XV-1 : Le premier archange blanc
Parmi les anges, certains se distinguaient, par leurs accomplissements, et prenaient alors le titre d'archanges, aussi nommés Grands Maîtres. Ce statut leur offrait de nouvelles responsabilités, telles que la formation des nouveaux arrivants, mais aussi la possibilité d'invoquer, en cas de nécessité, la pleine puissance de leur Dieu.
Mais, de tous ces archanges, de l'Ombre comme de la Lumière, la plus célèbre fut, de loin, Mitteï Ogame, l'Exadine. Son seul nom symbolisait, pour les apôtres blancs, puissance et victoire, et, pour les noirs, terreur et mort.
La Grande Prophétesse, Histoire passée des Trois Mondes
Planète Zyx, Barcad, vingt-deux jours après la mort du Général Chef
La lueur blanche s'estompa des phalanges de Seyer, le Voyageur s'écarta.
« Ça devrait aller, pour le moment. »
L'air renfrogné, Alfonsi passa une main sur ses côtes désormais indemnes.
« Merci quand même », grogna-t-il.
Seyer reporta son attention sur le tableau de commande. Quelques tremblements parcoururent la coque ; le vaisseau atteignait l'atmosphère. Autour d'eux, une poignée de Zyssiens surveillait la trajectoire d'approche, l'air sombre et silencieux. À l'inverse d'Alfonsi, ils ne semblaient pas avoir subi de mauvais traitements, mais portaient le poids de leurs camarades disparus. Ils étaient le seul vaisseau survivant et le seul, aussi, à ne pas avoir pu participer à la bataille sur Oriale.
« Ces Orialiens sont des sauvages et des barbares, maugréa Alfonsi. Je ne parviens pas à croire que...
— J'ai un message de Barcad », l'interrompit Seyer.
Le Zyssien redressa un œil torve.
« Ah, on a le droit d'atterrir, encore heureux. »
Il se redressa.
« Mitteï ? »
La communication s'enclencha. L'hologramme d'une silhouette de petite taille se matérialisa. Entièrement drapée de blanc, son visage disparaissait derrière un voile translucide.
« Bonjour, Alfonsi, Seyer. »
Sa voix fluette travestissait celle d'une enfant. Pour autant, Alfonsi réprima un frisson. Il n'aimait pas travailler avec Seyer et devoir supporter ses idéaux pesants, mais n'appréciait pas plus Mitteï. Sa seule présence le glaçait. Tous ses masques d'affabilité ne dissimuleraient jamais cette puissance sourde, sauvage, qui pulsait en elle. Il l'avait déjà vue éventrer sans sourciller les pires créatures de cauchemar, mettre à genoux les plus grands empereurs, les plus redoutables sorciers. Tous les puissants de la Galaxie connaissaient son nom.
Et tous la craignaient.
« Bonjour, Mitteï, répondit Seyer. Je te croyais sur les mondes frontaliers. »
Elle pencha la tête sur le côté.
« J'ai laissé à Oukouakouloumé le soin de s'occuper des okrons de Reblas. La situation, ici, me paraissait plus urgente.
— Le Général Chef est mort, statua Alfonsi, la situation est sous contrôle.
— Est-ce une tentative d'humour ? »
Le ton badin de la question masquait à peine son hostilité sous-jacente. Alfonsi frissonna.
« Ahura Mazda m'a informée des dernières paroles de Zawhyk. Avant de mourir, il aurait entrevu l'arrivée d'une flotte d'invasion, sur Zyx. Vous avez, certainement, été informés de même entre-temps.
— C'est ce qu'aurait dit Zawhyk, oui, tempéra Alfonsi. Mais rien ne prouve que ses visions soient véritables. Rien ne prouve que... »
Près de lui, Seyer l'interrompit d'un soupir gêné. Alfonsi le foudroya du regard. Ces Grands Maîtres, toujours à se croire supérieurs aux autres, sous prétexte qu'ils profitaient des bonnes grâces de la Lumière !
« Le Général Chef n'était pas notre seul problème, rappela le Voyageur. Nos trois vaisseaux ont été sabotés, il y avait des taupes chez chacun de nous.
— Pas que chez vous, intervint Mitteï. Le sujet 73B s'est aussi évadé, entre-temps. Elle a bénéficié d'aides extérieures, parfaitement informées. »
Alfonsi blanchit, une sueur froide descendit le long de ses tempes. Avec l'interrogatoire des Kalendoriens, ces informations pouvaient parfaitement provenir de lui.
« 73B n'a plus aucune importance, assura-t-il d'une voix blanche. Elle était devenue... inutile. »
Le regard réprobateur de Seyer lui brûla la nuque, tandis que le silence de Mitteï lui glaçait le dos. Enfin, elle répondit :
« Alfonsi, c'est à ta demande que j'ai laissé sa mère en vie, jusqu'à ce qu'elle lui donne naissance, tu as la responsabilité qu'elle ne devienne pas un... impondérable. »
Il hocha la tête, la gorge sèche. Il aurait dû s'en débarrasser lui-même, lorsqu'il était encore temps, plutôt que de repousser cette décision.
