XIV-2 : Les armes de la paix

Déjà, l'aube filtrait à travers la paille. Les sens encore engourdis, Galaniel soupira, puis se releva. Alyne avait déserté la pièce, et seul restait Césape, étalé de tout son long. Au terme d'un énième grognement, le gigan se redressa enfin, pour avancer d'une démarche hésitante, ponctuée de ronchonnements contrariés.

Ils sortirent de la hutte et s'arrêtèrent un instant, aveuglés par la lumière. Alyne, bras croisés, attendait à quelques mètres d'écart. La Prophétesse se tenait face à eux, de même que les salvens, assemblés au garde-à-vous.

« Le temps est venu pour vous d'entamer votre périple initiatique », déclama la Prophétesse sur un ton presque théâtral.

Elle tendit le bras pour désigner une forêt d'arbres blancs.

« Le Sanctuaire des anges se trouve dans cette direction, ajouta-t-elle. Rejoignez-le avant le coucher du Soleil et vous serez libres d'intégrer l'Ordre. »

Césape leva une patte.

« On est obligés de traverser cette forêt, même si on n'est pas sûrs d'intégrer cet Ordre ? C'est que... je n'en avais jamais entendu parler jusqu'ici, et puis ce n'est pas tout à fait ce que j'avais prévu de faire après avoir tué mon dragon. »

Alyne le dévisagea de ses yeux ronds, incapable d'envisager l'éventualité d'un refus.

« Vous êtes obligés de rejoindre d'abord le Sanctuaire, comme je vous ai dit, répondit la Prophétesse. Si vous souhaitez seulement rentrer chez vous, vous devrez en référer à Ahura Mazda.

— Drôle de nom. C'est lui le bonhomme en charge de tout ce bazar ? »

Il préféra s'interrompre face aux foudres du regard d'Alyne. Des étincelles bleues menaçantes crépitèrent sur le corps de l'elfine.

« Bon, euh, puisqu'on n'a pas vraiment le choix, si on y allait ? » proposa-t-il.

Il vérifia la fixation de la hache dans son dos, puis jeta un nouveau regard vers la forêt. Au loin, quelques constructions de pierre émergeaient de l'étendue nivéenne, écrasée par les feux de l'astre d'or. Puis le gigan se retourna vers les villageois.

« Je ne peux tout d'abord que vous remercier pour votre hospitalité. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de vous revoir, mais, si je puis me permettre...

— Il est temps pour vous d'y aller, rappela la Prophétesse, ne vous épuisez pas en formalités.

— O.K. Salut, les gars, et à la prochaine. »

Il agita une patte avec entrain, puis rejoignit la forêt, déjà précédé par Alyne. Après un dernier remerciement lapidaire, Galaniel leur emboîta le pas.

Tous deux suivirent l'elfine entre les arbres aux troncs d'argent. Entre les rares taillis, seules quelques herbacées rosâtres recouvraient le sol. Au-dessus de leurs têtes, une faible brise agitait les frondaisons blanches.

Césape s'émerveilla devant des fleurs aussi grandes qu'un humain, escalada des arbres à toute vitesse, puis sauta d'une branche à l'autre. Il profita d'une cime plus haute pour vérifier leur direction, puis redescendit aussitôt pour atterrir près de Galaniel.

« Elle est sympa, cette forêt, commenta le gigan. Les couleurs sont bizarres, ça change, et les arbres sont un peu moins grands que chez moi, mais elle est sympa.

— Moins grands ? s'étonna le jeune homme. Je n'en avais jamais vu d'aussi grands. Je les trouve gigantesques.

— Mouais. Leurs branches pourraient être plus épaisses. Ici, elles ne supporteraient pas le poids d'une habitation.

— Tu vis dans les arbres ?

— Pas à proprement parler, seulement dans leurs frondaisons. Comme ça, on est à l'abri des prédateurs les plus dangereux. Comment tu veux faire pour leur échapper, sinon ?

— Sur ma planète, les villages sont entourés de barricades. Mais maintenant que j'y pense, les animaux y sont aussi beaucoup plus petits. »

Galaniel se remémora la vision du monde de Césape. Les arbres n'y apparaissaient que de loin, et les créatures démesurées de la plaine l'avaient sans doute amené à sous-évaluer leur taille.

Le gigan rejoignit finalement Alyne ; l'elfine n'avait pas prononcé un traître mot depuis leur entrée dans la forêt.

« Salut, Alyne, comment ça va ? »

Sans doute la manière la plus éculée d'engager une conversation. Alyne se renfrogna, hésita, puis se décida à lui répondre.

« Qu'est-ce que tu veux ?

— Euh, rien en particulier.

— Alors pourquoi tu restes là ?

— Pour faire connaissance, peut-être ? Tu as bien des passions, dans la vie ?

— Ma vie est dévouée à la Grande Déesse. »

Césape se gratta la tête.

« Ouais, mais, euh, la "Grande Déesse" ne te laisse pas faire ce que tu veux, de temps en temps ? Par exemple, d'aucuns, et même beaucoup, pourraient penser que je suis un héros intrépide, fervent défenseur de la veuve et de l'orphelin, et tueur d'un dragon à ses heures perdues. Mais, en réalité, ma véritable passion est la culture de légumes. Et aussi la poésie, j'aime bien composer des odes en attendant qu'ils poussent. Les légumes, pas les odes. Ce qui prend du temps. Pour les légumes, mais aussi pour moi. Tu as déjà cultivé des choux, toi ?

— Des... Quoi ? Nous sommes en pleine épreuve et tout ce à quoi tu penses, c'est de la botanique ?

— C'est très intéressant, la botanique, se défendit Césape. Ça adoucit les mœurs, tu devrais essayer. »

Il partit sans lui laisser le temps de répondre, et rejoignit de nouveau Galaniel. Le jeune homme contemplait un grand serpent s'enrouler autour d'un arbre en sifflant. Les écailles dorées du reptile ressemblaient étrangement aux armures des villageois.

Le regard d'Alyne suivit le gigan jusqu'à se poser sur l'humain. À première vue, rien d'exceptionnel ne transparaissait, seule sa Pierre résonnait dans l'éther, depuis une poche de sa combinaison noire. Et, pourtant, leur duel avait imprimé toute la force de sa détermination, et il avait même abattu un ange noir. Pouvait-il être la réincarnation de Gathor ? Sa destinée pouvait-elle vraiment menacer la Lumière? Elle porta une main à la tête. Mitteï semblait s'intéresser à lui, voire lui faire confiance, pour l'instant, ou alors peut-être espérait-elle l'utiliser, retourner ses capacités à leur avantage.

Elle ne remettrait pas en cause la décision du premier archange, mais, depuis ces dernières révélations, elle surveillait en permanence l'humain du coin de l'œil. Des Ténèbres contaminaient déjà une partie de son âme. Des craintes, des doutes, une soif de pouvoir. Peut-être un jour, viendrait-il à sombrer, à se détourner de la Lumière, peut-être aurait-elle à l'arrêter.

Sa main se posa sur un pan de sa tunique. Dessous palpitait sa propre Pierre, comme pour la rassurer. Elle ne serait jamais seule. Le don de la Grande Déesse l'accompagnait et, s'il le fallait, lui prêterait sa force et ses pouvoirs.

Elle redressa la tête. Pour l'heure, le gigan multipliait les emphases de son glorieux combat contre la "Sale Bête", à grand renfort de verve et d'imitations exagérées. Après plusieurs minutes, il encouragea son interlocuteur à faire de même, à raconter les événements qui l'avaient amené à affronter le Général Chef.

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