XIV-4 : Les armes de la paix
« Et ensuite, que s'est-il passé ? » pressa Césape.
Le jeune homme releva la tête.
« J'ai passé deux années zyssiennes à découvrir les technologies de la Fédération, mais la situation n'évolua pas durant ce temps. Comme je l'ai dit, ce n'est qu'il y a trois semaines que le Général Chef a commencé ses menaces, et ce n'est d'ailleurs qu'à ce moment que Zawhyk est revenu.
— Je vais sans doute poser une question bête, fit remarquer Césape, mais il était parti ?
— S'il était lui aussi Voyageur, cela n'a rien d'étonnant, trancha Alyne. Les membres de l'Ordre sont souvent amenés à passer d'une planète à l'autre pour régler divers problèmes.
— Et ça consiste en quoi, ces problèmes ? s'inquiéta Césape. Je ne vois pas ce qu'ils pourraient faire sur mon monde natal.
— Vaincre un dragon, par exemple. Si tu as trouvé une Pierre, c'est qu'un Voyageur est passé par là, un jour ou l'autre.
— Mouais, peut-être ; mais si c'est ce genre de truc qu'ils font tous les jours, ça promet.
— De mémoire, je ne connais personne qui ait refusé de rejoindre l'Ordre, soutint Alyne. Ce serait un affront inqualifiable.
— J'attends de les rencontrer avant de me faire une idée. Pour l'instant, je ne peux pas dire que je puisse disposer d'un grand recul sur cet Ordre. Je ne connais que vous deux, et encore, vous n'en faites pas vraiment partie. D'ailleurs, je n'ai apparemment rien en commun avec au moins 50 % de l'échantillon non représentatif que vous constituez, ce qui ne m'inciterait pas vraiment à continuer, si j'avais le choix. Quant aux 50 % restants, ça reste à voir. Tu as déjà planté des choux, Galaniel ?
— Des choux ? Euh, non. »
Césape se gratta la tête.
« On va dire que c'est un trait inessentiel de ma personnalité. Si on considère qu'on est tous les deux des héros intrépides, ça fait déjà beaucoup en commun. »
Alyne pouffa de rire, ce que Césape fit semblant de ne pas remarquer, préférant laisser Galaniel reprendre son récit. Le jeune homme poursuivit avec l'intervention providentielle de Zawhyk, ainsi que les deux autres Voyageurs, Alfonsi et Seyer, le plan établi en toute urgence avec les volontaires du programme d'échange, l'alliance inopinée avec le tout nouveau Général du Neelhan et, enfin, l'opération. Le crash. L'affrontement dans la boue, sous la pluie des canons. Cette lutte désespérée, jusqu'à la mort du Général Chef, qu'Alyne et Césape avaient pu contempler à travers les images de la Table de Vérité.
« Eh bien, quelle histoire ! siffla Césape. Je fais pâle figure, moi, avec mon dragon. C'est dommage que ça puisse être résumé trop simplement, ça perd de la profondeur : "Y'avait un dragon, l'était méchant, je lui ai éclaté la tronche. Fin". Encore que c'est aussi une question de narration.
— En somme, reprit Alyne, perplexe, tu es parti au secours d'une planète que tu connaissais à peine alors que tu n'étais pas directement concerné. »
Galaniel nia de la tête.
« Nous aurions été concernés tôt ou tard. Si le Général Chef avait envahi Zyx, il n'aurait eu aucune raison de s'arrêter là. Notre monde aurait été le suivant sur sa liste. Sauf que ce jour-là, nul n'aurait été en mesure de l'arrêter. Et puis, après avoir vécu deux années là-bas, je ne pouvais pas non plus les abandonner. »
Alyne hocha la tête. Avant même de récupérer sa Pierre, les actions de Galaniel étaient déjà dignes d'un Voyageur. Les Grands Maîtres avaient certainement raison de lui accorder sa chance, malgré les risques qu'il représentait par ailleurs.
« D'après ce que m'ont dit quelques salvens, reprit Césape, Zyx est un monde important pour les Voyageurs, notamment sur un plan stratégique. »
Sa réplique lui valut l'intérêt soudain de ses compagnons.
« Ne me regardez pas comme ça, je n'en sais pas plus. »
Son regard, ainsi que celui de Galaniel, se porta alors vers Alyne.
« Je ne connais pas tous les mondes habités, se défendit l'elfine. Tout ce que je savais, c'était que beaucoup d'humains habitaient cette planète, et qu'elle était plutôt épargnée par les combats contre les Itinérants.
— Jusqu'ici, corrigea sombrement Galaniel.
— Dites, je vais peut-être dire une bêtise, intervint Césape, mais vous êtes sûrs que ces braves Voyageurs ont l'avantage ? »
Alyne le gratifia d'un regard proche de la consternation.