« Des gens, sur Zyx, jouent contre nous, statua Mitteï. J'aimerais savoir qui. »
Seyer croisa les bras.
« Pour connaître à ce point tous nos mouvements, il est fort probable que quelqu'un de très haut placé soit impliqué.
— C'est possible. Pour l'instant, commençons déjà avec les pistes disponibles. Je vous attends à l'esplanade d'atterrissage.
— Les pistes disponibles ? À quoi penses-tu ? s'étonna Alfonsi.
— Il y a deux mille personnes, dans ton vaisseau. Je vais sonder leurs esprits ; si le saboteur se trouve parmi elles, je le trouverai ; si quelqu'un sait quelque chose, je le saurai. Terminé. »
La communication se coupa. Le vaisseau entamait la phase finale de sa descente. Quelques soubresauts agitaient le poste de commande et, sur les caméras extérieures, apparaissait déjà Barcad. La Tour Centrale offrait un point de repère démesuré, haut de plusieurs kilomètres. Autour d'elle, neuf arcades grises démesurées montaient à sa rencontre et surplombaient les ponts et les bâtiments de verre et d'acier. Enfin, des anneaux translucides les cerclaient, de la base jusqu'au sommet. En cas de pluie radioactive, ils se déployaient en parois diaphanes et protégeaient la cité d'un cocon protecteur.
Aujourd'hui, un grand soleil éclairait la scène et les ouvertures laissaient libre passage aux quelques navettes planétaires ou interplanétaires. À intervalles presque réguliers, quelques appareils se détachaient des nuées volantes, entre les bâtiments, et rejoignaient le ciel, l'espace, ou survolaient le désert et les jungles sauvages.
La présence, juste en dessous de ses pieds, attira l'attention d'Alfonsi. Un puits de pouvoir, d'inquiétants bouillonnements sous-jacents. Son regard se concentra sur un point en contrebas, la piste d'atterrissage désignée, tout près de la Tour. Mitteï.
La descente se poursuivit, interminable. À ses côtés, Seyer restait silencieux, l'air pensif. Même les Zyssiens ne disaient mot. Une certaine amertume les accompagnait, alors qu'ils n'avaient pas même pu combattre. D'autres avaient remporté la victoire à leur place, mais avaient aussi trouvé la mort.
Enfin, le vaisseau ralentit, un léger choc agita les parois et Seyer coupa les moteurs. Alfonsi se redressa. La présence de Mitteï se faisait oppressante ; elle les attendait dehors, à quelques mètres de distance.
Les deux Voyageurs se redressèrent et arpentèrent les couloirs ternes jusqu'à ouvrir la porte de sortie. Elle était là, revêtue de son apparence de jeune fille frêle, le visage recouvert par son voile blanc translucide. Une centaine de policiers en combinaisons blanc et gris l'accompagnaient, des lances-éclairs à la main. Enfin suivaient une dizaine d'unités robotiques de soutien, leurs larges bras prêts à intercepter le moindre suspect.
« Que signifie ? » s'étonna Alfonsi.
Mitteï balaya son interrogation d'un geste de la main.
« Je vous l'ai dit, répondit-elle de sa voix fluette. Les personnes de ce vaisseau sont des suspectes. Le Président a ordonné le soutien de plusieurs unités d'intervention, quand bien même je doute qu'elles s'avèrent nécessaires. »
Déjà, plusieurs Zyssiens descendaient de l'appareil pour contempler, étonnés, le déploiement de forces.
« Commençons », décréta Mitteï.
Dans un même ensemble, les Zyssiens tombèrent à genoux, certains portèrent les mains à leur tête, roulèrent à terre.
Seyer avança d'un pas détaché jusqu'à la silhouette de la jeune fille.
« Évite de les briser, souffla-t-il.
— Tant qu'ils ne me résistent pas, ils ne craignent rien. »
Elle tourna la tête. Derrière le tissu blanc de son visage, Alfonsi entraperçut deux éclats d'un azur aussi profond, aussi dangereux que l'océan. Et ces abysses infernaux, retraite des monstres antédiluviens, antre des pires cauchemars oubliés, pointaient leurs regards sur lui.
Non...
Une vague incoercible le submergea de terreur. Les eaux noires d'un océan se refermèrent sur son propre esprit.
« Je... je suis un Voyageur, clama-t-il. Je suis le serviteur de la Lumière. »
La réponse transperça ses pensées avec la froideur d'un couperet.
« Tu es un suspect. »
L'étau se referma sur lui. Il tomba à genoux. Une pression insoutenable l'écrasa, de toutes parts déferlaient des vagues aussi tranchantes que des rasoirs.
« Ne résiste pas », ordonna Mitteï.
Ses propres protections mentales s'effondraient sur elles-mêmes, percées de toutes parts. Nul ne résistait au premier archange.
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