XI-3 : La captive des anges
Lune d'Oriale, Epithaï, un mois plus tôt
Le visage de Rneigl s'effaça de l'écran. Mains croisées, le Général Chef s'affaissa sur son bureau.
« Après tout ce temps, je n'aurais jamais cru qu'Ishtar ait eu une fille, et encore moins qu'elle soit encore en vie. »
Il tritura un stylo. De sombres pensées teintaient son regard, des réminiscences d'un passé qu'il aurait préféré oublier. Il secoua la tête, se redressa. Dans la pièce vide, seul le Commandant accompagnait sa solitude.
« Nous n'avons que sa parole », remarqua l'homme.
Le Général Chef soupira.
« J'ai eu l'occasion de combattre aux côtés de Rneigl, il y a longtemps. Même si nous ne partagions pas exactement les mêmes objectifs, à l'époque, je le connais suffisamment pour lui faire confiance. Et puis... »
Il s'arrêta quelques secondes, avant de reprendre.
« Elle est le portrait craché de sa mère. Je sais que c'est vrai. »
Ses doigts se crispèrent ; le stylo se brisa en deux.
« Ces Voyageurs, cracha Sméarn. Mon épouse, Ishtar et, maintenant, ça. »
Il contempla les deux portions de son stylo, avant de se lever et les jeter dans une corbeille. Une flamme renaissait dans ses yeux, une flamme que ne lui avait jamais vue le Commandant.
« Je ne peux pas laisser faire ça, pas cette fois encore.
— S'opposer aux Voyageurs ou à la Fédération m'apparaît risqué, objecta le Commandant.
— Vous ne comprenez pas. »
Il se rassit, croisa les mains.
« Nous avions été formés ensemble par Smaviac, moi, Ishtar, et Elona, avant qu'elle ne devienne ma compagne. Nous étions plus que des compagnons, nous étions devenus des amis. Faites-vous cas de l'amitié, Commandant ?
— C'est un concept qui m'échappe. »
Le Général Chef soupira.
« Pour autant, vous n'abandonneriez pas un frère d'armes en difficulté, n'est-ce pas ?
— Non, c'est une question de principe.
— À l'époque, poursuivit Sméarn, nous avions tenté de faire tomber le premier archange blanc, Mitteï, en nous alliant aux Chevaliers Oniriques. L'opération fut un échec. Mitteï est un monstre, le pire qui soit. Aucun autre Grand Maître, que ce soit de l'Ombre ou de la Lumière, ne peut rivaliser avec elle. »
Les tours en flammes, la chute d'un empire se rappelaient à son souvenir. Il secoua la tête.
« Nous avons été séparés d'Ishtar. Elle et les Chevaliers Oniriques ont erré de planète en planète en essayant de rejoindre la terre neutre d'Oriale. J'ai appris plus tard que la dernière bataille s'était livrée sur Shawn. Ishtar ne nous a jamais rejoints. »
Il soupira.
« Pour autant, nos Pierres ne nous ont pas immédiatement informés de sa mort. Nous avons donc tenté d'enquêter, moi, Smaviac et Elona, mais Mitteï nous attendait sur Shawn. Je m'en suis sorti de justesse, Smaviac aussi, mais Elona... »
Sa voix se brisa.
« Quelque temps après, nos Pierres nous informaient aussi de la mort d'Ishtar. Vous connaissez la suite...
— C'était juste avant que vous remplaciez votre père en tant que Général de Kalendor », conclut le Commandant.
Sméarn hocha la tête.
« Il y a un pacte secret, passé depuis des millénaires, qui a été respecté jusqu'ici : le Général Chef ne doit pas attaquer les Voyageurs et les mondes sous leur protection...
— Donc Zyx...
— Et, en contrepartie, les Voyageurs ne poseront pas le pied sur Oriale, à l'exception du rocher des dieux, que nous cédons en guise de bonne foi.
Le Commandant tempéra la déclaration d'un geste de main.
« Ce n'est qu'une toute petite île, perdue au beau milieu de l'océan, loin de tout et cerclée par d'incessantes tempêtes. Il ne représente aucune valeur stratégique.
— C'est un symbole, contredit le Général, le souvenir d'une guerre très ancienne, une guerre contre Mitteï... »
Le Commandant marqua sa surprise.
« Encore elle ? Mais combien de temps a-t-elle vécu ? »
Sméarn ricana.
« Quand je disais qu'il s'agissait d'un monstre. Je peux vous assurer qu'elle n'a rien d'humain. Elle travestit son apparence, mais son regard... »
Un frisson parcourut le Général. Ces yeux avaient vu plus de morts, plus de sang que ne cauchemarderait aucun être. Il se murmurait même qu'ils avaient vu le commencement de la Guerre, combien de secrets morbides renfermaient-ils ?
