XI-4 : La captive des anges
Planète Zyx, centre de recherches secret de Barcad, dix jours après la mort du Général Chef
La porte sécurisée s'ouvrit en silence.
Entièrement vêtu de noir, un capuchon sur la tête, Rneigl s'engouffra dans le couloir aux murs blancs. Le Chevalier Onirique avait attendu la nuit pour agir, mais le centre de recherches ne s'éteignait jamais. Quelques chercheurs insomniaques continuaient d'errer, occupés à leurs expérimentations, tandis que patrouillaient les gardes.
Il crocheta un placard dissimulé, puis arracha une poignée de câbles. Quelques néons grésillèrent. Les caméras à reconnaissance faciale de même que l'alarme devraient l'ignorer quelques minutes. Un temps suffisant, espérait-il, pour retrouver le sujet 73B.
Le cœur battant, il s'élança dans le bâtiment, attentif au moindre son, au moindre mouvement. Quelques bougonnements l'avertirent du passage d'un garde patibulaire ; comme une ombre, le Chevalier se glissa dans un placard à balai.
Le cœur battant, il attendit que disparaissent les soubresauts de la lampe torche et les atermoiements de son propriétaire. En comparaison d'autres sections du bâtiment, la sécurité ici, restait limitée. Les salles attenantes contenaient principalement des rebuts, des inventions ratées, ou quelques déchets à traiter. Et, deux couloirs et trois portes plus loin, le sujet 73B.
Enfin, il se remit en route. Lorsqu'il travaillait encore ici, 73B restait enfermée dans la section centrale, sous la plus haute surveillance. Lui-même n'avait jamais pu y entrer, mais avait seulement accédé, en toute illégalité, à quelques images et comptes-rendus. Travailler à temps plein là-bas impliquait un sondage de son esprit par Alfonsi, dissimuler ses véritables intentions devenait impossible.
Rneigl redressa la tête pour compter du regard les numéros de portes. Il arrivait à destination. Et ce qu'il allait découvrir le terrifiait.
Les Kalendoriens ne lui avaient pas seulement transmis les codes d'accès et protocoles de sécurité du bâtiment, mais toutes les données concernant 73B, qu'ils avaient extraites de l'esprit d'Alfonsi. Peu avant l'assaut sur Oriale, le Voyageur avait ordonné une dernière expérimentation, afin d'extraire l'origine présumée des pouvoirs magiques de la jeune femme. Une trépanation.
Elle était restée léthargique depuis, réduite à l'état de légume, et les scientifiques l'avaient provisoirement transférée ici. Ils n'avaient plus rien à tirer d'elle. Avec l'accord d'Alfonsi, ils allaient seulement l'euthanasier, puis faire disparaître le corps.
Ses poings se crispèrent. Il arrivait à la chambre fatidique.
Son cœur rata un battement. Peut-être avait-il laissé passer sa chance, sans le savoir. Il aurait dû agir plus tôt, mais, même avec le recul, ne savait toujours pas comment. Sans doute avait-il fait du mieux qu'il pouvait, mais ce n'était pas suffisant.
Ses doigts se refermèrent sur la poignée de la porte. De la lumière filtrait à travers le chambranle. Une ou plusieurs personnes devaient être présentes. Sa seconde main se posa sur le pommeau d'une dague. Un ou deux scientifiques ne constitueraient pas de véritable menace, et il la réglerait avec diligence. Qu'il s'agisse ou non d'anciens collègues, ils méritaient la mort, de toute façon, et le Chevalier n'aurait aucun scrupule à laisser quelques corps pour couvrir sa fuite.
Enfin, il prit une inspiration et ouvrit la porte d'un coup, arme à la main.
Et se figea.
La lueur blafarde des néons recouvrait deux corps étendus, deux blouses blanches maculées d'écarlate. Quelques traces de lutte, une chaise roulante renversée, mais pas de signe de la jeune femme.
Le Chevalier Onirique s'accroupit. Les deux scientifiques étaient morts, égorgés par la fine lame d'un scalpel. Ils se vidaient encore de leur sang, l'événement ne datait que de quelques minutes, tout au plus.
Rneigl se redressa d'un bond, pris d'un soudain espoir. Elle était vivante, elle se battait toujours !
Il bondit hors de la pièce pour se retrouver dans le couloir. S'il ne l'avait pas rencontrée à l'aller, elle ne pouvait être partie que de l'autre côté. Quelques fraîches taches d'écarlate confirmèrent son intuition. Il s'élança.
Quelques secondes suffirent pour arriver au premier embranchement. Il s'arrêta l'espace d'un instant, ses sens aux aguets. Elle était tout près, il en était certain !
Des cris résonnèrent à gauche avant que ne retentisse le hurlement strident de l'alarme. Il reprit sa course, dépassa un angle et, enfin, la vit.
Une silhouette mince, seulement vêtue de blanc. Des bandages recouvraient sa tête et ses bras nus révélaient une peau très pâle, des membres presque décharnés. D'un mouvement de côté, elle évita la matraque d'un garde, puis riposta d'un atémi du pied. Son adversaire se tordit de douleur, puis un coup de coude à la nuque l'assuma. Le second homme déchargea son lance-éclair, mais manqua sa cible de peu ; elle se tourna vers lui. Ses doigts maintenaient encore le scalpel ensanglanté, deux fois meurtrier.
Un lancer de dague du Chevalier mit fin à l'affrontement. Touché en pleine tête, l'homme s'effondra en arrière, mort. Toujours sur ses gardes, la femme se retourna vers le nouvel arrivant.
Ce regard...
Une détermination absolue dans un océan de désespoir. Peut-être n'aurait-elle même pas eu besoin de son aide, peut-être aurait-elle même pu s'échapper seule, par la ruse, ses capacités, et la force de sa volonté. Rneigl frissonna. Était-elle vraiment l'Élue ? La possibilité ne s'excluait toujours pas ; il voulait y croire.
« Je... »
Le Chevalier haussa le ton pour couvrir le hurlement de l'alarme.
« Je suis un ami. »
Elle le considéra avec attention.
« Je n'ai pas d'ami, répondit-elle.
— Il est temps que cela change. »
Rneigl s'avança d'un pas. Elle ne recula pas, mais ne rangea pas son arme pour autant.
« L'alerte est déjà donnée. Ils verrouillent toutes les issues et les renforts disponibles vont bientôt converger ici. Si vous voulez sortir, suivez-moi. »
Il se détourna, ouvrit une porte d'un coup de pied, tandis qu'elle le suivait, dubitative.
« Ce n'est pas une sortie, remarqua-t-elle.
— Pas encore. »
Rneigl extirpa de son blouson un rectangle sombre qu'il fixa au mur.
« J'avais prévu cette éventualité, expliqua le Chevalier, et je connais les plans. Cette paroi donne sur l'extérieur.
— Qui êtes-vous ? Pourquoi faites-vous ça ?
— Je vous expliquerai tout en temps voulu. Sortez de la pièce. »
Il recula de même en dehors, referma la porte, puis appuya sur un déclencheur. Le bruit de l'explosion couvrit le tumulte de l'alarme, les murs tremblèrent, et le chambranle manqua de se désolidariser.
« C'est bon. »
Il rouvrit la porte. Au milieu du mur béait désormais une ouverture fumante sur l'extérieur, sur la liberté. Les lumières de la ville scintillaient dans la nuit, aussi nombreuses que les étoiles, aussi captivantes que l'espoir. Les yeux de la jeune femme pétillèrent.
C'était donc à cela que ressemblait le monde, que ressemblait la vie.
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