une vitre blindée. Dehors défilaient déjà les tours , le véhicule filait sur sa voie de circulation aérienne, sirènes éteintes. Les moteurs ronronnaient, presque inaudibles. Rien n'avait changé, depuis son départ pour Oriale. Barcad restait le même havre de paix, cette fourmilière grouillante de vie. Et pourtant, l'espace de quelques jours, le Général Chef avait menacé de tout faire disparaître.

Mais ils l'avaient arrêté, ils avaient mis fin à ses ambitions, et la guerre n'avait pas eu lieu.

Zyx était sauvée. Pour l'instant.

Il croisa les mains. Cette ville l'avait vu naître, grandir, et il était prêt à tout pour elle. Si nécessaire, il tremperait ses mains dans le sang, contournerait l'éthique comme les réglementations officielles. Seyer et Zawhyk lui reprochaient souvent ses méthodes, mais pouvaient-ils prétendre à la même efficacité ? Le supplice de 73B, son sacrifice avaient permis une connaissance approfondie de la magie. Et de cette connaissance étaient nés les prototypes d'inhibiteurs. Il esquissa un sourire. Personne d'autre, de toute la Galaxie, n'avait encore construit d'appareil similaire, capable de nier la magie, capable de rendre inefficaces les pouvoirs des Itinérants. Un jour, ses armes mettraient fin aux Ténèbres et leur Guerre incessante. Il offrirait à l'Univers une paix éternelle, sous l'égide de la Lumière.

Son regard se perdit sur Mitteï, toujours silencieuse entre les policiers mal à l'aise. Elle, elle le comprenait, elle ne le jugeait pas. Elle ne jugeait pas ses actes, car elle-même comprenait que la victoire s'obtenait bien souvent dans le sang. La Guerre n'avait pas de règles, pas d'états d'âme, et ceux qui, étouffés par leurs scrupules, limitaient leurs possibilités finissaient vaincus en premiers, emportés par le flot du Temps. Leurs bonnes intentions s'évanouissaient alors, comme si elles n'avaient jamais existé, et ne serviraient plus jamais à rien.

Ainsi Zawhyk était mort. Et avec lui, ses reproches, ses idées, sa vision. La Lumière avait perdu l'un de ses anges, un protecteur.

Le véhicule ralentit. Ils arrivaient. Alfonsi attendit à peine l'arrêt pour sauter à terre. Aussitôt, le Voyageur parcourut l'esplanade verdoyante pour atteindre l'immeuble blanc. Grandes ouvertes, les portes vitrées laissaient entrer une cohorte de policiers, tandis qu'à l'écart quelques curieux filmaient la scène.

Le Zyssien avisa un ascenseur et s'engouffra dans l'appareil, aussitôt suivi de Mitteï.

« Je doute que nous trouvions quelque chose d'intéressant ici », avoua le Grand Maître.

Alfonsi baissa la tête sur sa silhouette chétive.

« Il n'y a qu'un seul moyen d'en avoir le cœur net. »

Ses poings se fermèrent.

« Rneigl s'est caché pendant presque deux décennies ici même, sur Zyx, mais, en s'en prenant à nous, les Chevaliers Oniriques ont commis une erreur fatale. Leur échec les a exposés en grande partie, et, tôt ou tard, notre étau se refermera sur eux. »

Le cylindre d'aluminium acheva son ascension dans un chuintement caoutchouteux. Les portes coulissèrent en silence et Alfonsi sortit dans le couloir. Déjà, des policiers installaient de la rubalise, d'autres tenaient à distance des voisins curieux.

« Nous y sommes », constata le Voyageur.

Mitteï hocha la tête, le laissant entrer en premier. L'appartement, plutôt petit, possédait quelques baies vitrées lumineuses, la vue en partie encombrée par l'acier de tours proches. Aussitôt, le regard d'Alfonsi s'arrêta sur un mur. À demi camouflé entre des posters et autres affiches de films trônait le Signe des Chevaliers Oniriques, quelques traits d'encre rouge esquissés à la hâte sur un papier recyclé.

La culpabilité de ce Stakis Lomen ne faisait aucun doute. Le Zyssien voulut s'approcher, se prit les pieds dans un bricolage de laser, laissa échapper un juron, puis se rattrapa contre le rebord d'un canapé.

Près de lui, Mitteï contemplait un katana décoratif, puis s'arrêta sur des traités de mécanique et de science physique. Une bouffée de rancœur envahit Alfonsi. Loin de s'avérer anodines, ces études avaient certainement permis à ce blanc-bec de saboter les moteurs de son vaisseau ; depuis combien de temps préparait-il son coup ? Rageur, le Voyageur ouvrit des placards, pour fouiller dans les papiers présents. Il savait qu'il ne trouverait sans doute rien, Mitteï n'avait fait que statuer l'évidence, mais il n'avait pas d'autre choix que de chercher, explorer chaque possibilité. Peut-être un indice se dissimulait-il, quelque part, et ce peut-être valait tous les efforts. Le Zyssien balaya les listes de courses, les notes techniques et même quelques citations ésotériques pour, enfin, atteindre un papier laissé à l'écart. Espérant un indice, même mineur, il déplia la feuille pour découvrir quelques phrases jetées au crayon.

Coucou cher intrus,

Si vous êtes un cambrioleur en quête d'objets de valeurs, vous êtes au mauvais endroit (sérieusement, qu'est-ce que vous êtes venu faire ici ? Et comment êtes-vous entré, d'abord ? L'immeuble est sécurisé avec une alarme). Soyez sympa de ne pas déranger mon bazar ordonné et de laisser les barres chocolatées à leur place.

Si vous êtes un membre de la Machination, félicitations ! Vous venez de trouver un bout de papier parfaitement inutile. Sachez que je suis au courant de tous vos agissements à l'éthique discutable et que la Vérité finira par éclater. Par ailleurs, je vous souhaite bon courage pour fouiller mon capharnaüm, j'ai tout laissé dans le désordre rien que pour vous compliquer la tâche (n'allez sûrement pas croire que j'avais la flemme de ranger quoi que ce soit). Ah, et, vous non plus, vous ne trouverez rien, ici. Donc, si vous ne m'avez toujours pas attrapé, bien fait pour vous.

Dans tous les cas, vous êtes certainement très mauvais à votre job et je ne peux que vous suggérer une reconversion dans le reprisage de pantoufles.

Bye, espèce de loser.

Les doigts d'Alfonsi écrasèrent le papier. Cet imbécile se payait sa tête, en plus !

« Je vais le tuer, gronda-t-il. Si je recroise un de ces fichus Chevaliers, je le tuerai sans hésiter. »

Mitteï se rapprocha de lui.

« Ce ne serait pas la meilleure idée, tempéra-t-elle. Un Chevalier Onirique vivant s'avérerait une importante source d'information.

— Alors je l'interrogerai et, après, je le tuerai. »

— Tu es bien trop impulsif, Alfonsi. Si tu n'y prends pas garde, cela te portera préjudice. »

Elle soupira.

« Je ne trouverai pas mes réponses ici. Tu es libre de continuer à chercher, mais je crains que ce soit en vain. »

Elle s'écarta pour rejoindre l'entrée de l'appartement.

« Où vas-tu ? l'interrompit Alfonsi.

— Interroger ceux qui ont des réponses. Leurs alliés, Kalendor. »

Derrière son voile blanc étincela un éclat funeste.

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