« Contractuellement parlant, reprit Sméarn, Mitteï est seule propriétaire de ce rocher. De tous les temps, c'est la seule personne extraorialienne à avoir possédé un bout de terre, même limité, de notre lune. C'est la seule personne qui ait été capable de mettre tous les Généraux à genoux, et ce, en des temps immémoriaux. »
Le Commandant croisa les bras, indécis.
« Où voulez-vous en venir ?
— Je veux que vous sachiez ce à quoi nous faisons face. Je veux que vous n'essayiez pas de l'affronter, si, un jour, vous vous trouvez face à elle. Fuyez, protégez votre vie, ne vous préoccupez pas même de moi.
— Si c'est un ordre, je le suivrai, mais permettez-moi de désapprouver, mon Général.
— C'est un ordre. »
Le Commandant hocha la tête. Sméarn passa une main dans ses cheveux, son regard s'écarta.
« Vous êtes plus important que vous ne le pensez pour ce pays. S'il venait à m'arriver quelque chose, vous n'avez pas à tomber avec moi. Au contraire, protégez mes enfants, protégez Zagnar, protégez Kalendor.
— Comme vous voudrez. »
La nuit était tombée, et seules quelques lampes éclairaient les tapisseries rupestres, ainsi que les tableaux des précédents Généraux. Le Commandant décida de reprendre la parole.
« Vous m'aviez dit que les Itinérants avaient envoyé une flotte d'invasion, depuis un autre monde. Ne suffit-il pas d'attendre qu'elle arrive ? Oriale ne serait ainsi même pas concernée.
— Je sais. »
Les poings du Général Chef se crispèrent. Une rage bouillonnante remontait dans ses membres.
« Je sais, répéta-t-il, c'est moi qui ai informé les Itinérants de la vulnérabilité de Zyx. C'est à cause de moi que cette flotte va arriver. Et c'est sous les directives du Dieu Noir que j'ai fait construire nos trois vaisseaux mères. Au cas où. »
Il secoua la tête.
« Les Itinérants ne feront pas de quartier, et les Voyageurs ne se laisseront pas faire. Ce sera un conflit sanglant. La planète sera peut-être détruite, je ne peux rien garantir quant au sort d'une captive. En cas de désastre, je serai directement responsable.
— Il s'agirait cependant de la stratégie la plus sûre.
— Oui. Mais une stratégie qui nous ferait attendre, qui la ferait attendre encore deux ans de plus, pour un résultat plus qu'incertain.
— Et vous n'allez pas la suivre. »
Le Général Chef ne répondit pas ; son bras droit poursuivit :
« En tant que votre Commandant, je me dois d'émettre des réserves et de vous mettre en garde, néanmoins, je prendrais sans doute pareille décision, à votre place.
— Pour autant, seriez-vous prêt à affronter des anges ? À vous dresser contre la volonté divine ?
— Je n'obéis qu'à une seule volonté, et c'est celle de Sméarn Pteï, Général de Kalendor et Général Chef d'Oriale. Que mes ennemis soient des hommes, des anges, ou même des dieux, cela ne change rien. »
Sméarn esquissa un sourire.
« Comme toujours, Commandant, j'apprécie votre loyauté, ainsi que votre pragmatisme. »
Il se leva, un éclat nouveau dans les yeux.
« En tant que Général Chef d'Oriale, j'ai à disposition trois vaisseaux mères, alors que Zyx n'a aucune d'armée. Ma force de frappe est déjà suffisante pour faire trembler la Fédération.
— Vous voulez leur lancer un ultimatum, comprit le Commandant.
— Exactement. Je ne renouvelle pas le traité de paix et je menace la Fédération d'une guerre si elle ne se place pas sous mes ordres. Je libère alors la fille d'Ishtar en mettant fin à leur programme de recherches. Par la même occasion, je sauve probablement des millions de vies. Peut-être plus.
— Je doute que les Voyageurs restent sans réagir, cependant.
— Oh non, ils vont intervenir. Si je veux avoir la moindre chance, je dois m'assurer du soutien des Chevaliers Oniriques, donc garantir que Zyx deviendra un monde neutre, sans Voyageur ni Itinérant, à l'instar d'Oriale.
— Cela risque de déplaire aux autres Itinérants, voire au Dieu Noir », remarqua le Commandant.
Le Général balaya l'argument d'un geste de la main.
« Je me fiche bien de ces conséquences, je dois au moins ça à Ishtar. Et eux aussi. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top