« Bien évidemment, daigna-t-elle répondre. Les Voyageurs sont deux fois plus nombreux que les Itinérants, et protègent deux fois plus de mondes. Cela n'empêche toutefois pas nos ennemis de lancer des offensives aussi risquées que désespérées.
— Ouais, sans doute. Et il y a combien de Voyageurs, ou de mondes, comme tu dis ?
— Environ quatre-vingts Voyageurs, pour une centaine de mondes. »
Sans lui répondre, Césape s'immobilisa soudainement, les oreilles aux aguets.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » s'enquit Galaniel.
Le gigan lui fit signe de se taire. Il huma l'air ambiant, circonspect.
À son tour, Alyne scruta les fourrés, à la rechercher d'un danger. Galaniel dégaina sa dague. Quelques branches bruissaient sous la brise légère. La forêt était calme, beaucoup trop calme.
Un craquement sourd. Galaniel se retourna, aussi vif que l'éclair. Il n'eut que le temps d'entrevoir un mouvement multicolore se jeter sur Césape.
« Attention ! »
Le gigan ne put éviter le choc. Il perdit sa hache, roula à terre, aux prises avec un fauve aussi grand qu'un homme. Les crocs cherchèrent son cou, les griffes scintillantes lacérèrent ses peaux de bête. Indécise, Alyne hésita, puis matérialisa une bulle d'eau qui éclata presque aussitôt. Une pluie glacée recouvrit les protagonistes.
Sans doute espérait-elle que l'animal redoutât le liquide. Néanmoins, Césape et la bête continuèrent de lutter à terre, maugréèrent, frappèrent, se débattirent de plus belle dans une tornade rouge, or et verte.
Enfin, le gigan immobilisa la mâchoire ouverte avant qu'elle ne l'égorge, puis la repoussa d'un coup de pied. Un cri surpris, presque plaintif, échappa au monstre. Sans lui laisser de répit, Césape l'attrapa par le col. Ses pattes griffues soulevèrent le fauve du sol et le projetèrent contre un arbre. Sous la violence du choc, le tronc blanc trembla et un déluge de fruits épais acheva toute velléité résiduelle.
« Ah ! Ah ! Victoire ! » triompha le gigan.
Seules quelques griffures sans gravité témoignaient des secondes écoulées.
« Un adepte des méthodes subtiles et délicates, à ce que je vois, ironisa Alyne.
— J'aime ce qui est simple et efficace, rétorqua Césape. D'ailleurs, l'utilité de la magie a clairement montré ses limites, ici. Je ne suis pas sûr que ma douche glacée eut été nécessaire. »
Il s'ébroua sans prévenir. L'elfine eut à peine le temps de bondir sur le côté pour éviter de se faire asperger à son tour
« On ne m'avait pas dit qu'il y aurait des prédateurs dans cette forêt. Certes, ce n'est pas que je ne m'en sois pas douté, mais on aurait pu peut-être nous mettre en garde, comme une pancarte avec "Attention, tigres méchants". Il y a d'autres surprises de ce genre, encore ?
— À vrai dire, répondit Alyne, il existe des créatures autrement plus dangereuses, mais nous les éviterons.
— Comment font ceux qui n'ont pas une elfine pour les guider ? s'interrogea Galaniel.
— La plupart s'en sortent quand même. Traverser cette forêt n'est pas si difficile, comparé aux épreuves que nous avons eu à subir pour obtenir nos Pierres d'Origines.
— Parlons-en de ces cailloux ! s'emporta Césape. Si j'avais su tout ce qui m'attendait, je suis sûr que j'aurais réfléchi à deux fois avant de m'en approcher. Je ne sais pas pour vous, mais je n'ai pas envie de laisser ma peau ici, après avoir réchappé de justesse à mon dragon.
— La mort n'a pas sa place dans le Sanctuaire, répondit Alyne. Quoiqu'il advienne, les prétendants Voyageurs ne peuvent mourir ici.
— Comment ça, pas mourir ?
— Selon la légende, la Grande Déesse relève chaque nuit les âmes de ceux qui se sont égarés dans cette forêt. Elle leur donne alors l'occasion de devenir des salvens, pour continuer de La servir et de veiller sur le Sanctuaire.
— Les salvens ? Les villageois aux armures d'or ? se rappela Galaniel.
— Oui. Leur armure est un don de la Grande Déesse. Les salvens sont les prétendants ayant échoué lors de la dernière étape de leur initiation. Ce sont les gardiens de ce monde.
— Ça a l'air super, mais on va quand même essayer de ne pas traîner, proposa Césape. C'est qu'on n'est pas encore arrivés. »
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